Source

 

« Les conventions internationales doivent s'adapter aux réalités sociales »

Ancien haut gradé de Scotland Yard, Tony White a été, à l'ONU, le responsable des programmes de réduction de l'offre de drogues de 1997 à 2000.

Par Arnaud Aubron

Libération du jeudi 25 novembre 2004

 

Quand avez-vous été pour la première fois impliqué dans la guerre à la drogue et quelle était à l'époque votre opinion sur le sujet ?

C'est en 1990, alors que j'étais officier de police en Grande-Bretagne, que j'ai commencé à me spécialiser sur ces questions. A cette époque, j'ai été nommé numéro 2 de l'ancienne « National Drugs Intelligence Unit » (Unité de renseignements sur les drogues, ndlr). J'avais à l'époque la même approche de la question qu'aujourd'hui : une politique de maintien de l'ordre rationnelle et responsable peut aider à améliorer la situation mais ne peut constituer une réponse à elle toute seule. Quand, en 1997, j'ai quitté la police pour rejoindre l'ancien Programme des Nations unies pour le contrôle des drogues (Pnucid), je n'ai pas eu l'impression de m'enrôler dans une quelconque « guerre à la drogue ».

C'était une époque où l'ONU manquait cruellement de subventions américaines et les pressions qui s'exerçaient alors sur elle étaient énormes pour qu'elle ne dévie de la stricte ligne prohibitionniste. L'Assemblée générale de l'ONU consacrée au problème des drogues, en 1998, a été très décevante. Le vrai débat qui aurait dû avoir lieu a tourné à la réaffirmation aveugle de politiques qui avaient échoué. A y regarder de plus près, c'est peut-être à cette époque que je me suis le plus approché de ce qui pourrait être une participation à la guerre à la drogue, même si je n'en étais pas conscient.

Qu'est-ce qui devrait, selon vous, changer dans les conventions de l'ONU régissant le droit international des drogues ?

Les conventions internationales sont plutôt bonnes, elles requièrent seulement des ajustements pour s'adapter aux réalités sociales du moment. Le principal problème, ce sont les organes de l'ONU qui gèrent la politique internationale des drogues (la Commission des stupéfiants et l'Organe international de contrôle des stupéfiants), qui sont hostiles à toute réforme. La Commission des stupéfiants est depuis trop longtemps un salon où l'on cause pour s'autoféliciter. L'OICS s'est ridiculisé ces dernières années en prenant position sur des débats sociaux qui dépassent à la fois son mandat et sa compréhension. Quand à l'ONUDC (Office des Nations unies contre la drogue et le crime), il a beau avoir changé son nom, les dysfonctionnements internes et la culture hérités du Pnucid sont toujours présents.

Vous êtes-vous senti prisonnier d'une contradiction en tant qu'officiel de l'ONU et partisan d'une réforme de ses conventions ?

Mon rôle n'était pas de défendre des changements dans les conventions, mais plutôt de faire ce que je pouvais pour faire fonctionner celles qui existaient. Il y a, au sein de l'ONUDC, beaucoup d'individus talentueux, créatifs et travailleurs qui peuvent contribuer à élaborer des approches plus efficaces, moins répressives, de la question des drogues. En privé, la plupart des membres de l'ONUDC qui ont une vraie compréhension technique du problème reconnaissent que les modèles basés sur l'idée de guerre à la drogue ne fonctionnent pas. Mais l'ONU n'est pas une organisation dans laquelle il est prudent d'exprimer une voix dissidente. Il faut se rappeler que l'actuel directeur exécutif de l'ONUDC a demandé la démission du responsable des programmes de réduction de la demande juste après l'avoir engagé et ce parce qu'il avait appris qu'il avait une vision libérale de la question des drogues. J'imagine que cette décision a été le résultat de pressions d'un des Etats prohibitionnistes au sein des pays donateurs, probablement la Suède.

Pourquoi les Etats-Unis sont-ils si enclins à la répression en matière de drogues ?

Il faut être clair sur ce que l'on entend par « l'Amérique ». En effet, la contribution au contrôle international des drogues des agences gouvernementales américaines, des organisations non-gouvernementales et des groupes de pression citoyens est immense. Tout aussi immense que les fortunes que le gouvernement américain alloue au contrôle des drogues hors de ses frontières. Je respecte beaucoup les responsables américains de la lutte antidrogues, avec qui la coopération a souvent été fructueuse. Mais là encore, il est remarquable de constater que très peu d'entre eux expriment en privé un quelconque soutien à la guerre à la drogue que mène leur pays. Ils y voient une simple rhétorique qui sert de paravent à des intérêts politiques et économiques plus vastes, particulièrement en Amérique latine, et qui serait le fruit d'une tendance prohibitionniste aux Etats-Unis qui remonte à des décennies en arrière et reste aveugle à son échec total. Mais d'autres nations influentes sont également strictement prohibitionnistes en matière de drogues, comme le Japon, l'Italie ou la Suède. Autant de pays qui, comme les Etats-Unis, imposent leurs vues à l'ONUDC via leur statut de pays donateurs.

Sur le versant plus libéral du débat, il y a des pays hors d'Europe qui avancent vers des approches moins répressives, comme le Canada. Mais le principal potentiel de changement réside en Europe. Il est de ce point de vue essentiel que les pays ayant une approche commune se réunissent et fassent pression pour obtenir de nécessaires réformes de la politique internationale des drogues. Je suis persuadé qu'ils y arriveront, mais je serais bien inapplicable de prévoir quand.

Regrettez-vous d'avoir participé à la guerre à la drogue ?

Je ne me suis jamais considéré comme un « guerrier », bien que trente années de service comme officier de police me qualifient pour quelques citations. Je ne voudrais pas paraître partisan, mais je pense que mon pays, la Grande-Bretagne, a mis en place ces dernières années une approche progressiste et fait montre de courage pour opérer des changements susceptibles de créer une émulation à l'étranger. Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait de mon mieux. Mon engagement pour une politique de contrôle des drogues rationnelle et raisonnable n'a pas faibli et n'est en rien compromis par mes opinions : à savoir que certaines réformes sont nécessaires pour se retrouver sur le chemin du succès.

 

© libération

retour