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L'alcool est la drogue qui pèse le plus lourd sur la société française
Le « coût social » des drogues licites et illicites est calculé, pour la première fois en France, dans une étude remise à la Mildt. Sur un total de 218 milliards de francs de dépenses, l'alcool représente plus de la moitié, devant le tabac et loin devant les substances illicites.Le Monde daté du 26/10/1999. |
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EN FRANCE, l'alcool représente plus de la moitié (52,94 %) du coût social de l'ensemble des drogues, qu'elles soient licites (alcool, tabac) ou illicites (héroïne, cocaïne, cannabis, ecstasy, etc.). Le tabac occupe le deuxième rang avec 40,94 %, loin devant les drogues illicites (6,12 %). Le coût social, qui prend en compte les dépenses privées et publiques liées à la consommation de ces substances &endash; mais pas les recettes ou bénéfices qu'elle engendre, ni les coûts d'achat de ces substances &endash;, s'élève pour l'ensemble des drogues licites et illicites à 218 milliards de francs, soit 2,68 % du produit intérieur brut (PIB) français. L'alcool coûte 1,42 % du PIB, soit 1 966,28 francs par habitant, le tabac, 1 520,56 francs par habitant, les drogues illicites représentant une dépense de 227,43 francs par habitant.
Ces chiffres sont tirés d'un rapport, dont Le Monde révèle le contenu, commandé par l'Office français des drogues et des toxicomanies (OFDT), une agence gouvernementale jouant un rôle d'observatoire, et la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) à l'économiste Pierre Kopp, professeur à l'université de Panthéon-Sorbonne (Paris-I) et auteur de plusieurs travaux sur le sujet. Remise le 18 octobre, cette étude, qui est la première du genre en France, est actuellement en cours d'examen par le collège scientifique de l'OFDT. Jusqu'ici, quelques données avaient été avancées concernant l'alcool (rapport Got en 1997 et Parquet-Reynaud en 1999, ce dernier évoquant un coût de 80 milliards de francs, soit 1 % du PIB, pour la collectivité) et le tabac (rapport Recours en 1999), mais on ne disposait pas d'une approche macroéconomique globale et de données aussi détaillées. De plus, cette étude se situe dans le cadre du plan triennal de lutte contre la toxicomanie adopté le 16 juin (Le Monde du 18 juin), qui fait entrer l'alcool, le tabac et les psychotropes dans le champ des drogues.
Ces résultats font apparaître une « exception française », car, dans les études menées dans d'autres pays, le tabac arrive nettement en tête. Prenant le cas du Canada, Pierre Kopp écrit que le tabac y représente « 52 % du coût social, suivi de près par l'alcool (41 %) et enfin par les drogues illégales (7 %) ». En Australie, la même année, le coût social du tabac représentait 2,4 % du produit national brut, contre 1 % pour l'alcool et 0,4 % pour les drogues illicites. « Le coût social de l'alcool en France est approximativement 50 % plus élevé que dans ces deux pays, note l'auteur du rapport. Cette 'exception française' est certainement encore plus marquée que ce qu'indiquent nos chiffres. En effet, contrairement aux études canadienne et australienne, nous ne comptabilisons comme source du coût des crimes et délits attribuables à l'alcool que les infractions au code de la route et les homicides causés par des personnes sous l'emprise de l'alcool. Nous ne tenons pas compte, faute de données et contrairement aux études étrangères, des vols, viols, violences conjugales, violences sur enfants, blessures volontaires et petite délinquance imputables à l'alcool, ainsi que les coûts associés à ces aspects (...). »
L'économiste précise également que « le coût social des drogues illicites en France s'inscrit dans la norme des autres pays (...), c'est-à-dire bien loin derrière l'alcool et le tabac ». Pour autant, Pierre Kopp estime que cela ne suffit pas à constituer un argument pour « la légalisation des drogues illégales au vu de leur faible innocuité : leur coût social limité tient également au fait qu'elles sont peu consommées parce que interdites ».
La « composante la plus visible » du coût social des drogues est le nombre de décès qui leur sont imputables. Le rapport Kopp ne prend en compte dans le calcul du coût social que les décès prématurés, c'est-à-dire survenant plus tôt que ne le pronostique l'espérance de vie. Sur les 529 640 décès survenus au total en France en 1997, 82 287 sont des décès prématurés imputables aux drogues, soit 16,29 %. Pierre Kopp avance toutefois que cette proportion est « certainement sous-évaluée ». L'alcool en représente à lui seul 8,30 % (42 963 décès), le tabac 7,89 % (41 777 décès) et les drogues illicites 0,10 % (547 décès).
Toutefois, le coût social de l'ensemble des drogues licites et illicites se traduit avant tout par les « pertes de revenu et de production », dont la part est de 52,33 % du coût social (114,101 milliards de francs sur le total des 218,028 milliards de francs). Le deuxième poste est constitué par les dépenses de santé avec près de 47 milliards de francs (21,52 %), suivies par les pertes de prélèvements obligatoires (près de 25 milliards de francs, soit 11,445 %), les dépenses supportées par les assurances (plus de 23 milliards de francs, soit 10,6 %). Les dépenses des administrations publiques s'élèvent à 5,425 milliards, moins de 2,5 % du total du coût social.
Calculer précisément le coût social des drogues n'est pas chose aisée, et l'auteur du rapport n'en méconnaît pas les limites : « Il convient d'émettre certaines réserves qui sont de rigueur pour toute tentative d'estimation dans un domaine où les données sont souvent peu fiables. (...) L'ensemble des éléments constituant le 'coût social' n'a pu être comptabilisé. En effet, il apparaît que certaines données sont inexistantes, cet obstacle étant particulièrement criant pour le cas des drogues illicites. Ainsi, la contribution de ces dernières au "coût social" est sensiblement sous-évaluée. » Les coûts de santé entraînés par les drogues illicites par exemple ne comprennent que les coûts liés au « Sida-VIH » imputables aux drogues illicites et le coût lié au traitement de substitution par le Subutex. « Le coût social de l'alcool en France est approximativement 50 % plus élevé qu'au Canada ou en Australie »Pierre Kopp ajoute que « les dépenses de santé imputables à l'alcool sont sous-évaluées relativement à celles afférant au tabac. (...) Il apparaît qu'une grande proportion de patients hospitaliers ont des problèmes d'alcoolémie, bien que les diagnostics principaux et secondaires [figurant dans les résumés des séjours hospitaliers recensés dans la base de données informatisées du Programme médicalisé des systèmes d'information (PMSI)] ne les mentionnent pas. » Additionnés à d'autres dépenses qui n'ont pu être comptabilisées (dépenses de services de secours-pompiers, service médical d'urgence, crimes et délits autres que les infractions au code de la route imputables à l'alcool et infractions à la loi sur les stupéfiants, etc.), ces facteurs constituent des « biais minorants dans l'évaluation du coût social ». Ce qui, indique le rapporteur, devrait faire revoir à la hausse ses évaluations pourtant déjà impressionnantes. Paul Benkimoun Lire également : Médecins et producteurs d'alcool s'opposent sur la fiabilité des chiffres utilisés |
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