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En guise de FAQ temporaire, ce texte, paru sur un forum web, d'un partisan d'une réforme de la loi sur les drogues répondant à ses détracteurs.

 

" 1) Je suis déjà contre la consommation de la principale " drogue douce " qu'est le tabac alors le cannabis... "

 

Personne ne vous demande d'être pour cette consommation, bien au contraire. La question n'est pas là, la question est : est-il justifié de pénaliser cette consommation ? Ce qui est une autre question.

 

" 2) Etant père de famille, je crois que je ne supporterais pas de voir mes enfants fumer cette drogue, d'autant plus que la consommation de cannabis drogue dite douce peut entraîner une frange des consommateurs vers des drogues moins douces. "

 

Je comprends vos angoisses de père de famille, et n'ai rien à dire de cela (d'autant que je suis moi-même père de famille). Mais l'escalade à laquelle vous faites allusion n'a pas lieu de vous inquiéter outre mesure, car elle est fausse dans 95 % des cas. Ce n'est pas le cannabis qui fait passer à des drogues plus dures, mais le dealer, entend-on souvent dire, autrement dit la clandestinité. Mais en réalité c'est beaucoup plus complexe que ça, sinon il y aurait beaucoup plus d'héroïnodépendants. Attention aussi, car l'incompréhension, la dramatisation des parents peut être un facteur aggravant aussi. [Pour en savoir plus sur la théorie de l'escalade].

 

" 3) Enfin est-il nécessaire de parler des futurs cancers qui seront dus à l'inhalation de ces diverses fumées ? "

 

C'est un véritable problème, d'accord avec vous, d'autant que la plupart des fumeurs de cannabis sont aussi des fumeurs de tabac. Mais cela justifie-t-il pour autant qu'on traîne leurs adeptes par milliers devant les tribunaux et qu'on les jette en prison ? Et, pour être logique, il ne faudrait pas, avec votre argument, faire de distinction entre fumeurs de tabac et fumeurs de cannabis (reste à savoir dans quel sens ?). Donc en quoi cette discrimination légale se justifierait-elle si la similitude est si forte ? Surtout depuis que le rapport Roques a classé le cannabis comme moins toxique que le tabac...

 

La pénalisation, quelle belle façon de penser à la santé !... Mais c'était peut-être pour leur liberté, n'est-ce pas ? La question est donc bien : faut-il dépénaliser ? Et j'y réponds oui, et même légaliser. Cette question n'est pas : est-ce bien ou bon pour la santé de fumer du cannabis ? Car, là, comme vous, je réponds non, bien sûr, car il est impossible de répondre autre chose. Essayons donc de répondre à la question posée ici, puisque la réponse à l'autre question est claire, et qui est : " Faut-il dépénaliser, légaliser le cannabis ? "

 

 

Votre long discours sur la dépénalisation s'appuie finalement sur deux arguments :

 

" 1. les méfaits de l'incarcération

" 2. la liberté absolue de s'intoxiquer

 

" 1. Le problème lié à l'incarcération est en fait un autre débat, car on enferme aussi de jeunes délinquants pour bien d'autres raisons. Et nous n'allons tout de même pas légaliser tous les motifs ! Il existe néanmoins les peines de substitution. Appliquons-les. "

 

Attention à cet argument : il y a les délinquants, qui ont commis des atteintes aux biens ou aux personnes, qui ont des victimes qui ont porté plainte contre eux. Et puis il y a les autres, considérés par un texte que je dénonce comme délinquants et qui sont traités comme tels alors que personne n'a eu à se plaindre d'eux, si ce n'est de leur existence même et uniquement, motif scandaleux s'il en est. La nuance est de taille.

 

Quant aux peines de substitution, il y a un risque grave de dérive. Une véritable économie peut se bâtir à faire travailler gratuitement les fumeurs qui auront eu la malchance de se faire prendre, et il y en a tellement, de ces fumeurs de cannabis - 3millions au moins -, que cette main-d'oeuvre d'un nouveau genre peut constituer un nouvel esclavage institutionnel et creuser davantage les déficits d'emplois et de salaires.

 

" 2. C'est le peuple qui définit ses valeurs et lui seul. Plutôt que d'entériner le mal et de s'y attarder, il est bien plus urgent de définir des mesures curatives (en vue d'une guérison) puis préventives, comme le font tous les services de maintenance des PME modernes... "

 

J'ai du mal à suivre, on dirait à vous lire que les drogues ne sont là que depuis l'année dernière. Les toxicomanies ne sont pas toutes des maladies et n'ont pas toutes à être soignées, surtout contre le gré du "patient-délinquant". Quant aux toxicomanies à problèmes réels, commencer les soins avec le sevrage comme premier et unique objectif n'a pas donné beaucoup de résultats probants, sauf pour certains profils bien particuliers. Mais cela ne concerne pas le cannabis, dont l'usage peut être considéré comme un vice, une mauvaise habitude malsaine, mais pas encore comme une maladie. Ou alors regarder la télévision trop longtemps est une maladie aussi.

 

Et puisqu'on parle " du peuple qui définit ses valeurs ", cela sous-entend donc que l'alcoolisme est une " valeur ", comme le tabagisme, puisqu'ils ne sont pas légalement interdits, définis par le peuple. Bien sûr, il ne s'agit pas de cela, la formule est juste maladroite. Toutes les valeurs n'ont pas à passer par la loi non plus, il faudrait revoir la définition de la loi elle-même, telle qu'elle est définie par la Constitution dans son préambule (Déclaration des droits de l'homme). Et elle n'est pas faite pour définir des valeurs, ce n'est pas sa définition ni sa fonction, ou alors ce serait un régime totalitaire !

 

" Vos propos sont déjà " obsolescents" au sens économique du terme. Porter ce débat à l'Assemblée, comme vous le souhaitez tant, est déjà anachronique."

 

Ce n'est pas une bonne manière d'enterrer le débat, le coup du "faux débat" est un vieil artifice pour l'éviter. C'est vrai que cela ressemble à un combat d'arrière-garde, mais à qui la faute ? Je préférerais débattre du comment, en ce qui me concerne, ce serait autrement plus constructif...

 

" Le vrai débat serait comment organiser la prévention de ce fléau et pas comment s'y accoutumer."

 

En vingt-cinq ans de préventions diverses, faites de mensonges et sans autre but que de justifier la loi, vous constatez comme moi les résultats... Si on refuse de s'" accoutumer " à une réalité sociale, ce n'est pas cela qui l'arrangera ou la fera disparaître - bien au contraire ! Votre logique de refuser de s'" accoutumer " est appliquée avec rigueur et fanatisme par tous les corps de l'Etat à ce jour. Pensez-vous que le résultat soit vraiment concluant ? Il n'y a ni faux ni vrai débat, mais bien deux débats distincts.

 

" Car il y a tout de même deux populations : les adultes et les ados. "

 

Je pense que l'on va bientôt trouver un point de cristallisation d'un consensus... Bien entendu, les questions ne se posent pas dans les mêmes termes, mais doit-on condamner des adultes pour leur conduite envers eux-mêmes au nom de la protection de l'enfance ? Autant condamer les homosexuels ou les partouzeurs, et même tout adulte ayant une vie sexuelle, car il existe par ailleurs des cas de pédophilie...

 

" Seuls les seconds me préoccupent. "

 

Et vous avez bien raison ! Mais il faut bien constater que la situation actuelle ainsi que les moyens et méthodes employés ne sont guère efficaces, et qu'on ne peut être que préoccupé. C'est dire l'efficacité du système que vous défendez !... Si cela avait été la bonne solution, on ne serait pas préoccupé de la sorte... L'illégalité du commerce du hasch fait pénétrer davantage chez les mineurs ce produit que s'il était légalisé, il faudra bien un jour l'admettre. Une vente légale réservée aux adultes limiterait de facto l'accès au mineur, si les choses sont bien faites, bien entendu, en tuant le marché noir. Mais j'ai peur que l'on ait déjà trop tardé, car si c'est déjà le cas déjà actuellement, avec cette descente en âge de l'entrée dans la consommation, cela va être dur à enrayer... Mais on ne peut pas dire que c'est la faute d'une quelconque légalisation, au contraire !

 

" Comment les épargner ? "

 

Question sérieuse à laquelle on peut réfléchir aussi dans le cadre d'une légalisation. Et la preuve est loin d'être amenée que la prohibition a réellement permis de " les épargner "... Sinon, vous n'auriez aucune raison d'être inquiet.

 

" De gré ou de force ? "

 

On peut poser la question, mais j'y réponds non sans ambiguïté ! On ne peut rien faire sans le consentement du patient, c'est dans l'éthique même de la médecine. Si un malade refuse une opération qui, pourtant, lui sauverait la vie, pour une raison personnelle qu'il n'a pas forcément à faire connaître, on ne peut pas l'opérer de force, même s'il va mourir sans cela. On peut en discuter à ce niveau-là, certes, mais ce n'est pas le sujet, d'autant qu'avec le cannabis et son zéro décès la question ne se pose pas avec la même acuité.

 

" Certes la prison n'est pas la solution. "

 

Je sens vraiment qu'on va trouver des points de consensus. C'est une évidence, mais c'est pourtant ce prévoit cette loi que vous défendez.

 

" Minimiser les risques du hasch non plus. "

 

Il n'en est nullement question, mais on a tant exagéré sur ses dommages que de le présenter tel qu'il est réellement peut paraître aujourd'hui une " minimilisation ". Ons'est assez plaint de malhonnêteté dans l'information jusqu'à aujourd'hui ; et il n'est pas dans l'intérêt des fumeurs de vouloir ignorer les risques réels —c'est même un sujet légitime de curiosité et d'inquiétude pour ceux-ci !... Mais reportez-vous donc au très sérieux rapport Roques, et vous verrez que ce n'est pas nous qui exagérons, mais vous.

 

" Faciliter l'accès au produit, encore moins."

 

Tout dépend à qui et du comment cet accès est facilité — les possibilités sont suffisamment nombreuses pour entrevoir des conséquences différentes en fonction des choix retenus, avec sans doute de bonnes et de mauvaises solutions, dont on peut débattre, en sachant bien qu'aucune ne peut constituer une panacée.

Vous pensez sans doute aux mauvaises solutions de légalisation... Et moi, je crois penser aux bonnes... D'où la nécessité d'en débattre, car cela ne signifie pas forcément la même chose pour vous ou pour moi. Mais faciliter l'accès aux majeurs limiterait mécaniquement l'accès aux mineurs.

Quand une loi est absurde, elle n'est pas respectée ; quand un règlement se justifie, on ne le transgresse pas,ou vraiment très peu, au risque de lourdes sanctions, risque bien inutile et stupide pour un tenancier de " cannabistrot " dans le cadre d'une légalisation... Lequel, avec ses prix et son statut " non commercial ", rendrait tout trafic trop peu rentable pour valoir le risque encouru, qui resterait indentique à celui d'aujourd'hui. Le jeu de dominos des causes à effets marche aussi bien dans un sens que dans l'autre, mais plus on attend, et plus il sera long et difficile d'assainir la situation.

 

" Quelle différence y a-t-il entre petits et gros dealers ? "

 

Quelle différence y a-t-il entre une banque multinationale et mes économies ? La différence est à peu près du même ordre.

 

" Après dépénalisation quels seront les revenus des petits dealers ? Le vol à la tire, la prostitution ?"

 

Je m'attendais un jour ou l'autre à cet argument ici, que je range dans la catégorie " tartes à la crème " par leur côté burlesque. C'est le genre d'argument que l'on sort pour tenter d'en avoir encore de "valables" pour que les choses ne changent pas, une fois les premiers sortis tombés dans l'absurde au cours d'un débat. Cette dialectique sur la faillite des dealers — et des banlieues — suite à une légalisation est particulièrement grave en termes juridiques et d'Etat de droit, car elle sous-tend que, pour faire face à certaines incuries sociales, il faut des activités illégales pour que ces banlieues avec leurs petits dealers survivent. Belle conception républicaine !

 

On ne se rend pas compte tout ce qu'il peut y avoir de dangereux et de scandaleux dans cet argument anti-social et amoral : on accepte de facto que les personnes vivant dans des ghettos nommés banlieues ou usagers de drogues n'aient d'autre solution que le trafic illicite pour vivre, et on préfère le trafic illégal de shit aux autres activités illégales, et pour inciter vers ce trafic, il faudrait maintenir la pénalisation ? Où est l'incitation ? Et n'est-ce pas une façon maladroite et malhonnête de confirmer que la prohibition est le moteur des trafics, donc de la propagation ? Argument irrecevable en conséquence.

 

Irrecevable aussi par le fait que, une fois le cannabis légalisé, les tensions entre " autorité " et "jeunes " (pas tous bien sûr) devraient se calmer un peu, beaucoup moins d'entre eux ayant à craindre d'être traités en délinquants par la police à cause du shit (sans parler de quelques emplois en perspective...). Reste bien entendu les petites frappes, les vraies, mais celles-ci ne disposeront plus du bienveillant silence protecteur de leurs clients —souvent leurs obligés —, qui n'avaient avant d'autre choix que de s'adresser à elles pour se fournir (et la qualité n'était pas toujours au rendez-vous, mais d'autres produits plus dangereux...).Il faut savoir ce qu'on veut : de la sécurité dans la légalité ou des zones de non-droit avec économie parallèle. Et c'est cette dernière proposition que l'on défend sans s'en rendre compte avec cet argument particulièrement cynique pour justifier la prohibition, et en croyant faire du "social " en plus... C'est véritablement révoltant ! Doublement irrecevable comme argument.

 

Dans ce cas, soyez logique jusqu'au bout : pour faire faire des économies à l'Etat, on devrait dépénaliser totalement et laisser faire sans poursuivre... Là il pourrait dire vraiment qu'on se soucie du sort de ces "pauvres dealers" qui seraient en faillite à cause de la légalisation. Pourquoi pas ? Mais je crains que cela pose beaucoup de problèmes.

 

Je reviens sur un élément de ma réponse, car on m'a objecté un argument aussi classique qu'imbécile, et qui a le don de m'énerver un peu. Je reprends donc son passage : " Après dépénalisation quels seront les revenus des petits dealers ? Le vol à la tire, la prostitution ? "

 

Belle préoccupation s'il en est. La prohibition du cannabis est justifiée, par cet argument stupide, par le fait qu'il vaut mieux être dealer de shit que gangster ou prostitué. Elle est présentée de la sorte comme une nécessité pour fournir des activités illégales qui seraient un moindre mal — reconnaissant tacitement que le cannabis ne cause pas de problèmes trop graves — pour certaines catégories de la population.

 

Si le cannabis est une catastrophe et qu'il faille à tout prix — pour éviter le vol à la tire ou la prostitution — fournir aux mafias un commerce illicite pour vivre qui ne soit pas trop dommageable à la société, je propose, suivant ce même cheminement de la pensée, qu'on prohibe alcool et tabac d'urgence, produits jusque-là considérés comme tolérables actuellement car non illicites, donc plus tolérables que le cannabis, et voir ainsi ces organisations criminelles reprendre ce commerce, dans l'illégalité cette fois, au détriment des autres commerces, comme le cannabis. Il faut mieux un dealer de tabac ou d'alcool que de hasch, non ? Au moins il vivra, aura de l'argent, fournira une matière première pour assurer des promotions dans certains services de police (ascenseur de carrière, comme pour les drogues actuellement), et on limiterait ainsi spectaculairement l'offre en autres drogues illicites, à commencer par le cannabis... Est-ce cela à quoi il pensait ?

 

Et au moins, dans cette hypothèse, il n'y aurait plus cette injustice entre alcool et cannabis. S'il pensait à cela, je serais presque d'accord... que tous goûtent aux délices de la prohibition !

 

" La loi n'est pas faite pour faire plaisir au peuple. "

 

Je suis entièrement d'accord ! Sinon c'est le triomphe de la démagogie. Mais pas avec les interprétations abusives auxquelles elle peut donner lieu, qui, elles, tentent de justifier un Etat autoritaire (totalitaire ?).

La loi "n'est pas faite pour faire plaisir", car la loi est faite pour répondre à des nécessités impérieuses, c'est tout. Vous n'apportez qu'une précision logique à une définition préexistante, mais la définition elle-même de la loi est dans la Déclaration des droits de l'homme (Préambule de la Constitution)...

 

La loi est un moyen ultime, elle ne doit pas être faite par facilité pratique pour satisfaire une catégorie particulière (le démagogique "faire plaisir ") car aucune loi ne satisfait tout le monde. Elle ne doit répondre qu'à une stricte nécessité d'intêret commun et de défense des valeurs républicaines LAIQUES (j'insiste encore sur cet adjectif !), en garantissant les équilibres et les droits de chacun. Celle-ci se doit entre autres de protéger les minorités des abus de la majorité, selon le même principe que la protection des plus faibles face aux appétits des plus forts. Elle ne doit donc pas, par exemple, servir à une quelconque chasse aux sorcières " pour faire plaisir* " à ceux qui auraient de l'intolérance ou autre sentiment de ce genre à défouler (sur d'autres religions ou races, ce n'est plus possible légalement, mais les "drogués" font encore parfaitement l'affaire). Une loi — honte de notre droit positif — fait malgré tout exception : la loi du 31 décembre 1970.

S'il faut une légalisation du cannabis, ce n'est pas pour faire plaisir aux fumeurs ou autres, mais uniquement parce que c'est nécessaire et juste. Et tant pis si ça ne fait pas plaisir à tout le monde, même si c'est une "majorité".

* Ou exprimer une valeur particulière...

 

" Une drogue légale de plus ? non merci "

 

" Poser le problème d'une dépénalisation du cannabis en termes de choix individuel et de comportement privé relève de l'angélisme, au mieux."

 

Telle quelle, c'est une affirmation gratuite, qui mériterait d'être développée pour être discutée. Si la suite est le développement de cette idée, mes réponses seront ci-dessous.

 

" Aucune drogue ne se prend librement. "

 

C'est à voir, ce n'est pas si simple. Et si cette affirmation est totalement vraie, il n'y a alors aucune raison alors à considérer l'usage (et ce qui va avec) comme un délit, puisqu'il n'y a aucune responsabilité dans l'acte... Selon ce qu'on veut faire de l'usager de drogues, on est donc prêt à en modifier ses définitions pour mieux le punir, ce qui prouve bien la cohérence du discours prohibitionniste et oblige à en chercher des causes inavouables.

 

" Qui peut sérieusement prétendre qu'il a un jour librement décidé de commencer à fumer du tabac où à boire de l'alcool ? "

 

Et qui peut dire qu'on l'a forcé, obligé ? C'est entre les deux, il s'est simplement senti obligé ou poussé par la curiosité ; c'est souvent un rite d'initiation vers l'âge adulte. Autrefois, c'était la première cuite (et les suivantes, considérées comme autant d'exploits), à la sortie de l'adolescence, où on rentrait dans la communauté adulte, constituée que de buveurs, et dont on adoptait son folklore : " Il est des nôtres... " Ce rite spontané avait aussi une valeur de lien entre générations, et c'est pour cela que peu de personnes le remettent en cause. L'initiation au tabac est un peu différente, très complexe, et j'aurais du mal à l'exposer sans être terriblement long.

 

Enfin, l'initiation au cannabis. Contrairement au rite de l'ivresse alcoolique, qui lie le récipiendaire à la communauté adulte dans son ensemble, celui du cannabis ne lie l'adepte néophyte qu'à ses semblables de sa génération (d'où le refus inconscient des générations précédentes) légèrement en avance sur lui. Il ne s'agit plus d'un lien avec l'ensemble de la société, mais avec une tribu restreinte, une bande dans laquelle le jeune rentre, à mi-chemin entre un modèle familial (communautaire) et adulte individuel. L'illégalité du produit cannabis y donne en plus un symbole fort de rupture avec le reste de la communauté adulte, contrairement à l'alcool, ligne que le jeune aurait préférer ne pas franchir. Cela en théorie, car la banalisation a quelque peu modifié cet aspect.

 

Double rupture symbolique en fait, par l'appartenance à un groupe " rebelle " aux adultes mais constitué de semblables, et rupture individuelle par le franchissement de la ligne de la légalité, initiation spontanée et dangereuse — uniquement due à l'arbitraire de la loi — qu'une légalisation anéantirait. La prohibition du cannabis détermine aussi la symbolique de cette initiation, en en renforçant la perception d'une injustice provenant du monde des adultes, qui a deux poids deux mesures entre cannabis et alcool (consommé par l'adulte), donnant un nouvel alibi à la révolte, à la rupture, et au refus de la loi, manifestement injuste à leurs yeux. Heureusement que la banalisation a dégonflé ce risque social.

 

On peut hurler autant qu'on veut sur ces logiques initiatiques, mais c'est un fait universellement reconnu en anthropologie, pas une culture humaine n'y échappe. Les bizutages en sont une autre survivance - le sadisme en plus. L'Eglise avait bien tenté d'établir aussi des rites" initiatiques " par une succession de communions plus ou moins solennelles et surtout ridicules. L'Etat aussi, avec son service militaire obligatoire (école du crime et surtout de la soumission), pratiquait empiriquement l'initiation vers l'âge adulte des jeunes - ne disait-on pas : "l'armée fera de toi un homme... " ? Avec guerres (quel destin pour les jeunes!), putes, alcool et " troupes ". Les temps ont un peu changé, et aujourd'hui, c'est le cannabis, drogue moins dangereuse que l'alcool comme le démontre le rapport Roques, qui se substitue peu à peu à l'alcool. Onse réjouit de la baisse de consommation alcoolique et l'on se plaint de la progression du cannabis, il y a en réalité transfert. En termes objectivement sanitaires, c'est un progrès, même si je comprends la déception face à la baisse apparente de la consommation psychoactive d'alcool qui peut en ressortir.

 

Si ces rites existent, c'est qu'ils remplissent une fonction humaine nécessaire ; ils sont spontanés et appartiennent donc, qu'on le veuille ou non, à la culture actuelle du monde occidental. Il n'y a pas de phénomène social ou de nature ethnologique qui n'ait ses raisons profondes, et ce n'est pas la loi ni des vœux pieux qui pourront y faire grand-chose, mais seulement la société elle-même, dans sa façon d'aborder ces phénomènes, soit en les aggravant, soit en les adoucissant, mais sans aucune chance de les supprimer réellement. Si une légalisation et une tolérance effective vidaient le cannabis d'une partie de ses symboles de rupture et de rébellion, l'usage en serait sans doute différent (et plus modéré, moins généralisé), et les symboles de rébellion seront davantage vestimentaires ou musicaux, comme avant, que comportementaux, et il n'y aurait plus ce même rapport à la loi, à la société, actuellement vicié par la prohibition en plus des problèmes ordinaires.

 

" Quant au prosélytisme du toxicomane, il estdéjà évident en matière de tabac et d'alcool (drogues ocombien légales). Alors la liberté individuelle là-dedans ? "

 

Oui, " alors la liberté individuelle là-dedans ? " C'est une excellente question de votre part. Et c'est en prévoyant la prison ou des peines de nature pénale qu'on défend la liberté individuelle ? Même avec beaucoup d'effort, j'ai du mal à voir la cohérence. Drôle de façon de régler un problème, si problème il y a, en en prévoyant un pire de même nature pour ce faire. A moins que l'incarcération soit le summum de la liberté individuelle... Dans ce cas, je veux qu'on m'explique. Mais je suis d'accord avec vous pour se préoccuper des libertés individuelles.

 

" A d'autres ! Les partisans de la dépénalisation du cannabis pourraient utilement faire des recherches sur la fabrication de chanvromètres destiné à mesurer le degré d'intoxication des conducteurs en état de défonce. Quelques milliers de morts en plus sur les routes ?... "

 

Je vois l'idée qu'il y a derrière, le sentiment d'injustice du buveur avec les ethylotests ou alcootests et les fumeurs... Les fumeurs aussi peuvent parler d'injustice pour le cannabis vis-à-vis de l'alcool, il y a de la matière...

 

L'ivresse cannabique étant différente de l'ivresse alcoolique - au même titre que alcool et THC sont chimiquement totalement différents -, les effets sur la conduite d'un ou quelques joints ne sont évidemment pas les mêmes que quelques verres en trop. L'alcool a une fâcheuse tendance à donner un sentiment d'invulnérabilité, et amoindrit les réflexes et altère les perceptions, avec un conducteur ivre à l'alcool on a un danger public réel. Avec le cannabis, cet instinct de conservation se trouve au contraire excité, ce qui peut, dans certains cas aigus, même causer des "paranos" (se sentir en danger)... Les réflexes, pour un fumeur habituel, ne semblent pas atteints comme avec l'alcool (les tests ne sont pas concluants ni significatifs, d'autres sont nécessaires), et les perceptions semblent plus intenses, au contraire de l'alcool, où tout s'embrouille.

 

Cela donne au final un style de conduite particulier chez les fumeurs "sensibles", qui se traduit par des "excès de prudence ": à rouler à 50 km/h, le fumeur a le sentiment d'être à 80 ou plus et redouble de prudence en imaginant tous les risques d'accident qu'il court à rouler aussi vite.

 

Le livre blanc de la Prévention routière est très clair sur les risques du cannabis au volant.

 

Le livre blanc sur la sécurité routière et les drogues... Etude qui mérite d'être revue, car ses approches sont réduites aux accidents eux-mêmes et à des statistiques vite interprétées. On a ainsi entendu que 16 % à peu près des accidents de la route auraient le cannabis pour cause. Exactement, sur un échantillon d'accidentés de la route de 18 à 40 ans, 16 % avaient eu des tests toxicologiques positifs, c'est-à-dire qu'ils avaient au moins fumé un joint...dans les trois semaines précédant l'accident. Ce qui n'est déjà pas la même chose - pas du tout même ! -,et ne fait que confirmer toutes les statistiques sur l'ampleur de la consommation en France. Si 16 % des adultes de 18 à 40 ans fument, on doit retrouver le même chiffre dans toutes les études portant sur cette tranche d'âge. Les dernières statistiques sur les fumeurs donnent même un chiffre supérieur à 16 %, ce qui pourrait à terme signifier même que les fumeurs sont moins touchés par les accidents...

 

Dernier point, une proportion importante de ces 16% avaient aussi un taux d'alcoolémie trop élevé pour la conduite, ce qui est déjà largement suffisant pour comprendre l'accident dans ces cas-là, sans chercher le cannabis en plus.

 

Mais là, moi aussi, j'exagère avec ces statistiques. Alors voyons en Hollande, où tout un chacun peut prendre sa voiture en sortant d'un coffee-shop... Ramenés à 1.000 habitants, le nombre d'accidents de la route en Hollande est deux fois inférieur à celui de la France... Mais ce ne sont que des chiffres. Alors attendons d'en savoir plus, et honnêtement (ce qui a toujours manqué), avant de s'emballer, dans un sens ou dans l'autre.

 

" L'alcool et le tabac sont déjà un scandale de santé publique. "

 

Alors pourquoi ne pas les interdire non plus ? Les mettre au tableau des stupéfiants ? Les peines seraient terribles pour les contrevenants ; ce serait la solution, selon vous ? Puisque ça l'est déjà pour le cannabis.... J'ai envie de dire : chiche, ça ne me gênerait pas dans mon quotidien ! Ce n'est pas moi qui serai privé de mon blanc-cassis hebdomadaire... ou de l'apéro à la fin d'un CE. La Hague en est peut-être un aussi — qu'attend-on pour fermer cette usine ? — ; l'ozone des villes aussi — qu'attend-on pour interdire la circulation automobile en ville ? — ; les farines animales et leurs prions, l'amiante, certaines conditions de travail, et j'en passe... Vite, faites quelque chose ! Là, c'est tout le monde qui est exposé au risque !

 

Il y a beaucoup de mesures urgentes et gravissimes (et des sanctions) à prendre, et qui concernent la santé de tout le monde ! Et non uniquement ceux qui ont plus ou moins fait le choix d'avoir un vice dangereux pour leur santé afin de donner une saveur à leur triste vie, souvent nécessaire à leur équilibre psychologique, en prévention instinctive des dépressions - quand ce n'est pas de l'automédication.

Non, on ne fait rien, d'autant que ça touche certaines industries et certains intérêts économiques ou populistes, on préfère donner l'illusion qu'on est préoccupé de la santé publique en chassant le drogué de manière impitoyable, responsable de tous les fléaux... Un" fléau " lui-même qui paiera pour tous les autres qu'on veut ignorer... C'est trop facile ! C'est se parer de vertu à peu de frais tout en instituant un flicage généralisé.

 

Le problème de santé de ces deux produits— alcool et tabac — sont chiffrés. Pouvez-vous, pour étayer votre argument à propos du cannabis (et lui seul), me dire combien coûtent respectivement l'alcool, le tabac et le cannabis à la Sécurité sociale en soins ? Je n'ai toujours pu avoir que les deux premier chiffres (exorbitants) ; à croire que personne n'est malade avec le cannabis, puisque le chiffre officiel est 0 franc...aucune rubrique n'étant dédiée à ce "grave problème de santé publique". C'est dire s'il est grave... Mais peut-être pourriez-vous me renseigner, puisqu'il s'agit d'un grave fléau dont vous avez conscience (le cannabis seul, bien sûr, je ne parle pas des autres drogues illicites) ; vous devez avoir vos sources pour nous dire son ampleur et sa nature, ils manquent à ma documentation, et ce n'est pas faute de les avoir cherchés. Merci d'avance. Mais moi, j'ai le rapport Roques.

 

" Inutile d'en rajouter. "

 

Argument recevable si la consommation de cannabis était rare et marginale, ce qui n'est pas le cas. Il ne s'agit pas d'en rajouter puisqu'elle est déjà là...mais de l'aborder autrement. Je dirais, moi : " Inutile d'aggraver la situation avec une pénalisation inepte ! ".

 

" Car, et cela aussi devrait être une évidence, les toxicomanies ne se remplacent pas les unes les autres : elles se cumulent. "

 

FAUX ! La consommation d'alcool a considérablement diminué ces trente dernières années (même si elle remonte un peu actuellement chez les jeunes, grâce à son aspect "licite"), celle du tabac stagne et ralentit. Beaucoup ont préféré d'autres produits pour l'ivresse que les classiques du terroir national, il y a en fait un glissement des comportements alcooliques vers un comportement cannabique. Il suffit de comparer les courbes de consommation d'alcool et de cannabis pour s'en convaincre, la part statistique de population ayant un penchant pour l'ivresse est restée, elle, relativement stable, surtout si on y intègre la consommation médicalement prescrite de psychotropes. Et si effectivement le cannabis est moins nocif que l'alcool - comme le souligne clairement le rapport Roques, ce n'est pas en soi une si mauvaise nouvelle — MAIS... bien sûr, il n'est pas question de se réjouir d'une telle consommation massive...

 

" Tout de même prétendre que la pénalisation du cannabis ne réduit pas sa consommation est vraiment se moquer du monde. "

 

C'est pourtant vrai, et on ne cherche pas à se moquer du monde ! Que le régime soit " laxiste " comme en Hollande ou répressif comme en France, la part de la population nationale touchée par cette consommation est sensiblement la même, et même inférieure en Hollande... C'est le voeu pieux de la prohibition, de se croire utile à quelque chose... Mais je le conteste. En tout cas, depuis la sortie du rapport Roques, on sait mieux qui s'était moqué du monde.

 

" Les chauffards ont ce type d'argument concernant les limitations de vitesse... "

 

Ça marche certainement mieux pour la route, d'accord, et c'est vraiment nécessaire. Mais on parle de consommation de cannabis, pas de quelques excités du volant - bien que la vitesse automobile puisse être assimilée à une drogue aussi par analogie.

 

" Par ailleurs, j'observe que les participations à ce forum sont très majoritairement favorables à la dépénalisation du cannabis. Il s'agit moins là de débat que de prosélytisme. "

 

Pas si vite quand même, aucun joint n'a tourné entre les intervenants... Il y a un pas quand même, et un grand, entre prosélytisme de l'usage et réclamer la légalisation ! Et s'il y a une majorité ici pour la dépénalisation, c'est que ce n'est peut-être pas une si mauvaise idée que ça...

 

Les problèmes des ados et le cannabis

 

" L'usage généralisé du cannabis est relativement récent dans nos sociétés. C'est une substance dont on peut se passer très facilement et qui n'est pas encore trop ancrée dans les moeurs. J'ai été fumeuse et je ne me souviens même plus du plaisir que cela peut procurer; je n'ai vraiment pas le sentiment de m'être privée de grand chose si ce n'est de faire partie d'un groupe de gens aux idées très arrêtées qui m'ont lâchée dès que j'ai cessé ‘d'être comme eux' . Et moi qui croyait échapper au conformisme en fumant des joints !!! C'est pas ça la liberté... Juste une autre forme d'aliénation. Ce faux débat en cache un autre ; celui de la politique carcérale, de l'insertion et de la réinsertion sociale. De plus je suis sûre qu'un mauvais usage de ce que Gainsbourg dénonçait dans sa chanson "merde aux dealers" peut mener à la dépression. Bien sûr ce n'est pas systématique mais ça ne peut que la favoriser si le terrain s'y prête, c'est logique. Pour moi l'argument : ‘c'est moins nocif que le tabac et l'alcool' n'est pas valable même s'il est sans doute juste. On peut rire, se détendre, avoir des amis, délirer sans shit, sans tabac qui n'apporte aucun plaisir avant l'intoxication et quant à l'alcool, j'ai la chance de ne pas connaître ce problème. Vive l'imagination la vraie au pouvoir. Pas l'argent du shit dans les caisses de l'Etat. "

 

Votre témoignage est intéressant à plus d'un titre. En premier, il montre sans ambiguïté à ceux qui en doutaient que, lorsqu'une personne ne retire rien de bon de la consommation du cannabis, elle peut décider d'arrêter sans problème majeur et y arriver sans aide. On me rétorquera à juste titre que cela n'est pas valable pour des personnes faibles, mais celles-ci généralement accumulent tant de problèmes de toutes sortes s'intriquant les uns les autres que cela en fait un sujet délicat d'analyse pour le seul cannabis - j'aurai l'occasion de revenir sur cette approche.

 

Ensuite il montre bien le rôle de symbole qu'a revêtu le cannabis à une époque : son usage, contrairement à ce qu'on ne cesse de répéter, n'était pas motivé par la recherche d'un quelconque oubli, pour fuir un problème ou la réalité, mais par le besoin d'appartenir, à un moment de sa vie, à un groupe culturel, une tribu, avec ses rites copiés sur les anciens, substituant l'alcool au cannabis par exemple. Une étape entre la famille que l'on vient de quitter et la vie individuelle d'adulte, une expérience. L'anticonformisme, quand d'individuel il devient collectif, débouche sur de multiples mini-conformismes, pour aboutir bien entendu aux même travers d'idées bien arrêtées, voire à l'intolérance. Mais ceci n'est pas le problème de la substance cannabis elle-même, l'attitude de ces personnes n'ayant pas pour cause leur consommation, mais un manque patent de maturité et d'ouverture d'esprit. Parmi les non-fumeurs aussi c'est très fréquent. C'est la preuve également que le cannabis ne contribue en rien à faire d'un con un génie. Attention, en déduire le contraire serait intellectuellement malhonnête, cette déduction ayant en concurrence celle de la neutralité, du léger plus ou du léger moins (ou davantage) selon les personnes et les circonstances, etc. Quant à l' " aliénation ", cela me rappelle un petit échange sur le forum des lecteurs à propos des communautarismes.

 

L'argument " c'est moins nocif que le tabac ou l'alcool " (une affirmation de nature objective que vous ne contestez pas, reprise dans le rapport Roques) a bien entendu des limites. S'il est incontournable quand il s'agit d'établir des comparaisons entre produits, tant par leur dangerosité que par leur statut légal, il n'a plus lieu d'être, bien entendu, sur les terrains de la morale et de la santé - aucun des ces produits n'étant à conseiller, bien au contraire ! Il est utile seulement pour mettre en évidence ce deux poids-deux mesures qui en scandalise plus d'un : pourquoi, en effet, si, avec ses effets néfastes réels (et même certains des supposés), le cannabis est ainsi violemment prohibé, l'alcool, lui - une consultation médicale chez un généraliste sur trois (un peu moins en fait et seulement pour les hommes) est liée à une consommation abusive, par exemple -, est-il à ce point en vente libre ? Qu'est-ce qui distingue objectivement B (sur ce forum) patron de café servant à boire à des alcoolos qui se ruinent la santé et le portefeuille (et dans sa caisse...) de X vendant quelques barrettes de shit ? Seulement l'arbitraire d'un texte, mais rien de rationnellement objectif en ce qui concerne l'acte lui-même. Cela a été amplement développé par le Comité d'éthique (entre autres).

 

Quelqu'un reconnaissait que la prison n'était pas une solution. La prison, ou le risque d'incarcération, est pourtant le symbole de pénalisation. Si, pour cette personne, la prison n'est pas une solution, c'est qu'il n'est pas loin d'être favorable à la "dépénalisation ". D'autant qu'elle reconnaît bien deux populations distinctes d'usagers : les adultes et les adolescents. Je pense qu'il considère que l'adulte prend ses responsabilités à fumer son joint chez lui et il est prêt sans doute à tolérer cette pratique dans une sphère privée. S'il pouvait préciser son point de vue, cela ferait un bon point de départ aussi. Une question subsidiaire : où est la limite entre ado et adulte ?

 

 

REPONSE

 

Décidément, votre contribution me paraît encore plus intéressante avec du recul, car elle m'oblige à rectifier certains de mes propos, à corriger certaines inexactitudes de ma part que je n'avais pas vues aussitôt — en un mot, j'ai dû repenser à cette question. Merci sincèrement, car c'est un peu ce que j'attendais de ce forum.

 

J'ai parlé de la valeur symbolique du cannabis dans un cadre de " révolte émancipatrice " du passage à l'âge adulte. Cette analyse était encore exacte il y a dix ans, mais elle ne l'est plus que très relativement aujourd'hui — ce que j'ai dit était obsolète, même si c'est encore vrai dans certains cas. Pour beaucoup de jeunes, fumer des pétards n'est plus symbole de rupture tant il est banalisé dans les mœurs (voir ci-dessous commentaires sur les chiffres de l'OFDT). Ne pas fumer de joints est même devenu dans certains cas une marque d'anticonformisme...

 

De plus en plus de parents (ce n'est encore qu'une minorité) tolèrent aussi si la consommation est modérée, précédant les conseils que j'ai donnés ci-dessus (sans que je sois intervenu...), allant jusqu'à tirer sur le joint pour marquer la volonté de ne pas rompre le lien entre générations — le prétexte officiel est de ne pas vouloir" mourir idiot ". Une association de parents d'élèves est même allée à réclamer la légalisation du cannabis (à Nantes) pour que leurs enfants ne risquent plus la prison. Un père de famille dans le Sud-est devenu un militant actif de la légalisation — et condamné pour ça ! —après que son fils fut condamné dans une petite affaire de shit provinciale (articles dans Libé). Ces mêmes parents incitent par ailleurs vivement à l'usage du préservatif.

 

La "révolte " des jeunes s'est déplacée sur d'autres domaines, sur les défauts personnels des parents et non plus sur ceux de la génération précédente dans son ensemble, donc la " société ". Bien sûr, les quelques cas auxquels je pense appartiennent à des classes moyennes, instruites et cultivées. Mais tout dépend bien sûr des milieux, et dans chacun d'eux il y a aussi de la variété.

 

Un autre phénomène curieux : les enfants de fumeurs arrivant à l'adolescence (avancée...). Il y a les deux cas, le jeune fume ou ne fume pas. Je n'ai pu faire de constats à grande échelle (encore une étude à faire...) ni dans tous les milieux, donc ce qui suit n'est pas significatif ni une règle. Mais je dirais que la plupart reprochent à leurs parents de se défoncer et ne fument pas. Le cannabis est devenu symbole de révolte à l'envers... Je dirais — sous réserve — que cela représente à peu près les deux tiers de ceux que j'ai vus. Le dernier tiers n'a pas pour autant toujours de bonnes relations (il y en a qui en ont des bonnes aussi) avec les parents — et font " shit à part "...Mais je l'ai dit, cela mériterait une approche plus approfondie, plus professionnelle, dont je suis incapable. Je n'ai rien lu de sérieux là-dessus - une lacune dans la documentation et dans la recherche.

 

 

" Je crois qu'on ne peut pas laisser dire que le vin ou le tabac soient des drogues au même titre que le cannabis."

 

Comme je vous l'ai dit, je suis pour des distinctions nettes et objectives entre les substances, donc OUI.

 

" Si le cannabis est considéré comme une drogue, c'est parce que, quoi qu'on en dise, le seul motif de sa consommation est son pouvoir hallucinogène et stupéfiant. "

 

Ce qui distingue donc selon vous une drogue d'une" non-drogue" (comme alcool et tabac, si j'ai bien compris) est le seul motif de sa consommation... et non ses propriétés énivrantes et/ou addictives. C'est une définition sur un comportement, non sur la nature intrinsèque du produit.

 

Cela amène à se repencher sur le sens exact à donner au mot "drogue ", qui semble compris de manière différente, d'où quelques malentendus, comme il me semble à lire votre intervention, pertinente sur plusieurs points, mais que je conteste néanmoins (ah ! la liberté d'expression...). Je définis, en ce qui me concerne, une drogue en vertu uniquement de sa nature, c'est-à-dire de ses propriétés (objectif), non en fonction du motif ou du comportement de son consommateur (subjectif). Pour cela deux critères avec une relation et/ou, c'est-à-dire qu'un seul des deux suffit à nommer un produit autre que purement et exclusivement alimentaire absorbé.

 

Bien sûr, avec cette définition on doit y ranger toute la pharmacopée — mais n'est-ce pas justement le sens historique de " drogue ", désignant un médicament ? Bien entendu, les raisons pouvant amener à consommer des drogues (d'après ma définition) sont multiples et variées : se soigner d'abord, dans un cadre médical bien sûr (là, " drogue " au sens premier). Juste pour le plaisir du goût aussi (pour l'alcool) — ah ! le plaisir... enfin on lui laisse une place -, en faisant attention à l'ivresse. Mais là aussi il faut relativiser, il y a plusieurs degrés dans l'ivresse alcoolique, et bien souvent la légère euphorie qui donne de la convivialité à certaines réunions n'est pas considérée — à tort— comme ivresse.

 

Il y a ici beaucoup d'hypocrisie.

 

La motivation principale (concernant la grande majorité des consommateurs) de l'usage du cannabis est cette recherche de cette "légère euphorie qui donne de la convivialité ". Sur cette seule motivation — commune à une consommation raisonnable d'alcool (il n'est pas question d'être ivre mort, ici, on en est très loin) mais néanmoins psychoactive et à un usage modéré du cannabis —, je ne peux que faire le rapprochement entre alcool et cannabis. Ne pas le faire est non seulement faire de la diabolisation du cannabis, mais, plus grave à mon sens, faire de l'angélisme sur l'alcool, qui a les immenses avantages, lui, d'être légal, de solliciter tous azimuts (malgré la loi Evin), d'être un moteur de l'économie (surtout à l'exportation, la France est la Colombie de l'alcool...), au point qu'il est parfaitement légal de faire des boissons alcoolisées spécialement destinées aux jeunes qui ne boivent pas encore (en Angleterre, maintenant, on précise " limonade sans alcool " sur le Schweps !)...

 

C'est une attitude irresponsable ! Oui l'alcool et le tabac sont des drogues, à des titres divers, et la diabolisation outrancière du cannabis occulte cette réalité indéniable ! En fait, vous défendez les drogues que vous consommez, par goût ou par habitude (ou autres, les motivations sont toujours diverses et multiples), en déniant aux autres ce même droit.

 

" Dans ces conditions, le vin a des qualités de goût indéniables, et il constitue un aliment au même titre que le jus d' orange ou une autre boisson."

 

Vrai pour le goût, vrai pour des qualités alimentaires connexes à ses vertus enivrantes, mais de là à le mettre sur le même plan que le jus d'orange... donnez du vin aux enfants comme du jus d'orange tant que vous y êtes ! J'espère avoir mal compris. Etes-vous vigneron ? Et cela n'est valable que pour le vin, par pour les autres alcools, nombreux et variés.

 

" Quant au tabac, s'il est dangereux pour la santé, il ne l'est qu'à long terme. Ses effets à court terme sur le comportement ne sont pas vraiment remarquables (contrairement au cannabis). "

 

Vous mélangez effets sur la santé à long terme, que vous reconnaissez [je le dis au passage le cannabis ne vaut pas mieux sur ce terrain-là] et les effets sur le comportement. Encore une fois, chaque produit est différent, le tabac n'a que de subtils effets sur le comportement mais possède un pouvoir addictif terrifiant, et le cannabis a des effets beaucoup plus nets sur le comportement (mais moins virulents que l'abus caractérisé d'alcool, et je mets la barre assez bas) pour une très faible (voire inexistante, mais soyons prudent) dépendance physique.

 

" Je ne confonds pas le vin et le jus d'orange (heureusement:))), en revanche, je maintiens que le vin, comme la bière ou le cidre, sont des boissons d'usage courant. "

 

Je n'ai jamais dit le contraire sur cet usage courant et ne l'ai pas critiqué. Mais, au fait, le cannabis aussi est d'usage courant... Ce n'est donc pas un critère de définition mais une simple constatation de nature sociologique, ethnologique même.

 

" Je ne fais pas partie d'un quelconque lobby, je ne suis pas alcoolique non plus, et je ne fais de publicité pour personne. Cette précision sur le vin et le tabac n'était là que pour manifester mon énervement quand je lis des textes ou l'on assimile boissons alcoolisées, tabac et drogues douces sous couvert de libertés. "

 

Quand on compare ces produits en mettant en avant les libertés, ce n'est que leur statut légal qui est assimilé, en aucun cas la nature des produits eux-mêmes. Ce n'est pas sous couvert de libertés que je me suis permis de lier ces produits entre eux (pas sur mes dernières remarques), mais en raison de leur pouvoir psychoactif et/ou addictif. A moins que vous puissiez m'affirmer que l'alcool n'a aucune qualité enivrante, comme le jus d'orange. Cette seule particularité suffit amplement à établir des comparaisons et ranger l'alcool parmi les drogues, incontestablement ! Ne pas le reconnaître sous prétexte que ces effets n'apparaissent qu'à partir d'un certaine dose est de pure mauvaise foi ! C'est défendre SA drogue en refusant de voir que c'en est une ! Et ce n'est pas sous couvert de libertés que vous vous en êtes pris aux lois Evin ?

 

" Pardonnez mon côté réactionnaire "…

 

Vu les milliers d'arrestations qu'occasionne cette prohibition, persécution des temps modernes, je vais avoir du mal, mais je vais faire un effort.

 

" mais je trouve que les abords d'un débit de boissons/tabac sont en général moins louches que ceux d'un coffee shop hollandais, ce en quoi les produits me semblent différenciés dans leurs clientèles comme dans leurs commerçants. "

 

Il vous semble... ce ne sont que des jugements subjectifs et moraux où vous manifestez votre réprobation envers des gens différents de vous, qui ne vous ont nui ou dérangé en aucune manière, si ce n'est votre vision. Cela s'appelle de l'intolérance !

 

" Votre dernier texte m'a fait apparaître une autre raison à l'interdiction du cannabis : La raison sociologique (qui m'est peut-être plus familière...) Historiquement, le cannabis est rattaché dans son commerce à celui des drogues dures... Dans ces conditions, il doit leur être rattaché...

 

La dernière intervention était maladroite, d'abord changer comme ça son fusil d'épaule pour trouver une autre raison. Et celle-ci tient du lapsus : des raisons sociologiques ! Parce que ça concerne d'autres que lui, en fait, je n'enfoncerai pas davantage cette porte ouverte de l'intolérance manisfeste. Quant à ses raisons historiques, j'ai peur qu'il y ait pas mal de confusions encore, je me contenterai de remarquer qu'avec pareille logique nous serions encore en guerre avec l'Angleterre et l'Allemagne, " nos ennemis historiques ", disait-on à une époque. Heureusement que l'Histoire évolue ! Evitons de la figer...

 

" 1- Dans tous les pays ayant mené des expériences dans ce sens, de nombreuses voix s'élèvent pour un retour à une législation plus stricte. La pénalisation ne permet pas une situation parfaite mais c'est la solution la moins pire. Notre modèle a ses défauts mais il permet le meilleur équilibre."

 

Trois affirmations en une seule.

a) D'abord, dans tous les pays européens il y a débat sur ce sujet, et encore plus en Belgique qu'en France, par exemple. Voyez pour vous en convaincre les archives du Soir-en-Ligne (Yahoo/presse/quotidien), avec le mot clé cannabis. Stupéfiant ! Quel silence assourdissant ici à côté ! Partout il y a des voix pour et des voix contre, quel que soit le système en vigueur. Vous dites : " il y a des voix qui sont CONTRE ", soit, je peux tout autant dire qu'il y a " des voix qui sont POUR ", et nous aurions tous les deux raisons. Et il en est ainsi de tous les débats de société. Ne voir que la moitié des idées dans un tel débat ne peut pas être un argument, et pas que pour cette raison,car qu'ils soient POUR ou CONTRE, cela ne dit nullement qui a raison, sinon c'est de la scholastique. Saint Thomas d'Aquin a dit : une chose n'est pas juste parce que Dieu le veut (n'est pas vraie parce que X l'a dit), mais Dieu la veut parce qu'elle est juste (si X l'a dit, il faut voir pourquoi il l'a dit, et comment).

b) C'est ce l'on peut penser, certes, mais a-t-on essayé vraiment autre chose ? Il faut pouvoir comparer et avoir des analyses rigoureuses pour soutenir cette affirmation. Cette petite phrase sur la démocratie qui vous a inspiré ne se prête pas forcément à tout, même si elle est séduisante.

c) Quel équilibre, là, je ne comprends pas. ce n'est pas d'un équilibre des pouvoirs dont il s'agit, valeur républicaine qui vous a sans doute poussé à penser cela. Dans ce cas, développez...

 

" 2- Il ne faut pas oublier qu'au niveau international il existe une législation qui inscrit nommément le cannabis parmi les produits stupéfiants. La décision de libéraliser ne doitpas être unilatéral pour la France. La diplomatie d'un pays comme les Pays-Bas se trouve affaiblie par sa position à contre-courant sur un sujet aussi important. Un pays de la dimension de la France ne peut se permettre de se compromettre dans une expérience qui l'affaiblirait d'avantage dans le concert des nations.

 

Beaucoup de choses dans le 2.

a) Vous évoquez les conventions internationales, nous rentrons là dans une sphère purement juridique, où le risque d'arbitraire est partout. Il y a des points de droit en discussion là-dessus avec des arrets contradictoires de la Cour de cassation. Remarquons par ailleurs que la France a été plusieurs fois condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme pour violation d'une convention sur lesdits droits, sans que cela n'ait ému personnne... De plus, il ne faut pas croire que l'aspect contraignant de ces conventions empêchent tout cadre légal pour ces produits, sinon il n'y aurait pas de traitements de substitution par la méthadone...

 

Il y est surtout question de contrôle, n'y voir que le principe d'interdiction totale et absolue est une interprétation excessive et abusive, le mot anglais " abuse " est aussi ambigu, désignant à la fois l'usage et l'abus dans un même concept. Je redévelopperai cette question des traités sur Marianne en ligne(espérons que vous viendriez), à la rentrée, car c'est très technique. Cela nous renseigne sur le statut légal, mais en rien sur la nature et les dangers du produits cannabis, autrement dit cet argument fort est insuffisant en soi, car le juridique a toujours sa part d'arbitraire Errare humanum est.

 

b) Autrement dit, on libéralise si les autres le font ? Pour l'instant c'est la France qui bloque tout au niveau européen. je constate au passage que ce n'est pas une éventualité qui vous effraie. Si les Pays-Bas sont affaiblis, ce n'est qu'en apparence, car son modèle économique fait des envieux, y compris parmi la "droite"... C'est surtout la France qui fai ttout pour l'affaiblir, ce qui a fini par agacer nos voisins belges. En fait, le France s'isole peu à peu... C'est toujours le sens de l'innovation de la France et de ses valeurs républicaines qui ont fait sa grandeur dans le concert des nations, pas la crispation réactionnaire.

 

" 3- L'argument le plus fondamental : les arguments développés ici reposent sur une acceptation de la fatalité. Or c'est précisément à cause d'un pays où la législation est trop laxiste que nous connaissons des problèmes. La Hollande est devenue le supermarché de la drogue en Europe. (...)

 

Votre première articulation (avec le " or ")est ratée, aucun rapport en ce que je décris et le choix de la Hollande, je ne suis pas la Hollande. J'y vois plus un lapsus du genre : la fatalité (sujet dont je parlerai la prochaine fois), ce n'est pas nous, c'est la Hollande. Toujours pratique de trouver des responsables quand on n'y arrive pas parce qu'on s'est trompé.

 

Il y a d'autres pays que le nôtre qui ont des problèmes identiques et qui n'ont pas la Hollande comme voisine. De plus, 90 % (arrondi) du cannabis proviennent directement du Maroc via l'Espagne ou l'Italie... pays jamais vilipendés pour autant. Et que dire de l'héroïne pakistanaise ? Dont l'argent a servi à cet Etat pour acheter des avions militaires à la France ? Oui, beaucoup de junkies vont là-bas chercher de l'héroïne, mais d'où vient-elle, cette héroïne-là, achetée à Rotterdam ? Elle vient d'Allemagne ! Par des filières turques qui font la jonction entre le Pakistan et l'Europe. C'est surtout un procès d'intention. Pourquoi a-t-on peur que l'expérience hollandaise soit un succès ? Et pourquoi, ici, refuse-t-on d'admettre que, malgré certains problèmes encore existants (il n'y a pas de solution miracle, comme en tout), cela a déjà été un réel succès ? La plupart des problèmes que connait ce pays sont en fait les nôtres qu'on exporte. A ne pas avoir d'approche intelligente de cette problématique, ils fuient et se réfugient ailleurs. N'est-ce pas là aussi la marque d'un échec ? Un îlot de tolérance au milieu de l'hystérie collective, c'est comme un pays riche au milieu du tiers monde affamé.

 

" Oh là ....j'avoue que je n'ai guère le temps de rentrer dans une diatribe sur ce sujet de la libéralisation... "

 

Déjà, nous ne parlons peut-être pas de la même chose, je parle de "légalisation", vous parlez de " libéralisation ", terme que je n'ai jamais employé malgré tous mes propos sur les libertés individuelles. Vous devriez commencer par me définir avec précision ce que vous entendez par là, votre choix de vocabulaire (comme le mien) n'est pas gratuit (à moins d'un simple lapsus sur une aversion inconsciente envers les dérivés du mot libre, comme je l'ai constaté par la suite). Cela peut éviter des malentendus par la suite.

 

" pour moi, les choses sont bien plus simples... "

 

Hélas ! si les choses étaient simples, il yaurait longtemps que le problème serait résolu. Et si c'est un réel problème, on le doit aussi (pas uniquement) à des excès de simplisme dans la façon de l'aborder. C'est peut-être moins fatigant intellectuellement, mais c'est désastreux. Je l'ai dit plusieurs fois ici, c'est une problématique complexe !

 

" quand vous dites " les tenants du trafic sont ceux qui ont le plus à gagner de la prohibition. Si cela changeait, beaucoup devraient se reconvertir. "

 

Mais beaucoup se convertissent, vous n'avez qu'un temps de retard, c'est tout. Parmi les derniers rentrés sur ce terrain (la liste est trop longue, je l'ai donnée ailleurs), citons la FASP, un syndicat de policiers... Il faut du temps pour convaincre, mais cette idée s'impose de plus en plus, même si elle ne vous a pas encore atteint. (Je ne désespère pas.)

 

" je vous exprime que je ne suis pas du tout d'accord...les tenants du trafic, comme vous dites, ne font rien d'autre que de faire ce que font les pêcheurs qui dispersent de petits appâts pour attirer les poissons. "

 

Exact, mais le terrain est préparé de façon idéale pour ça, et c'est ce terrain-là que je propose de modifier pour que ça cesse - lisez au moins nos propositions (il y en a partout sur ces forums...) ! Mais peut-être serai-je obligé de me répéter spécialement pour vous (une autre fois).

 

" La méthode est ancienne et a été et est largement utilisée ; la distribution à des prix ridicules... "

 

FAUX ! Les prix sont prohibitifs dans tous les sens du terme. Ce que vous nous décrivez là tient davantage du mythe (avec sa part de réalité bien sûr) que d'une réalité effectivement observée et contrôlée. S'il le faut, nous analyserons plusieurs cas types...

 

" (agrémentée d'un discours "machiste " de la cigarette " troupe " n'avait pas d'autre but que de recruter et intoxiquer les futurs fumeurs... Les méthodes pour l'alcool ont été et sont du même type... "

 

Cela ne concerne plus le cannabis et ne justifie pas pour autant, selon vous, une pénalisation malgré une condamnation morale, que je partage à l'unisson.

 

" Les trafiquants le savent bien, et conduisent parfaitement leur stratégie d'expansion de leur marché futur; les dealers à la petite semaine, vendant "à perte" [FAUX !] auprès des jeunes n'ont pas d'autres buts.

 

A QUI LA FAUTE ? Et la pénalisation devient un prétexte facile pour les exclure davantage, voire définitivement, car on n'a rien à leur proposer ! C'est indigne !

Citez-moi les sources de ces affirmations contraires aux observations de nature ethnologique (pas judiciaire, attention à la confusion des genres...), qui et comment (souvent cela explique beaucoup de choses). Il y a autant de vrai que de faux dans tout cela, ce qui rend vraisemblable l'ensemble, quelques vérités mal comprises faisant passer dans la foulée des inexactitudes pour autant de faits incontestables. Quand je décris cet univers (que j'ai pu longuement observer de l'intérieur aussi, ce qui n'est peut-être pas votre cas), je me réfère à des travaux publiés, officiels, en citant les auteurs, les références, et les moyens d'y accéder, pour qu'on puisse discuter des mêmes éléments, que je juge plus fiables que les rumeurs ou les perceptions volontairement simplistes, comme celle - trop classique - que vous nous formulez. Elles sont également dangereuses car elles retreignent la réflexion sur les toxicomanies en occultant bien d'autres facteurs, souvent nettement plus déterminants (à discuter, bien sûr).

 

" Alors si nous nous sommes déjà fait avoir pour le tabac et l'alcool, ce n'est pas la peine d'en rajouter, sous prétexte que "ce n'est pas plus pire"...

[déjà un point où on est d'accord et que vous reconnaissez]"

 

Je l'ai entendu mille fois cette phrase, elle laisse supposer que la prohibition est efficace et que le cannabis n'est pas déjà massivement consommé. Ce qui est faux (et c'est bien là le problème...). Qui parle d'en rajouter ? Le cannabis est déjà là, consommé dans des conditions pouvant être dangereuses à plus d'un titre ! Conditions que l'on doit essentiellement à cette loi que je critique. Je pense par ailleurs que la légalisation du cannabis serait une occasion unique de rendre les dispositions déjà existantes sur l'alcool et le tabac encore plus contraignantes : le laxisme et la bienveillance dont on fait preuve envers ces deux drogues renforcent un sentiment légitime d'injustice devant l'intolérance réservée au cannabis — plus grave : ça devient les jeunes CONTRE les vieux (et réciproquement). Il y a une bombe à désamorcer d'urgence ! Ce qui disqualifie tout discours de prévention (fût-il honnête et exact !) auprès des jeunes et favorise on ne peut mieux le terrain pour ces dealers que vous fustigez par ailleurs. Ca ne sert à rien de se plaindre des trafics quand on entretient une situation aussi favorable.

 

" Autrement dit, la libéralité [toujours cette inconsciente déclinaison péjorative du mot "libre"...] sur l'alcool ou le tabac n'ont pas empêché l'alcoolisme ni le cancer des fumeurs, et cet aspect m'importe plus que la rentabilité des pourvoyeurs.. . "

 

Dans le cas de ces deux produits, la rentabilité des pourvoyeurs a toujours primé sur les autres considérations — ou alors il faut beaucoup d'hypocrisie pour ne pas le voir.

 

La dernière partie de votre intervention est une analyse des choix politiques d'autres pays et les raisons invoquées sont de nature toute politique (elles émanent de ces autorités politiques), voire démagogique (je m'emploierai à le démontrer la prochaine fois). Cela nécessite une intervention spécifique, pour une autre fois, le sujet est trop vaste, avec tant d'éléments qui se confondent... Vous pouvez en profiter pour le développer sur l'autre forum... avant que je passe sur ce nouvel aspect. Plus j'aurai de points à répondre, mieux c'est...

 

" Je n'ai nullement l'intention de développer et répondre toutes sortes d'arguments.. Je me contente d'exprimer mon opinion, simple, parfois terre à terre, et basée sur des exemples vus, vécus.. "

 

Pour moi aussi, c'est fondé sur un vécu et des exemples vus, mais pas seulement, sur les études officielles et scientifiques aussi, ou l'expérience des autres...

 

" j'ai vécu la pénible expérience de sortir ma fille d'une secte...pour cela la méthode était justement de l'encourager à se consacrer àune oeuvre motivante et dure.. et c'était justement la réinsertion de jeunes anciens drogués...j'ai vu comment les dealers pratiquaient pour ne pas perdre leur proie, etles récupérer.. j'ai vu ces petites frappes aller reproposer des doses aux jeunes, profiter de leurs instants de faiblesse, de spleen..."

 

Ce que vous nous racontez là est poignant de vérité, du moins de sincérité. Mais n'y voyez pas malice, j'y vois aussi une grande part d'émotion -autrement dit du subjectif. D'abord ce drame de votre fille, bouleversant, comme quoi des fois il n'y a nul besoin d'un produit... ce qui veut dire aussi que le produit lui-même n'explique pas tout non plus. Vous avez peut-être lu ce que je pensais des sectes.

 

Ensuite ce que vous me racontez de ce centre de post-cure (je pense qu'il s'agit de ça, pouvez-vous préciser où ? Ce que vous me dites est trop grave et j'ai besoin d'en savoir davantage pour des raisons étrangères à ce débat), j'ai eu moi-même de nombreux témoignages de la sorte, et de la part de personnes y étant passées pour décrocher (nous recensons les lieux où ces pratiques sont signalées, il semble qu'aucun ne soit réellement épargné), et qui ont échoué à cause de cela. Ce n'est pas normal, il y a un problème grave. Nous partageons cette opinion sans ambiguïté.

 

Mais ne voir que dans le dealer la cause à tout cela est, hélas, trop réducteur pour apporter une solution véritable. Ce que vous racontez sont des faits indéniables, mais j'en rajouterai un autre qui en fait partie de manière indissociable et qu'on tente trop d'occulter : quoi qu'on fasse, ils sont là... Les prisons se remplissent, les tribunaux tournent à plein régime, les peines s'allongent de plus en plus, d'immenses moyens sont engloutis pour les chasser... et ils sont encore là. Après vingt ans et plus, on peut se poser légitimement la question de savoir si c'est la bonne méthode, en essayant de ne pas préjuger de la réponse et de faire jouer son esprit critique.

 

Une autre chose qui n'est pas normale concernant ces deals : l'état dans lequel est lui-même le dealer, un pauvre mec paumé accro jusqu'à la moelle, sombré dans une spirale infernale où il ne maîtrise absolument plus rien. Ne croyez pas que je m'apitoie réellement quand je considère le mal qu'ils ont fait mes amis, venus décrocher pour resombrer, et un est mort depuis. Croyez-moi, je suis lucide sur le problème. Je constate seulement qu'ils sont tous dans le même état que ceux qui se faisaient soigner avant de venir. Il est anormal que des gens en arrivent là, c'est même dangereux - la preuve. Ils en sont là quand il y a trop longtemps que la rupture est faite. Le produit contribue incontestablement à cette rupture, mais ce n'est pas le seul élément : il existe toute une batteries de facteurs aggravants, dont beaucoup pourraient être limités s'il y avait un changement de méthode. C'est un postulat. Le développement de la politique (bien timide et timorée encore) de "réduction des risques" a déjà prouvé son efficacité pour ça. Je suis persuadé qu'avec mon approche aucun dealer ne pourra agir près des centres de soins ! Car les toxicomanes pourront avoir d'autres choix que voler et dealer pour répondre à leurs besoins de consommer ! La nécessité de passer par la sphère médicale pour avoir accès au produit non seulement réduit considérablement ce risque deal-vol (moins "galère"), mais permet - surtout ! - un contact très tôt, donc à terme moins coûteux. Cela réduirait, voire stopperait cette réaction en chaîne infernale du toxicomane prosélyte par nécessité. A défaut d'éradiquer, ne vaut-il pas mieux contenir et gérer ?

 

" et vous nous proposez quoi ? de légaliser cela. Légaliser la drogue comme le sont l'alcool ou le tabac.."

 

Heu... pas tout à fait. Pas comme le sont l'alcool et le tabac déjà. Nous arrivons aussi - pardon - un autre problème, de méthode celui-là. Vous nous parlez d'un problème concret et objectif touchant... les héroïnomanes. Tout autre problématique que celle du cannabis, qui n'ont en commun que leur statut légal et les conséquences qui en découlent. Pour cela vous dites LA drogue, comme si elles étaient toutes identiques, qu'il suffisait de voir les dommages de l'une des plus dangereuses pour définir toutes les autres. Nous parlons légalisation du CANNABIS, vous nous répondez sur l'héroïne, confondant les deux par LA drogue. Il y a autant de différences entre le cannabis et l'héroïne qu'entre une communiante et une fille de joie (quoique).

 

" et pourquoi pas aussi percevoir sur les drogues un impôt d'Etat, car vous n'imaginez tout de même pas qu'elles vont être vendues au prix coûtant ! "

 

Qui a dit ça ? Vous vous faites des idées là, et pourquoi pas gratuit ? Mais je suis heureux que vous vous interrogiez sur les modalités. Je pense que vous avez été mal informé de ce qu'il faut entendre par "légalisation". Quant aux taxes et impôts... au fait, au marché noir, combien de milliards chaque année disparaissent ? Sont détournés de l'économie réelle ? Je vous laisse calculer.

 

" Et considérer l'époque de la prohibition américaine..il est reconnu que l'alcoolisme public avait fortement régressé.. certes la prolifération des gangs et trafics ont alerté l'opinion, mais surtout les lobbies de l'alcool ont bien manoeuvré, conscients qu'ils gagneraient plus, et plus tranquillement, sur un marché légalisé (pour reprendre votre expression)..et les lobbies.; et ils ont arraché aux Etats la levée de la prohibition, et cela d'autant plus que l'absence de sécurité sociale dans ce pays laissait les dits états et l'opinion indifférents au coût de l'alcoolisme... "

 

C'est une autre solution aussi, que de restaurer, ou instaurer chez nous, la prohibition de l'alcool. Pourquoi pas ? Cela aurait le mérite de la cohérence vis-à-vis du cannabis. Mais pensez-vous que c'est réaliste ?

 

" Alors, ne nous laissons pas faire..ne laissonspas les lobbies nous convaincre que la légalisation est la solution," - ce n'est que du slogan - car nous sommes les payeurs dans notre chair des ravages sur les jeunes générations, "

 

Quel lyrisme, une fougue de tribun ! " payeurs dans notre chair, etc. "... C'est beau, c'est de la poésie politique, mais c'est tout. En revanche, la fin est intéressante.

 

" et les payeurs par la pertes de moyens financiers qui seront ainsi détourné de la santé publique pour soigner ceux qui sont ou seront atteints... mais donnons à nos moyens policiers et judiciaire les moyens de conduire une répression intelligente et efficace, et nous limiterons la gangrène... "

 

Des moyens détournés de la santé publique...Si j'ai bien suivi, ceux qui sont atteints ne devraient pas être soignés ? Vous reconnaissez un besoin de soins et le refusez ? C'est au minimum ambigu. Ce qui l'est moins c'est la priorité absolue accordée à la répression. Or je maintiens que cette logique n'a fait que tout aggraver sans rien résoudre. La preuve : ces dealers autour des centres de soins que vous avez évoqués ! D'immenses moyens sont déjà engloutis pour des résultats pitoyables, cause parfois de catastrophe sanitaire comme avec l'épidémie de sida (là, pour le coup, les économies auxquelles vous pensiez se sont envolées...). Autant de moyens détournés de la santé publique... Il y a d'autres solutions, pourquoi refusez-vous de les voir ?

 

Dernière remarque : " gangrène", qu'entendez-vous par là, est-ce ainsi que vous considérez tous les usagers de substances illicites ? Birarre, mais ça me rappelle un autre discours, qui ne visait pas les drogués cette fois... mais attendons.

 

Le sujet du Forum étant "Faut-il....", je crois que tant qu'on n'a pas la réponse à "Les français sont-ils pour ou contre", on ne peut qu'attendre, et si la réponse est "contre", dire "Il ne faut pas". Et ce quelles que soient nos opinions sur le cannabis... "

 

Comme ça, avec les seringues, il y aurait 90 % d'infectés avec le sida ! Heureusement que Barzach n'a pas suivi cette logique, adoptée par Fabius. On est déjà dans le peloton de tête des pays européens sur ce tragique problème, en grande partie (pas uniquement, soyons honnête) à cause de ce retard. On attend aussi des politiques qu'ils prennent leurs responsabilités. Si on écoutait la majorité populiste, les malades du sida (tox ou pédés) seraient enfermés dans des camps pour protéger les citoyens sains. Et puis il y aura toujours des POUR et des CONTRE, le débat durera encore des décennies, quel que soit le statut retenu. Ce débat ici est fait pour éclairer par la confrontation les opinions - opinions versatiles par définition. Je reviendrai sur cette approche une prochaine fois, car on est loin d'en avoir fait le tour, et j'avoue que c'est la première fois qu'on m'oppose cet argument-ci, de cette façon. Je vais en attendant poursuivre ma réflexion sur ce point.

 

Une bonne idée pas si bonne

 

" Il faut faire une dépénalisation expérimentale."

 

On peut dire que l'" expérience " a déjà été faite sur l'échelle d'un pays, et que le principal obstacle, ou inconvénient, a été d'être isolée en Europe, ce qui a eu pour conséquence un afflux de "narcotouristes " à la recherche de libertés. Faire des points expérimentaux en France aurait sans doute le même effet pervers, à savoir attirer vers ces points toute la demande... ce qui serait ingérable. En Grèce, G. Papandreou, le ministre des Affaires européennes, a prôné la légalisation du cannabis dans ce pays réputé pour être l'un des plus sévères d'Europe. L'argument qui lui a été opposé (idem en Angleterre) a été le risque d'un " tourisme de la drogue ", des étrangers venus goûter une liberté qui ne connaissent pas dans leur pays. Ce pays a donc demandé une harmonisation européenne allant dans le sens de... la légalisation. Et un de plus !

 

" Autoriser la vente dans les pharmacies et suivre un échantillon d'usagers du produit et en mesurer les résultats avant de voter un texte de loi définitif."

 

La vente en pharmacie comporte de nombreux inconvénients, même si elle a été déjà proposée dans le Land de Hesse en Allemagne. Elle induit une médicalisation, ce qui est excessif pour le cannabis, ce qui n'exclut pas d'autres formes de contrôle. Ensuite, je doute qu'usagers et pharmaciens soient d'accord... Vous imaginez les pharmacies avec un guichet spécial où feraient la queue les usagers d'un quartier, d'une ville ? Et les résultats peuvent déjà être mesurés aux Pays-Bas...

 

" Cela pourrait calmer les bonnes consciences inquiètes "

 

Je doute que ce soit vraiment des " bonnes consciences "...

 

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