Extrait du rapport du Comité spécial du Sénat canadien sur les drogues illicites (source)

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(...)

Pays-Bas[53]

 

Il s’est dit tout et n’importe quoi sur l’approche néerlandaise en matière de drogues.  On nous a dit par exemple :

 

« En Hollande, des études menées au début des années 1990 illustrent l’impact négatif de la tolérance envers les drogues illicites :

·        Le nombre de boutiques (des « cafés ») qui tirent leurs revenus de la vente de haschisch depuis la dépénalisation de 1990 est passé de 20 à 400 à Amsterdam en 1991 à plus de 2 000 dans toute la Hollande;

·        De 1984 à 1988, le nombre de fumeurs de haschisch de plus de 15 ans a doublé en Hollande; de 1988 à 1992, le nombre de fumeurs de 14 à 17 ans a encore doublé, et celui des consommateurs de 12 et 13 ans a triplé;

·        Le taux de crimes violents commis en Hollande est le plus élevé d’Europe et il continue de monter. » [54]

 

« Aux Pays-Bas (il faut être prudent parce que d'énormes différences sociales et culturelles empêchent toute comparaison générale entre le Canada et ce pays), la politique antidrogue visant la réduction des méfaits fait une distinction très nette entre le cannabis et les drogues dites « dures ».  Depuis l'adoption de la politique, le cannabis semble moins dangereux et son approbation sociale a augmenté, surtout chez les jeunes dont la consommation de cannabis a quadruplé.  La consommation de cannabis dans ce pays, comme dans la plupart des pays du continent européen, s'il faut en croire les statistiques mentionnées, reste inférieure à la consommation au Canada.  Mais cela signifie tout simplement que nous devons être encore plus vigilants.  La propension à avoir une situation problématique et la probabilité que cela arrive semblent plus élevées au pays. » [55]

 

Divers témoins ont cité l’article de Larry Collins publié dans la prestigieuse revue Foreign Affairs.  Pourtant, cet article est truffé d’erreurs de fait.

Tenant compte du climat qui entoure le débat des politiques sur les drogues, il est difficile de décrire l’approche néerlandaise sans donner l’impression de prendre une position.  Rappelons d’abord certains constats que nous avons faits au chapitre 6 et sur lesquels nous reviendrons dans l’analyse comparative au chapitre suivant : d’une part les comparaisons internationales sur les tendances d’usage doivent être faites avec prudence en raison des différences de méthodologie entre les enquêtes ; d’autre part, les comparaisons internationales tendent à démontrer que « la relation entre les chiffres mesurant le niveau de consommation du cannabis et modèle législatif en vigueur dans un pays n’est pas évidente ni systématique ».[56]

Comme pour la France, nous commençons par un bref historique de la législation sur les drogues aux Pays-Bas.  Nous décrivons ensuite les grandes lignes de sa politique actuelle et de ses outils de mise en ¦uvre.  Nous présentons la législation contemporaine de manière plus précise et les rapports qui l’ont fondée, et fournissons enfin quelques données sur les usages et leur répression.

 

Le pragmatisme néerlandais ?

 Comme les autres puissances coloniales, les Pays-Bas ont entretenu des comptoirs ou régies de production d’opium dans leurs colonies.  Ce système permettait des rentrées fiscales significatives : entre 1816 et 1915, on estime que les profits nets tirés de la vente de l’opium représentaient environ 10 % du revenu total des colonies pour le trésor néerlandais.  Le pays était aussi le plus important producteur de cocaïne aux fins médicales.  Ce n’est qu’à la fin de la Seconde guerre mondiale et l’accession de l’Indonésie à l’indépendance, que les Pays-Bas allaient mettre fin au monopole de l’opium.

 

[Traduction]  « Des intérêts économiques bien compris dans la production et le commerce des drogues peuvent expliquer les réserves des Pays-Bas à soutenir le système international de contrôle des drogues.  Il est clair que les Pays-Bas ont tenté de protéger leurs intérêts commerciaux lors des conférences, et ont réussi, au moins temporairement, à le faire.  (…) Notons au passage que les Pays-Bas se sont aussi opposés à l’inclusion du cannabis dans la convention.. » [57]

 

Au cours des années 20 et 30, le pays a été l’objet des critiques de la Ligue des Nations et des États-Unis notamment, pour son important commerce de drogues : parmi les principaux producteurs d’héroïne, il était le principal producteur de cocaïne.  Mais les négociateurs néerlandais aux conférences internationales sur les diverses conventions, ainsi qu’une partie de la population elle-même, ne croyaient pas à un système basé sur la prohibition et considéraient déjà, au début du siècle, qu’un système de contrôle gouvernemental serait plus efficace.

C’est cette attitude qui a amené plusieurs analystes à présenter l’approche néerlandaise sur les drogues sous l’angle du pragmatisme.

 

« La société néerlandaise est une société pragmatique.  C'est une nation de marchands, et ce, depuis le XVIIe siècle.  Or, il n'y a pas plus pragmatique qu'un marchand.  Ce pragmatisme néerlandais trouve d'ailleurs sa source dans notre histoire, qui est caractérisée par une lutte constante contre la mer, l'ennemi naturel des Néerlandais depuis le Moyen âge.  Les Pays-Bas ont une superficie à peu près comparable à celle de l'Île de Vancouver, et, aujourd'hui, la moitié du territoire de notre pays se situe au niveau de la mer.

Pour protéger notre pays, nous avons érigé un réseau de digues.  Il y a des siècles, tous les Néerlandais, depuis les aristocrates jusqu'aux agriculteurs, ont uni leurs efforts pour empêcher la mer d'engloutir leur pays.  C'est de là que vient notre pragmatisme.  Il est impossible d'enrayer complètement le problème de l'eau.  Mieux vaut alors s'en rendre maître en aménageant des canaux. » [58]

 

Au delà du pragmatisme, d’autres facteurs sont cependant à l’¦uvre.  Une publication gouvernementale laisse entendre que la nature de la société néerlandaise constitue la raison d’être de son approche :

 

[Traduction] « Pour apprécier l’approche néerlandaise du problème des drogues, il faut connaître certaines caractéristiques de la société de ce pays.  Les Pays-Bas constituent un des pays urbanisés les plus densément peuplés du monde.  Leur population de 15,5 millions d’habitants occupe une superficie de 41 526 km2 tout au plus.  Les Pays-Bas ont toujours été un pays de transit : Rotterdam est le plus important port de mer du monde et le pays possède un secteur de transport très développé.  Les Néerlandais croient fermement à la liberté individuelle et ils attendent de l’État qu’il fasse preuve de réserve dans les questions religieuses ou morales.  Le débat libre et ouvert sur de telles questions est l’une des caractéristiques de la société néerlandaise.  On attache une grande valeur au bien-être de toute la société, comme en témoignent l’important système de sécurité sociale et l’accessibilité pour tous des soins de santé et de l’enseignement. » [59]

 

Il en découle que par tradition les Néerlandais n’ont pas l’habitude de réagir aux problèmes sociaux en se servant du droit criminel.[60]  De surcroît, c’est un pays de consensus, où la concertation entre les instances locales, régionales et nationale, ainsi qu’entre les divers secteurs de l’administration publique, a une longue tradition.

Quelles qu’en soient les raisons, l’expérience néerlandaise a fait couler beaucoup d’encre, étonnamment beaucoup plus que l’approche espagnole qui est, à maints égards, encore plus libérale.  Appelés à la défendre autant en Europe que dans d’autres forums internationaux, les Néerlandais l’ont souvent présentée comme une position de compromis entre celle des « éperviers » de la lutte contre la drogue et celle des « colombes » de la légalisation.[61]  Il est peu probable qu’il s’agisse là du résultat de facteurs culturels particuliers et que l’expérience néerlandaise ne puisse s’appliquer à d’autres pays.  Au contraire, elle semble être plutôt la solution rationnelle apportée par les politiciens à un problème, et on ne peut affirmer qu’il s’agit là d’une caractéristique exclusivement néerlandaise.

 

Des rapports d’experts fondateurs

Contrairement à la plupart des autres pays où ont été produits, au courant des années 70, des rapports de commissions d’enquête, les Pays-Bas ont été les seuls à mettre en ¦uvre les recommandations de leur commission.

 

La Commission Hulsman (1968-1971)

En 1968, la Fédération nationale des organismes de santé mentale[62] a créé une commission dont le mandat général consistait à « clarifier les facteurs associés à l’usage de drogues et à présenter des propositions pour une politique rationnelle ».[63]  Présidée par le professeur de droit criminel Louk Hulsman, la Commission était composée de représentants des services policiers et juridiques, de spécialistes du traitement des alcooliques, de psychiatres, d’un chercheur sur l’usage des drogues et d’un sociologue.

Le rapport final de la Commission, présenté en 1971, présentait une analyse de la consommation de drogues et des mécanismes sociaux sous-jacents aux problèmes liés aux drogues.  De nouvelles approches ont été suggérées, notamment :

·                Supprimer immédiatement du droit criminel l’usage et la possession de petites quantités de cannabis.  La production et la distribution devaient alors rester dans le droit criminel, mais comme infractions mineures ;

·                L’usage et la possession d’autres drogues devraient demeurer temporairement dans le droit criminel, comme infractions mineures, mais à long terme il faudrait les décriminaliser ; et

·                Les personnes ayant des problèmes liés à la consommation de drogue devraient avoir accès à des centres de traitement adéquats.

 

En recommandant la décriminalisation graduelle de toutes les drogues, les auteurs du rapport observaient qu’il est possible d’utiliser les drogues illicites de manière limitée et contrôlée et que la marginalisation des sous-cultures de toxicomanes a des répercussions négatives considérables.  Plus précisément, en fréquentant le « milieu de la drogue », un usager de cannabis peut se familiariser avec d’autres drogues et d’autres méthodes de consommation.  Bien que la Commission n’ait pas trouvé de preuve de la théorie de l’escalade de l’usage de drogue &endash; qu’on désigne comme « porte d’entrée » dans d’autres contextes &endash; elle admet qu’un type de toxicomanes (p. ex. les utilisateurs d’héroïne) puisse contaminer un autre type de toxicomanes (p. ex. les utilisateurs de cannabis) lorsque les deux types d’usagers se trouvent refoulés dans une sous-culture marginale.

La Commission concluait qu’une fois commencée, la répression policière ne pourrait que s’intensifier constamment pour suivre le rythme d’augmentation de l’usage des drogues.  La Commission considérait que la lutte contre l’usage de drogues au moyen du droit criminel laissait à désirer, en plus d’être « extrêmement dangereuse » :

 

« À maintes reprises, le droit criminel a prouvé que les moyens ne correspondent plus aux fins, et les tenants de la répression demanderont une augmentation des mesures de répression, jusqu’à ce qu’elles soient amplifiées de cent fois par rapport à la situation actuelle  [...] Cela accentuera la polarisation entre les différentes parties de la société et peut engendrer une violence accrue. » [1]

 

Même s’il n’a pas eu d’impact immédiat, le rapport Hulsman a néanmoins influencé le rapport gouvernemental de la commission Baan.

 

La Commission Baan (1968-1972)[2]

Une commission d’État a été constituée 1968 par le sous-secrétaire à la Santé.  Cette commission réunissait certains membres de la Commission Hulsman, des représentants du ministère de la Justice, le chef de la police d’Amsterdam, ainsi que des psychiatres et des sociologues.  En 1970, Pieter Baan, l’inspecteur chef de la santé mentale, a assumé la présidence de la Commission, dont le rapport final a été présenté en 1972.

Ce rapport proposait de diviser les drogues selon le risque &endash; acceptable ou inacceptable &endash; qu’elles présentent.  Reconnaissant qu’un consensus plus général entre les spécialistes sur la classification des drogues aurait exigé davantage de recherche, le rapport concluait néanmoins que les produits du cannabis étaient relativement bénins et leurs risques pour la santé limités.  Même pour les drogues présentant des risques inacceptables, le rapport concluait que le recours au droit criminel n’était pas l’approche qui convient.  La Commission proposait, à long terme, la décriminalisation complète, une fois qu’aurait été mis au point un système de traitement efficace.  Entre temps, le système judiciaire devrait servir uniquement d’outil pour amener les toxicomanes endurcis à suivre un traitement.

Parmi les autres conclusions de la Commission Baan, on note :

·                Les caractéristiques particulières à la culture des jeunes constituent des déterminants importants de la consommation de drogues et si un comportement soi-disant déviant est stigmatisé par des mesures répressives, la probabilité de l’intensification de ce comportement constitue un danger grave.  Ce sera le début d’une spirale qui rendra de plus en plus difficile le retour de l’individu à un style de vie accepté socialement ;

·                Chez les jeunes, la consommation de drogue est souvent une expérience de courte durée ;

·                La consommation de cannabis ne mène pas à l’usage d’autres drogues, mais comme le signalait le rapport Hulsman, la criminalisation du cannabis favorise le contact entre les usagers du cannabis et les consommateurs de drogues dures ;

·                Les usagers de drogues profitent davantage de l’information et de la prévention que de la répression ;

·                Le comportement parfois inhabituel des jeunes consommateurs de cannabis découle davantage des normes et des idéologies d’une sous-culture particulière que de la pharmacologie de la substance ; et

·                L’usage de cannabis lorsqu’on conduit ou qu’on fait fonctionner des machines dans une usine n’est pas un comportement responsable; il faudrait restreindre la consommation de cannabis aux heures de loisirs afin de limiter les risques pour l’individu ou la société.

 

Le rapport Baan est aux fondements de ce qui allait devenir le système de tolérance envers le cannabis aux Pays-Bas, dans une préoccupation de santé publique et de séparation des marchés des drogues.

 

Le rapport Engelsman (1985)[3]

Constatant les limites d’une politique de santé publique essentiellement centrée sur les jeunes (principaux usagers du cannabis) et l’évolution de la consommation d’héroïne, de même que la dégradation de la condition des usagers, le rapport Engelsman va proposer d’étendre aux autres drogues l’approche de tolérance de la Commission Baan.  Il va aussi plus loin que le rapport Baan quant à la nécessité de privilégier l’expérience et la parole des usagers dans la définition des politiques, proposant notamment d’exclure les non-usagers du cercle des experts.  Pour Engelsman, les usages et les produits ne sont plus les seuls en cause pour expliquer les problèmes des drogues &endash; dures dans ce cas-ci &endash; mais le sont aussi les effets pervers des interventions répressives (soins et police) sur les usagers.  Les propositions de politique publique doivent donc éviter de donner suite aux réactions de panique de la société, et viser à intégrer les usagers et normaliser leur usage.  L’État doit ici arbitrer entre les usagers et les non-usagers en privilégiant la protection des usagers.  Le rapport Engelsman, jugé trop radical dans certains milieux, n’a pas eu de suite.

 

Rapport « Continuité et Changement » &endash; 1995[4]

En 1995, le gouvernement néerlandais a publié un rapport intitulé Politique en matière de drogue aux Pays-Bas : Continuité et Changement.  Ce document a été parrainé par le ministre de la Justice, le ministre de la Santé, du Bien-être et du Sport et le secrétaire d’État à l’Intérieur.  Ce rapport était dans une certaine mesure la réponse néerlandaise aux pressions internationales (provenant des pays limitrophes ainsi que des États-Unis) ainsi qu’une occasion de préciser dans certains cas et de resserrer dans d’autres cas les règles de tolérance envers le cannabis.

Le rapport rappelle que les Pays-Bas ont toujours adopté une approche pragmatique concernant l’usage de drogue, et que les politiques de prohibition suivies un peu partout dans le monde ont surtout servi à démontrer leurs limites.  Dans ce contexte, l’objectif modeste des Pays-Bas est de limiter les problèmes de santé et de société que pose l’usage de drogues dangereuses.  C’est cette politique de réduction des méfaits qui a amené le gouvernement néerlandais à distinguer entre les « drogues dures » qui présentent un risque inacceptable pour la santé et les « drogues douces » comme les produits du cannabis, qui ne suscitent pas les mêmes inquiétudes, bien qu’ils soient toujours jugés « à risque ».  En ce qui concerne le cannabis, l’hypothèse sous-jacente, toujours valable depuis le rapport de la Commission Baan est que la transition aux drogues dures est davantage attribuable à des facteurs sociaux qu’à des facteurs physiologiques.  La séparation des marchés pour permettre aux gens d’acheter des drogues douces dans un milieu où ils ne seront pas exposés à la sous-culture criminelle entourant les drogues dures, permet de créer une sorte de « barrière sociale » qui réduit l’usage de drogues plus dangereuses.

Le rapport examine les effets de la politique néerlandaise en matière de drogues, du traitement de la toxicomanie aux Pays-Bas et des mesures d’application de la Loi sur l’opium et souligne notamment que :

·                La décriminalisation de la possession de drogues douces pour usage personnel et la tolérance à l’égard des ventes dans des circonstances contrôlées n’ont pas suscité d’augmentation inquiétante de la consommation chez les jeunes.  L’ampleur et la nature de la consommation de drogues douces ne diffèrent pas du profil des autres pays de l’Ouest.  Pour ce qui est des drogues dures, le nombre de toxicomanes est faible si on le compare au reste de l’Europe et beaucoup plus bas que celui de la France, du Royaume-Uni, de l’Italie, de l’Espagne et de la Suisse ;

·                Le nombre de consommateurs d’héroïne de moins de 21 ans a continué de baisser aux Pays-Bas ;

·                La consommation de formes moins chères de cocaïne (c.-à-d. le crack) n’a pas fait de percées importantes en Hollande, comme on l’avait craint en raison de la situation aux États-Unis ;

·                Le ton du débat public diffère de celui des autres pays parce que l’usage de la drogue n’est plus considéré comme une menace grave à la santé mais plutôt comme une source de nuisances.  Les politiques centrées sur la toxicomanie et le traitement ont conduit à une diminution des infections au VIH, et les niveaux continuent de baisser.  De même, le taux de mortalité chez les toxicomanes est faible et n’augmente pas, contrairement à ce qui se produit dans les autres pays européens ;

·                En ce qui concerne le débat sur la légalisation, le rapport conclut que les inconvénients d’un monopole d’État ou d’un système de permis l’emporteraient sur les avantages pratiques.  Le rôle des organisations criminelles serait réduit, mais un système de ce genre imposerait un lourd fardeau sur le plan de la mise en oeuvre et de la surveillance et attirerait probablement davantage les « touristes de la drogue » et les désordres qu’ils causent parfois.  De plus, le rapport laisse entendre que ce n’est pas une chose que les Pays-Bas pourraient entreprendre sans les autres pays.  Les conventions internationales empêchent la légalisation pure et simple et il faudrait les renégocier ou les dénoncer.  Donc, même si seules les drogues douces étaient légalisées aux Pays-Bas, mais pas dans le reste de l’Europe, les organisations criminelles néerlandaises qui exportent les drogues continueraient d’exister et de nécessiter d’importantes activités policières et judiciaires ;

·                Les préoccupations étrangères concernant la politique néerlandaise sur les cafés ne portent pas sur l’usage de cannabis dans les établissements, mais sur les touristes de la drogue qui emportent le cannabis dans leur propre pays, une chose particulièrement facile depuis l’abolition des contrôles frontaliers en vertu de l’Accord Schengen.  Le rapport confirme le plan gouvernemental visant à réduire la limite d’achat de 30 à 5 grammes pour voir l’effet qu’aura cette mesure sur les exportations illégales[5] ;

·                Étant donné le manque de données scientifiques suffisantes, le rapport appuie la recommandation de 1995 du Conseil de la santé néerlandais que soient entrepris des essais médicaux sur l’efficacité de la prescription d’héroïne aux toxicomanes.[6]

 

Le rapport fait également état de trois conséquences négatives qu’il faut corriger :  les troubles causés par les usagers de drogues dures et douces ; la présence de plus en plus grande du crime organisé aux Pays-Bas ; et l’effet de la politique néerlandaise sur les autres pays.

·                Les nuisances d’ordre criminel et général causées par les usagers de drogues dures néerlandais et étrangers ont parfois pour effet d’éroder l’appui du public à l’égard de la politique d’intégration sociale des toxicomanes.  Quelques usagers de drogues dures commettent un grand nombre de délits contre les biens pour acheter leur drogue.  Contrairement aux attentes, le fait que la méthadone soit plus facile à obtenir a peu amélioré la situation.  Les crimes liés à la drogue et le comportement antisocial, tels que le fait de jeter les aiguilles usagées sur les places publiques, ont influé sur les niveaux de tolérance des résidants de certains quartiers défavorisés socialement dans les grandes villes néerlandaises.  Les nuisances attribuables à la présence de cafés vendant de la drogue constituent également un problème dans certaines municipalités.[7]

·                La montée des organisations criminelles impliquées dans l’offre et la vente de drogues aux Pays-Bas constitue une autre complication qui a nécessité l’augmentation des mesures de droit criminel.  La poursuite des trafiquants de drogues demeurera une priorité absolue pour la police et les autorités judiciaires néerlandaises.

·                Bien que la « nature idéologique » de certaines critiques étrangères révèle un manque de compréhension de la politique néerlandaise et soit souvent fondée sur de prétendus risques pour la santé qui ne sont pas confirmés dans la littérature scientifique, certains problèmes des Pays-Bas ont des répercussions internationales.  Les Néerlandais, par exemple, sont responsables de plus que leur part proportionnelle du trafic des drogues douces et les touristes de la drogue achètent régulièrement des drogues douces aux Pays-Bas avec l’intention de les emporter dans leur pays.  Le rapport laisse entendre que pour lutter contre ces problèmes, il faudra poursuivre et augmenter les activités d’application de la loi qui visent avant tout le trafic.

 

On peut ainsi caractériser l’approche néerlandaise suivie depuis 1976 par trois grands principes :

·                Réduction des méfaits : atténuation des risques et des dangers liés à l’usage de drogues plutôt que l’interdiction de toutes les drogues dont les  éléments clés sont :

·                     La prévention et l’atténuation des risques sociaux et individuels découlant de l’usage de drogue ;

·                     Un rapport rationnel entre ces risques et les politiques ;

·                     Une différenciation des politiques selon les risques associés aux drogues ;

·                     La priorité aux mesures de répression contre le trafic de drogues ; et

·                     L’inefficacité du droit criminel en ce qui concerne les aspects autres que le trafic du problème de la drogue.[8]

·                Politique de « normalisation » : le contrôle social est exercé au moyen de la dépolarisation et de l’intégration du comportement déviant plutôt que par l’isolement et le retrait, typiques du modèle dissuasif.  Selon ce paradigme, il faut considérer les problèmes de drogues comme des problèmes sociaux normaux plutôt que comme des problèmes inhabituels exigeant un traitement extraordinaire.

·                La séparation des marchés : en classant les drogues selon les risques connus et en appliquant des politiques qui servent à isoler chaque marché, on croit que les usagers de drogues douces seront moins susceptibles d’entrer en contact avec les usagers de drogues dures.  Selon cette théorie, les usagers de drogues douces seront moins susceptibles d’essayer les drogues dures.

 

La législation

C’est en 1919 que les Pays-Bas ont adopté la première loi sur l’opium sous l’influence des conventions internationales, dont celle de La Haye en 1912.  Cette législation prohibe la fabrication, la vente, le traitement, le transport, la fourniture, l’importation, l’exportation et la détention de la cocaïne, de l’opium et de ses dérivés.  La loi est modifiée en 1928 pour inclure les dérivés de la cocaïne et le cannabis dans la liste des substances contrôlées.  Toutefois, seuls les faits d’importation, d’exportation et de transfert de ces substances sont prohibés.  Les délits de possession et de fabrication du cannabis et de ses dérivés ne seront punissables qu’à compter de 1953.

La Loi sur l’opium &endash; également connue sous le nom de Loi sur les narcotiques &endash; constitue la principale loi sur les drogues des Pays-Bas.  La Loi criminalise la possession, la culture, le trafic ainsi que l’importation et l’exportation de drogues.  Les modifications de 1976 définissent deux catégories de drogues : les drogues de l’annexe I présentent un risque inacceptable pour la société néerlandaise et comprennent l’héroïne, la cocaïne, les amphétamines et le LSD et les drogues de l’annexe II comprennent les « produits du chanvre traditionnels » tels que la marijuana et le hachisch.

 

Les délits

La loi se caractérise par trois aspects :

·                L’incrimination de la possession, du commerce, de la culture, du transport, de la fabrication, de l’importation et de l’exportation des stupéfiants, y compris du cannabis et de ses dérivés ;

·                Une distinction nette entre les fournisseurs et les consommateurs; la loi punit la possession pour usage, non l’usage proprement dit ;

·                Des sanctions appareillées selon les substances mises en cause.

 

La possession d’une des drogues désignées dans les deux annexes constitue un délit, mais la possession d’une petite quantité de drogue « douce » pour usage personnel est une infraction mineure.  Habituellement, elle est tolérée par la police, en particulier dans le réseau de cafés réglementés dont il est question dans la section suivante.  L’importation et l’exportation constituent les infractions les plus graves selon la Loi

 

Les peines

La peine maximale pour l’importation ou l’exportation de drogues dures est une période de 12 ans de détention et une amende de 100 000 florins.[9]  Quiconque est trouvé en possession d’une quantité de drogue dure pour usage personnel est passible d’une peine de un an de détention et d’une amende de 10 000 florins.  L’importation ou l’exportation de drogues douces peuvent entraîner une peine maximale de quatre ans de détention et une amende de 100 000 florins.  Les récidivistes sont passibles d’une peine maximale de 16 ans de détention et d’une amende de un million de florins.  De plus, les contrevenants peuvent être privés de l’argent ou des biens obtenus par leur méfait.  Les Pays-Bas ont également des lignes directrices pour les peines que le procureur de la Reine est autorisé à demander ; elles sont basées sur le type et la quantité de drogue et le délit particulier.  Les tableaux suivants résument les lignes directrices actuelles (1996).[10]

(...)

 

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