Médecins et producteurs d'alcool s'opposent sur la fiabilité des chiffres utilisés

 

Le Monde daté du 26/10/1999.

 

 

 

« L'ÉVALUATION du coût social de l'ensemble des substances psycho-actives est une tâche formidablement importante, estime le professeur Philippe-Jean Parquet (université de Lille-II), auteur notamment avec le professeur Michel Reynaud (CHU de Clermont-Ferrand) d'un rapport sur « Les personnes en difficulté avec l'alcool » remis le 17 mars ( Le Monde du 19 mars). Il faut cependant que les définitions des cliniciens et des économistes se recoupent. Nous distinguons trois types de comportement de consommation de substances psycho-actives : la dépendance, où la vie entière de la personne est organisée autour de la substance ; l'usage nocif, caractérisé par des dommages physiques, psychologiques et sociaux en l'absence de dépendance ; le reste étant l'usage sans dommage. L'intérêt majeur du rapport de Pierre Kopp est de prendre en compte aussi bien la dépendance que l'usage nocif. Il va au près plus de la réalité sans se focaliser sur les personnes dépendantes. Ce type d'approche économique permet de fonder une politique de santé publique, qui soit à la hauteur des enjeux. »

 

 

Pour le professeur Parquet, psychiatre, le chiffre de près de 53 % du coût social imputable à l'alcool revêt également une grande importance : « Il existe en France un déni de l'ampleur des comportements d'alcoolisation dommageables. Avec ce pourcentage, l'alcool est remis à sa juste place dans le prix que la nation a à payer. Le tabac, l'héroïne et les autres drogues illicites ne sont pas les plus coûteux. » Pour lui, les raisons de prépondérance particulière de l'alcool dans le coût social de l'ensemble des drogues sont multiples : « La consommation d'alcool en France fait partie de nos habitudes. Son coût élevé reflète la négligence de la population et celle des pouvoirs publics. Il signe le déficit du dispositif sanitaire à l'égard de l'alcool. Le déni des dommages liés à l'alcool fait qu'ils ne sont pas repérés précocement et apparaissent dans leur plein développement. Au Canada, il existe une culture qui a été donnée à la population. Celle-ci est persuadée des dommages provoqués par l'alcool. »

 

 

  « CHIFFRES FANTAISISTES »

 

 

Du côté d'Entreprise et prévention, qui réunit les principales entreprises du secteur des boissons alcoolisées « autour de la lutte contre l'abus d'alcool et pour une consommation raisonnable fondée sur la maîtrise des risques », le son de cloche est différent. Claude Risac, président d'Entreprise et prévention, indique que l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) était censé porter ce document à sa connaissance, ce qui n'a pas été le cas. « Si une étude économique est effectivement intéressante à mener, note Claude Risac, je constate que tous les interlocuteurs scientifiques et institutionnels se plaignent de ne pas disposer de données fiables, en particulier sur la morbidité. C'est déjà le cas pour l'alcool et le tabac, alors pour les drogues illicites, les chiffres sont totalement fantaisistes. »

 

 

Pour le président d'Entreprise et prévention, les travaux qui comparent les substances licites et les substances illicites aboutissent le plus souvent, même involontairement, à suggérer une tolérance vis-à-vis des drogues illicites. Enfin, Claude Risac espère qu'à quelques semaines du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, « l'Etat ne se comporte pas en assureur cynique en mettant en avant ses dépenses supposées ou réelles dans ce domaine pour réclamer des primes correspondantes aux entreprises du secteur. »

P. Be.

 

 

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