Trois questions à... Pierre Kopp

Le Monde daté du 26/10/1999.

 

 

1 Après plusieurs études sur le sujet, vous venez de rendre un rapport sur le coût social des drogues licites et illicites. Pourquoi évoquez-vous une « exception française » ?

 

 

Les études existantes, menées dans des pays comparables à la France, montrent que le coût social du tabac devance celui de l'alcool. En France, le phénomène est inverse. A cela, deux explications peuvent être avancées. Le niveau de consommation d'alcool en France est exceptionnellement élevé. Contrairement à l'idée reçue d'une consommation très socialisée et maîtrisée, cette dernière est mal gérée et l'addition est lourde, en termes d'accidents de la circulation et, sur le lieu de travail, de pertes de productivité et d'absentéisme.

 

 

 

 

2 Quelles sont les limites d'une évaluation telle que celle que vous venez de faire ?

 

 

Nous ne disposons pas de toutes les données nécessaires à un calcul exhaustif du coût social. C'est pour cette raison que le rapport fournit toutes les clés de calcul utilisées et que ces calculs sont faits uniquement sur les données existantes sans extrapoler lorsque des données manquent. Par exemple, nous ne disposons pas de statistiques sur le taux d'alcool dans le sang pour tous les meurtres, toutes les violences sur la voie publique ou au domicile. Les chiffres du rapport concernant l'alcool sont très sous-évalués, davantage que ceux des drogues illicites. Le dernier rapport officiel américain précise d'ailleurs que la criminalité engendrée par l'alcool a un coût supérieur à celle liée aux drogues illicites.

 

 

 

 

3 En regard des dépenses que vous avez recensées, n'existe-t-il pas des bénéfices qui pourraient excéder ces coûts, notamment pour l'Etat ?

 

 

Il est frappant de constater les distorsions collectives de la perception des dangers liés à l'alcool. A partir de données scientifiques encore en discussion sur les bienfaits sur le plan cardio-vasculaire de la consommation régulière d'une petite quantité d'alcool, on n'hésite pas à vanter une supposée « exception française ». Pourtant, le fardeau social que représente l'alcool en France apparaît clairement. Les recettes fiscales qu'il procure à l'Etat sont loin d'atteindre le 1,42 % du produit intérieur brut qu'il coûte à la collectivité. De plus, l'argument est fallacieux sur le plan intellectuel : le médecin qui soigne une personne atteinte d'une hépatite chronique liée à l'alcool ne se retrouverait pas au chômage si son patient cessait de boire.

  Propos recueillis par Paul Benkimoun

 

 

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