Les nouvelles routes des drogues

 

ASIE ET MOYEN-ORIENT

Cambodge

En août 1995, la saisie de 71 kg d'héroïne, la plus importante dans la région l'année dernière, a fait l'effet d'un coup de tonnerre. Malgré des indices concordants, les organismes internationaux de lutte contre les stupéfiants ne connaissaient pas l'ampleur exacte du trafic dans le pays. Les rapports insistent principalement sur la corruption des forces de sécurité et la multiplication des réseaux de contrebande. Aujourd'hui, le Cambodge parait tenir une place particulièrement importante dans la géographie régionale de la drogue.

 

Militaires et mafieux comme larrons en foire

Liés à de puissants hommes d'affaires, des généraux cambodgiens contrôlent le trafic de marijuana et d'héroïne. La province de Kas Kong - par où la drogue est exportée - est sous la coupe du milieu, allié à la police.

Far Eastern Economic Review - HONG KONG

 

Les services de renseignements et de la police militaire, grâce à leur réseau national, ont les moyens de se livrer au trafic de drogue. Nguon Pen, sous-gouverneur de la province de Stung Treng, le long de la frontière du Laos, affirmait en septembre dernier que des avions militaires servaient à transporter de l'héroïne vers Phnom Penh. "Difficile de lutter contre le crime si certains coupables appartiennent eux-mêmes à l'armée", constatait-il. Le chef des services secrets de l'armée, le général Socheat, et celui de la police militaire, le général Savuth, ont quelque chose d'autre en commun : leurs liens avec de puissants hommes d'affaires. A Phnom Penh, des gendarmes en uniforme et en civil montent la garde devant. le domicile du plus riche magnat du pays, Theng Bunma. D'autres sont chargés de la sécurité au casino Holiday International, dirigé par le même Bunma. En février 1994, près de Phnom Penh, des gendarmes ont expulsé par la force des centaines de familles d'une propriété appartenant à Buuma qui devait faire l'objet d'un projet immobilier. Le général Savuth a personnellement dirigé l'opération, au cours de laquelle nombre de villageois furent maltraités, un enfant tué par balle et un homme arrêté, puis exécuté, si l'on en croit des défenseurs des droits de l'homme venus de l'étranger.

La France s'offusque de tels événements. "Nous avons donné un avertissement officiel au gouvernement cambodgien: si le général Kien Savuth n'est pas limogé et remplacé à la tête de la police militaire, nous retirerons notre soutien. Nous serons dans l'obligation de suspendre notre programme d'aide aux forces de gendarmerie", déclare un haut responsable français à Phnom Penh. "Nous savons parfaitement à quoi nous en tenir avec cet homme. Il nous est impossible de continuer à le soutenir."

L'Australie, autre important bailleur de fonds du Cambodge, est placé devant le même dilemme. La majeure partie de son programme d'aide militaire est consacrée à la reconstitution de la marine cambodgienne. Mais selon des responsables de la sécurité certains éléments des forces navale ont tissé des liens étroits avec les syndicats du crime, qui utilisent les bâtiments de la marine pour transporter l'héroïne et la marijuana ou pour en assurer la protection. "Nous sommes extrêmement préoccupés par ce que nous avons appris", confie un responsable australien dans la capitale khmère.

La principale route empruntée pour l'exportation de la drogue passe dans la province côtière de Kas Kong, au sud ouest du pays, où l'ancien chef de la marine, l'amiral Tea Vinh, frère cadet du ministre de la Défense, Tea Ranh exerce une énorme influence. Un responsable étranger de la lutte contre le trafic de stupéfiants raconte que, depuis 1991, ses "services de renseignements effectuent chaque année de quatre à six saisies" d'héroïne raffinée de première qualité expédiée via Kas Kong. Chaque lot pèse au moins 300 kilos. Et ce n'est probablement que la partie visible de l'iceberg, ajoute-t-il. "La seule chose qui les arrête, c'est la météo."

Pourtant, les forces de l'ordre font des descentes à l'occasion. Ainsi, le 11 août de l'année dernière, des policiers et des agents des douanes ont mené une opération conjointe. Ils ont arraisonné une vedette au large de Ka Kong et saisi 71 kilos d'héroïne. Mais deux des trafiquants arrêtés étaient des policiers, qui ne tardèrent pas à dénoncer leur supérieur hiérarchique. "La province de Kas Kong est entièrement sous la coupe du milieu", dénonce un haut responsable cambodgien. "Pratiquement toute la classe politique se livre à des activités illégales."

RATE TNAYER

 

 

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COURRIER INTERNATIONAL N°284 DU 11 AU 17 AVRIL 1996, p. 34