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La guerre à la drogue profite « aux chats et aux souris »

Le Canadien John A. Gayder est actuellement officier de la Niagara Parks police à Niagara Falls (Ontario). Les opinions exprimées ici ne reflètent en aucune façon les positions officielles de son employeur ou de toute autre agence.

Par A.Au

Libération du jeudi 25 novembre 2004

 

« Si nous légalisons les drogues, les problèmes d'addiction demeureront, mais les problèmes liés au marché et au contrôle de la qualité (comme le problème des gangs) disparaîtront

Que pensiez-vous de la guerre à la drogue lorsque vous avez rejoint la police ?

J'avais déjà une opinion bien tranchée. Quand j'étais jeune, j'ai vu des amis et même un membre de ma famille devenir des cibles de cette guerre. Ces gens étaient par ailleurs parfaitement intelligents et dotés par Dieu de leur liberté de choix. Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi la police se permettait de s'immiscer dans leur vie. Rien de ce que j'ai vu au cours de ma carrière n'est venu modifier cette opinion, si ce n'est pour la renforcer.

Lorsque vous avez publiquement critiqué la guerre à la drogue pour la première fois, comment ont réagi vos collègues ?

La réforme des politiques antidrogues n'est pas le premier sujet de société à propos duquel je me suis engagé. Ça n'a donc pas été une surprise. Beaucoup sont d'accord avec moi, même si la plupart ne sont pas aussi passionnés par le sujet. Je garde d'excellents rapports avec ceux qui désapprouvent mes positions, parce que je ne prêche pas et que je reconnais qu'il peut y avoir des divergences d'opinions entre êtres intelligent et raisonnables.

Certains pensent qu'il y a déjà assez de problèmes avec le tabac et l'alcool...

Que suggèrent-ils ? D'interdire le tabac et l'alcool ? Nous avons essayé d'interdire l'alcool dans les années 20 et nous avons engendré un monde criminel souterrain qui n'a jamais été égalé jusqu'à, et ce n'est pas une surprise, la prohibition des drogues. Il est certain que, même légaux, tabac et alcool créent des problèmes sociaux, mais de nombreux autres problèmes s'y ajouteraient si nous les interdisions.

La colonne vertébrale de ce genre de positions est que, parce qu'elles sont illégales, nous n'avons aujourd'hui pas de problèmes avec les drogues. Ces gens tentent de sauver ce qui peut l'être du système légal en prétendant que la situation pourrait être pire encore avec la légalisation. Si nous légalisons les drogues, les problèmes d'addiction demeureront, mais les problèmes liés au marché et au contrôle de la qualité (comme le problème des gangs) disparaîtront. Le nombre d'overdoses s'effondrera.

Comment expliquer l'attachement de l'Amérique à sa guerre à la drogue ?

Les Américains peuvent, avec raison, prétendre ne jamais avoir perdu de guerre. Aucun maire, député, sénateur ou Président ne veut donc être celui qui aura « perdu » la guerre à la drogue. La terminologie est importante. Dans les livres d'histoire, à propos de la fin de la prohibition de l'alcool en 1933, on ne dit pas que l'Amérique aurait perdu sa « guerre à l'alcool » mais qu'elle a abandonné « une noble expérience ». Malheureusement, quand le président Nixon a forgé le terme « guerre à la drogue » (en 1968, ndlr), il a lié à jamais le dossier drogues à la guerre et à ce que l'on peut en attendre : propagande, suspension temporaire des libertés publiques, capture d'ennemis, décompte des morts, tonnes saisies, batailles, braves soldats et, enfin, victoire.

Pensez-vous qu'Européens et Canadiens ont une approche plus « rationnelle » de cette question ?

Peut-être dans ce domaine, mais encore de manière très ténue. Le Canada ne fait que de petits pas en avant. Je suis plus qu'hésitant à revendiquer une quelconque « fierté nationale » ou à accabler les Etats-Unis. Car qu'on le veuille ou non, les Etats-Unis sont une puissance diplomatique avec laquelle il faut compter.

Qui profite de la guerre à la drogue ?

A la fois les chats et les souris. Contrairement à ce que l'on pense généralement, les guerres ne créent pas de richesses. Elles ne font que rediriger la richesse vers les industries impliquées dans le conflit. Pour la guerre à la drogue, il s'agirait de ceux qui produisent et vendent les narcotiques et des agences gouvernementales qui les combattent. Fabriquer et distribuer des substances illégales est risqué, les gens qui s'en chargent réclament donc des salaires élevés. Les pourchasser est également risqué, ce qui réclame des salaires encore plus élevés, beaucoup de main-d'¦uvre et des moyens techniques sophistiqués. Pour financer tout cela, la police demande - et obtient généralement - des budgets toujours plus importants.

Regrettez-vous d'avoir pris part à cette guerre à la drogue ?

J'ai toujours exercé avec la plus grande prudence les pouvoirs qui m'ont été confiés, de manière à pouvoir toujours me regarder dans la glace. Ce que je regrette, et qui est source d'interminables nuits blanches, c'est que la guerre à la drogue a souillé l'ensemble de ma profession. Je travaille dur pour attaquer ce problème à la base : en mettant fin à la prohibition.

 

© libération

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