LA PROHIBITION DES DROGUES, UNE POLITIQUE QUI COÛTE CHER

Par Raph

Article mis à jour le 20 décembre 2006

En 2002, le point focal luxembourgeois de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) a publié une étude portant sur l'estimation du coût économique direct de la politique et des interventions publiques en matière d'usage illicite de drogues au Grand-Duché de Luxembourg (1). Cette estimation concerne exclusivement les dépenses publiques directes (excluant dès lors le "coût des conséquences indirectes" et le "coût des conséquences intangibles" ainsi que les dépenses de consommation à porter par l'usager de drogues lui-même). L'année de référence retenue correspond à l'exercice budgétaire 1999.

Pour 1999, le coût économique direct à supporter par la collectivité est estimé à 23,345 millions d'euros, soit 54 euros par habitant et par an. En référence aux estimations les plus récentes du nombre d'usagers problématiques de drogues illicites (UPD) au niveau national (Origer 2000), on retient un coût moyen annuel par UPD de 9.934 euros.

39% des dépenses estimées sont consacrées à des activités de réduction de l'offre, contre 59% qui sont attribuées aux mesures de réduction de la demande et des risques associés à l'usage illicite de drogues. 1% des ressources sont consacrées respectivement aux activités de recherche et aux contributions internationales directes.

La dépense totale à supporter par la collectivité représente 0.013% du P.I.B. national et 0,05% du budget de l'Etat luxembourgeois en 1999.

Selon l'évaluation de Pierre Kopp, économiste, et Christophe Palle, chercheur au CNRS (Le Monde du 10/3/97), le coût de la lutte anti-drogue, en France, pour l'année 1995, équivaut à au moins 4,72 milliards de FF (env 720 M euros). Dont 1,317 milliards de F (200,8 M euros) pour la seule incarcération. Mais selon eux, « il est illusoire d'imaginer le transfert global de ces sommes vers la prévention et les soins.»

Plus récemment, 2003, Pierre Kopp et Philippe Fenoglio ont réactualisé ces données.  Dans un rapport intitulé "Le coût social des drogues", ils recensent les dépenses réalisées pour chaque drogue : « Au total, ce sont environ 1.130,43 millions d’euros que les administrations publiques consacrent en 2003 à la lutte contre les drogues (hors crédits MILDT). Dans cet ensemble, les drogues illicites représentent 80,24% (907,03 millions d’euros), l’alcool 15,08% (170,42 millions d’euros) et le tabac seulement 4,69% (52,98 millions d’euros). En intégrant les crédits MILDT (28,69 millions d’euros), les dépenses publiques, toutes drogues confondues, s’élèvent à 1 159,12 millions d’euros en 2003.(2)  

En 2004, dans un article intitulé "Le coût de la prohibition", l'économiste Pierre-Yves Geoffard, chercheur au CNRS (Delta), remarque que « les coûts sociaux de la prohibition sont considérables et d'autres mécanismes de régulation du marché des drogues pourraient conduire à une réduction identique de la consommation pour un coût bien moindre. »

C'est ce que constatait déjà Pierre Kopp en 1998 dans un article intitulé "Lutte antidrogue : le panier percé" : « Les crédits spécifiques consacrés par la France à la lutte contre la drogue n'excèdent pas 980 millions de francs, c'est-à-dire le prix de la construction d'un hôpital de taille moyenne. En revanche, le véritable coût de la politique française de la drogue est de 5 milliards. En effet, aux 980 millions de crédits spécifiques il faut ajouter les dépenses des grandes administrations (police nationale, justice, gendarme, douanes, etc.), qui consacrent une fraction de leur budget et de leurs effectifs à lutter contre la drogue. La répartition des dépenses françaises entre les différentes missions est totalement déséquilibrée. C'est la justice qui accapare le plus gros (1,5 milliard de francs). L'essentiel, soit 1,3 milliard, est consacré à régler les coûts de l'incarcération des 12 000 détenus pour infraction à la législation sur les stupéfiants (ILS). Le budget de la police, de la gendarmerie et des douanes s'élève à plus de 2 milliards. En revanche, les dépenses de santé (hors sida) dépassent à peine le demi-milliard. Sachant que sur les 70 000 infractions annuelles à l'ILS, 84 % concernent le cannabis, on peut constater que le gros des dépenses publiques est consacré à lutter contre une drogue qui n'est pas parmi les plus dangereuses. » (3)

En 2003, le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites (Canada) évalue à 500 millions de dollars US le coût de la guerre anti-drogue, sans être efficace :

« (…) Après les pertes de productivité, le coût principal pour les drogues illicites dans l'étude de Single est celui de l'application de la loi qu'ils estimaient à environ 400 millions $. Nous avons déjà mentionné aux chapitres 14 et 15 que les coûts policiers et de la justice sont sûrement plus élevés et qu'ils totalisent vraisemblablement entre 1 et 1,5 milliard $ au total. Comme le disent Single et coll., ce sont des coûts « [traduction] qui relèvent d'une décision consciente de la part des décideurs politiques, contrairement aux coûts imposés aux systèmes de soin et à l'industrie du fait de la mortalité et de la morbidité induites par la consommation de drogues. » Quelle est la proportion reliée au cannabis ? Impossible de le savoir évidemment. Mais dans la mesure où 77 % de tous les délits relatifs aux drogues concernent le cannabis, où 50 % des délits relatifs aux drogues sont pour possession simple, tenant compte du fait qu'une proportion d'environ 60 % des incidents donneraient lieu à une mise en accusation, et qu'entre 10 % à 15 % des accusés recevraient une sentence d'incarcération, c'est dire qu'une proportion importante de l'activité du système de justice pénale en matière de drogues concerne les délits de cannabis. Il est permis de penser, mais nous admettons que ce n'est qu'une estimation grossière, que 30 % de toute l'activité du système de justice pénale porterait sur le cannabis. Sur la base de notre estimation la plus basse des coûts de l'application de la loi, soit 1 milliard $, c'est donc environ 300 millions $ par an que coûterait l'application des lois sur le cannabis. » (4) (5)

On ne peut aborder le sujet du coût de la prohibition sans se référer aux études réalisées par l'économiste Jeffrey A. Miron, professeur à l'université de Boston. Dans un de ses rapports (6), J. Miron évalue à 120,6 millions de $ par an l'économie engendrée par une légalisation du cannabis sur les dépenses gouvernementales du Massachusetts affectées à la justice criminelle et à l'application des lois prohibitives (7). Le rapport estime également que la légalisation, si elle était tolérée par les autorités fédérales, rapporterait au moins 16,9 millions de $ d'impôts chaque année. Au total, pour l'ensemble des Etats-Unis, les dépenses à tous niveaux gouvernementaux pour faire appliquer la loi prohibant les drogues est actuellement d'au moins 20 milliards de $ par an, et probablement au-delà de 30 milliards de $ (8). Cette estimation n'inclut que les dépenses directement imputables à la politique antidrogue, sans compter les dépenses annexes liées aux crimes générés par la prohibition.

Bref, la prohibition n'est qu'un vaste gaspillage d'argent public, comme le déplorent de nombreux économistes (9).

Et qu'en pensent les contribuables ?

Raph

 

Notes

(1) Tageblatt (Luxembourg/Europe) du 18 octobre 2002.

(2) "Le coût social des drogues en 2003 : les dépenses publiques dans le cadre de la lutte contre les drogues en France en 2003",  P. Kopp et P. Fenoglio. Disponible au format pdf ici.

(2) Sur le coût de la politique antidrogue en France, voir aussi, du même auteur : "Drogue : soigner, c'est économique", Libération du 04/12/97.

(3) Rapport du Comité spécial du sénat canadien sur les drogues illicites, p.466.

(4) "Inutile et chère, la guerre à la drogue" (Le Devoir (Canada) du 2/05/2002)

(5) "The Effect of Marijuana Decriminalization on the Budgets of Massachusetts Governments" (Conséquences de la décriminalisation du cannabis sur les budgets du gouvernement du Massachusetts). Disponible au format pdf sur le site de J. A. Miron : http://econ.bu.edu/miron/MironPub.htm

(6) Et il évalue à 105 millions de $ (US) l'économie engendrée par la légalisation du cannabis pour l'Etat de Washington. Il associe deux chiffres : l'économie réalisée sur le plan de l'application de la loi - la part la plus importante, 88 M$ ; et les revenus associés à la taxation du cannabis, devenu légal : de 17 M$, estimation basse, à 40 M$ si taxé comme l'alcool. Source : Bellingham Herald (WA), 17 avril 2005.

(7) "Economies de la prohibition et de la légalisation des drogues", Jeffrey A. Miron, Social Research (NY), 2001, New School University).

(8) Rapport de l'Académie Nationale des Sciences (NAS), 12 avril 2001.