Les nouvelles routes des drogues

 

Nouveaux producteurs, nouvelles routes

 

PAKISTAN

Drogues, politique et industrie semblent être, dans ce pays, intimement mêlées. Ainsi, c'est à la suite de fortes pressions américaines sur le gouvernement pakistanais que Rafi Muneer fut arrêté, en mai 1993, après la saisie de 12 tonnes de haschisch. Issu d'une famille d'industriels de Karachi, Rafi Muneer avait été le bras droit de Zuificar Ali Bhutto avant que ce dernier ne soit assassiné par la dictature militaire du général Zia.

 

Le Baloutchistan, paradis des narcos

Cette région à cheval sur trois frontières est devenue la voie royale des trafiquants afghans et pakistanais. Elle leur permet non seulement d'éviter le très répressif régime iranien, mais aussi de travailler main dans la main avec des polices des douanes ultracorrompues.

The Nation LAHORE

QUETTA

Le Baloutchistan offre des débouchés maritimes et terrestres aux narcotrafiquants qui opèrent dans cette province pakistanaise et en Afghanistan. En raison de l'absence ou des carences de l'administration centrale et provinciale, ils empruntent les routes en toute quiétude pour leur plus grand profit. En fait, après enquête, nous avons acquis la preuve que la région côtière du Makran est devenue une plaque tournante du trafic de drogue. Les narcotrafiquants hésitent apparemment à faire passer leurs marchandises par l'Iran, où ils risquent la pendaison. Pourtant, ce pays leur offre un accès routier commode vers la Turquie, puis l'Europe, l'un de leurs principaux débouchés.

D'où l'importance stratégique de la région côtière du Makran [voir carte pp. 30-31]. Dans une certaine mesure, le port de Karachi sert également à l'expédition de la drogue vers l'étranger, surtout en raison de la situation anarchique qui prévaut actuellement dans la capitale économique du Pakistan. La passe de Khyber et le point de passage d'Azam Khan, à la frontière entre la province afghane de Kandahar et le Baloutchistan, restent toutefois les deux routes normalement empruntées par les trafiquants installés en Afghanistan. Depuis ce pays, ils introduisent la drogue purifiée au Pakistan, en direction de la côte méridionale du Baloutchistan. "Les narcos avancent le long de la frontière. A la moindre alerte du côté pakistanais, ils passent en territoire afghan. C'est comme ça qu'ils opèrent et, en général, ils réussissent à atteindre la région côtière du Makran", explique un garde du poste frontière près d'Azam Khan. Le camion est l'un des moyens de transport fréquemment utilisé par les trafiquants. Les hommes des barons de la drogue parcourent des centaines de kilomètres, souvent sans être inquiétés - leur sécurité étant assurée, selon certains, par des hauts fonctionnaires locaux, en principe chargés de la répression des stupéfiants.

Ainsi, d'après les informations nous avons recueillies auprès de l'agence de sécurité de l'Etat, bénéficient-ils de complicités au sein même des services de douane et de police, chez les gardes-frontières, dans les services de renseignements fédéraux et jusque dans le Pakistan Narcoties Control Board [le bureau des stupéfiants pakistanais]. " Les barons de la drogue et les autorités on tissé des liens étroits qu'il est très difficile de dénouer", reconnaît un responsable de l'agence. "En général, on n'arrête pas les gros poissons,mais le menu fretin, que les chefs finissent parfaire libérer", ajoute t-il. "La lutte contre le trafic n'est pas de notre ressort, puisque de nombreux services de renseignements en sont chargés", confie un responsable de la police. "Et tout le monde sait que nombre de leurs agents sont de mèche avec les barons de la drogue. " Souvent, les services gouvernementaux se montrent également impuissants. Par exemple, les rencontres entre narcotrafiquants et Jawans du Frontier Corps [gardes-frontières], qui patrouillent le long de la frontière du Kandahar, sont devenues courantes depuis le début des années 90. Les gros trafiquants afghans enlèvent fréquemment des gardes-frontières et les gardent en otages en Afghanistan. Ils ne les relâchent qu'après avoir monnayé un "passage sûr".

 

Un journaliste local nous a raconté l'un de ces épisodes qui, bien que n'impliquant directement aucun baron de la drogue, souligne l'impuissance des gardes-frontières. C'était avant l'apparition des talibans [l'une des factions de l'actuelle guerre civile afghane] dans le Kandahar, en 1995. Le commandant Ismatullah, de la milice musulmane communiste Ismat, protecteur de narcotrafiquants, participait à une soirée bien arrosée. Après quoi, il rassembla une cinquantaine de ses hommes et pénétra avec eux au Pakistan, en direction d'un camp de gardes-frontières dans le district de Pishin [près de Quetta]. Les Afghans mirent à sac le camp dont ils humilièrent le commandant, un colonel, s'emparèrent de toutes les armes et prirent deux gardes-frontières en otages.

 

ISHTIAQ AHMAD

 

 

 

KAZAKHSTAN

Le relais de la filière chinoise

Selon l'hebdomadaire russe Vek, le Kazakhstan, une des cinq Républiques ex-soviétiques d'Asie centrale, produit d'importantes quantités de pavots et d'opium. Une production qui n'a pas d'équivalent dans la reste de la CEI (Confédération des Etats indépendants), voire dans le monde. Mais cet immense pays n'est pas seulement fournisseur de drogues l'importation y devient un problème de plus en plus aigu. Avant tout, l'opium arrive d'Afghanistan et du Tadjikistan, "Mais ce qui inquiète surtout la police kazakhe, c'est la Chine, poursuit l'hebdomadaire. On sait que la mafia de la drogue s'y est beaucoup développée ces dernières années. C'est dans le sud de la Chine que se trouve la matière première, et la transformation se fait de plus en plus au nord, vers la frontière avec le Kazakhstan. L'important trafic de marchandises et de passagers entre les deux pays, et /a transparence des frontières à l'intérieur de la CEI, créent les conditions favorables au transit de l'héroïne et de l'opium depuis l'Asie du Sud-Est vers l'Occident."

 

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COURRIER INTERNATIONAL N°284 DU 11 AU 17 AVRIL 1996, p. 40