[Traduction personnelle - Raph]

 

The Lancet vol. 363, n°9421, 15 mai 2004

http://www.thelancet.com/journal/vol363/iss9421/editorial_and_review

http://www.thelancet.com/journal/vol363/iss9421/artid/29597 (accès payant)

 

Commentaire

Comment prévenir les troubles psychologiques d'origine cannabique... chez les hommes politiques

Par Franjo Grotenhermen

 

Le cannabis peut provoquer de l'anxiété, de l'agitation et de l'angoisse parmi les politiques. Les conséquences de ce syndrome de stress psychologique d'origine cannabique (cannabis-induced psychological distress syndrome ou CIPDS en anglais) incluent notamment une réaction excessive à la législation et à la politique, et un manque de distinction entre l'usage et l'abus de cannabis. En cette période de guerre contre les drogues, cette distinction doit même être considérée comme anti-patriotique (1), au même titre qu’une désertion devant l'ennemi. Une tendance associée au syndrome SSPOC consiste à suspendre le permis de conduire de conducteurs chez qui il a été découvert des métabolites inactifs de tétrahydrocannabinol dans leur urine (2). Dans un cas plus sévère de paranoïa, même le cannabis à usage thérapeutique peut être considéré comme une menace pour la société, puisqu’il semble capable « de déstabiliser les normes sociales établissant que l’usage de drogue est dangereux » (3), ignorant le fait que beaucoup de prescriptions avec un nombre incalculable de médicaments sont potentiellement dangereuses. Les lois caricaturales sur le cannabis, faites par des individus anxieux, peuvent être considérées comme la version moderne du conflit des générations (4).

La raison et le recours aux faits sont nécessaires pour apaiser les politiciens affectés par le SSPOC. Que le cannabis puisse causer infertilité, cancer, déclin cognitif, dépendance, accidents de circulation et crises cardiaques, qu’il conduise à l’usage de drogues plus dangereuses, tous ces arguments ont été utilisés pour justifier la guerre contre le cannabis. Les drogues peuvent être nocives, qu’elles soient légales ou illégales, mais les déclarations sur les dangers du cannabis sont souvent exagérées (5) (6).

La justification principale pour l’actuelle lutte contre le cannabis est son probable effet préjudiciable sur la santé mentale et sur le comportement social des adolescents. Dans le Lancet de cette semaine, John Macleod et ses associés montrent que la relation de causalité est moins avérée que ce qui est souvent prétendu, et signalent plusieurs malentendus courants à propos des difficultés rencontrées lors de l’étude de l’usage de drogue, comme les limites des covariables d’ajustement. Les résultats d’une étude suédoise souvent citée (7), par exemple, indiquent un ratio grossier de risque 6,7 fois plus grand de développer une schizophrénie à l’âge de 26 ans chez les individus qui consomment du cannabis plus de 50 fois avant l’âge de 18 ans. Ces découvertes suggèrent que le cannabis est un facteur important de schizophrénie. Après ajustement avec plusieurs covariables possibles, cependant, le risque décroît à 3,1, ce qui constitue une forte indication de covariables résiduelles, c’est-à-dire la présence de facteurs qui pourraient réduire le risque s’ils étaient inclus dans le modèle statistique, mais qui n’ont pu l’être à cause d’un manque de données.

Un autre compte rendu (8) examine les résultats d’une enquête sur l’association entre le cannabis et la psychose, basée sur cinq études longitudinales. Les auteurs reconnaissent qu’une seule de ces études a été capable de documenter le fait que des manifestations précoces de schizophrénie précédaient l’usage de cannabis. Les résultats de l’étude (9) indiquent que « les usagers de cannabis à l’âge de 18 ans ont des scores élevés sur l’échelle du symptôme schizophrénique seulement s’ils ont présenté des symptômes psychotiques à l’âge de 11 ans » (8), et les personnes qui consomment du cannabis à l’âge de 15 ans ont un risque accru de désordre de forme schizophrénique adulte à l’âge de 26 ans même si les symptômes psychotiques à l’âge de 11 ans ont été contrôlés » (9). Les chercheurs concluaient que le cannabis était un facteur de causalité pour des psychoses chez des « jeunes vulnérables » (8).

Il y a quelques raisons de croire que le cannabis contribue aux problèmes psychosociaux chez les adolescents et les jeunes adultes, et aucun adulte responsable ne voudrait que les jeunes prennent des drogues. Il n’y a pas de remise en cause sur le fait que ce problème est un candidat important pour l’éducation et la prévention, mais il y a un débat féroce sur la place que doivent avoir les mesures répressives dans ce contexte. Il existe quelques petites raisons de croire que la criminalisation a un effet puissant sur l’étendue de l’usage de cannabis chez les jeunes (10). En outre, la prohibition elle-même semble accroître la nocivité de l’usage de drogues et engendre des dommages sociaux.

En arrêtant de traiter tous les usagers de cannabis comme des criminels, le gouvernement anglais a opéré cette année un changement de loi sur le cannabis (un déclassement de la catégorie B à la catégorie C) qui constitue, je crois, une tentative raisonnable pour équilibrer les dommages possibles causés par le cannabis et sa prohibition. La préoccupation exprimée par Peter Maguire, de la British Medical Association, et d’autres (11), selon laquelle « l’opinion publique pourrait penser que reclassification équivaut à innocuité », est basée sur la supposition fausse que le cannabis est devenu illégal parce que son usage est risqué et dangereux. Beaucoup d’activités à risques sont légales, parmi lesquelles skier en montagne, avoir des relations sexuelles, boire de la bière, manger des hamburgers, et prendre de l’aspirine. Le cannabis n’est pas devenu illégal parce qu’il aurait été démontré dangereux, mais plus probablement, parce que Harry Anslinger, le chef du Bureau Fédéral des Narcotiques de 1930 à 1962, ainsi que ses collègues, avaient besoin d’une nouvelle cible, un nouveau cheval de bataille après la fin de la Prohibition de l’alcool en 1933. Les dangers présumés, présentés lors de son audition devant le Sénat en 1937 (12), furent utilisés comme d’impressionnants procédés de manipulation, exemple : « Un homme sous l’influence de marijuana a effectivement décapité son meilleur ami ; et alors, émergeant des effets de la drogue, fut aussi horrifié que n’importe qui d’autre de ce qu’il avait fait. » Les représentants de l’American Medical Association s’opposèrent fortement au Marijuana Tax Act de 1937 : « Dire... que l’usage de cette drogue devrait être empêché par une taxe prohibitive, c’est perdre de vue le fait que de futures recherches démontreront qu’il existe de substantielles utilisations médicales pour le cannabis. » (13)

Nous vivons à une époque dans laquelle le paradigme irréaliste et improductif de l’abstinence totale est lentement en voie de disparition. Les partisans d’une société sans drogue trouvent ce fait difficile à admettre, et les responsables politiques et les médecins peuvent parvenir à atteindre une position convenable dans la difficulté du débat. Cependant, nous devons apprendre à traiter les drogues et leurs dangers éventuels sans peur.

Je n’ai pas de conflit d’intérêts à déclarer.

Franjo Grotenhermen

-------------- Nova-Institut GmbH, D-50354 Huerth, Germany (e-mail:franjo.grotenhermen@nova-institut.de)

 

John Macleod et al., Psychological and social sequelae of cannabis and other illicit drug use by young people: a systematic review of longitudinal, general population studies. The Lancet, Volume 363, N°9421, 15 mai 2004.

1 Wish ED. Preemployment drug screening.  JAMA 1990; 264: 2676-77. [PubMed]

2 The Walsh Group. The feasibility of per se drugged driving legislation: consensus report. Document pdf (accessible au 18 février 2004).

3 Barthwell A. Marijuana is not medicine. Chicago Tribune Feb 17, 2004.

4 Böllinger L, Quensel S. Drugs and driving: dangerous youth or anxious adults?  J Drug Issues 2002; 32: 553-66. [PubMed]

5 Grotenhermen F. Review of unwanted effetcs of cannabis and THC. In: Grotenhermen F, Russo E, eds. Cannabis and cannabinoids: pharmacology, toxicology, and therapeutic potential. Binghamton: Haworth Press, 2002: 233-47.

6 House of Lords Select Committee on Science and Technology. Cannabis: the scientific and medical evidence. London: HM Stationery Office, 1998.

7 Zammit S, Allebeck P, Andreasson S, Lundberg I, Lewis G. Self reported cannabis use as a risk factor for schizophrenia in Swedish conscripts of 1969: historical cohort study. BMJ 2002; 325: 1199.

8 Arseneault L, Cannon M, Witton J, Murray RM. Causal association between cannabis and psychosis: examination of the evidence.  Br J Psychiatry 2004; 184: 110-17. [PubMed]

9 Arseneault L, Cannon M, Poulton R, Murray R, Caspi A, Moffitt TE. Cannabis use in adolescence and risk for adult psychosis: longitudinal prospective study.  BMJ 2002; 325: 1212-13. [PubMed]

10 Williams J. The effects of price and policy on marijuana use: what can be learned from the Australian experience?  Health Econ 2004; 13: 123-37. [PubMed]

11 Anon. Physicians say UK cannabis reclassification may endanger public health. Reuters Health Information, Jan 21, 2004.

12 Anslinger H. Testimony to Congress during the hearings to the The Marijuana Tax Act (HR 6385) on April 27-30 and May 4, 1937. http://www.druglibrary.org/schaffer/hemp/taxact/anslng1.htm (accessible au 14 avril 2004).

13 Woodward WC. Testimony to Congress during the hearings to the The Marijuana Tax Act on May 4, 1937. http://www. druglibrary. org/schaffer/hemp/taxact/woodward.htm (accessible au 14 avril 2004).

 

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Version originale

 

 Commentary

How to prevent cannabis-induced psychological distress . . . in politicians

 

Cannabis can cause anxiety, agitation, and anger among politicians. The consequences of this cannabis-induced psychological distress syndrome (CIPDS) include over-reaction with respect to legislation and politics and a lack of distinction between use and misuse of cannabis. In times of a war against drugs, this distinction might even be regarded as unpatriotic,1 as irresoluteness in the face of the enemy. One trend associated with CIPDS involves taking away the driving licence of people who drive and are discovered to have inactive tetrahydrocannabinol metabolites in their urine.2 In a more severe state of paranoia even medicinal use can be perceived as a threat to society, since it might "destabilize the societal norm that drug use is dangerous",3 ignoring the fact that many prescription and over-the-counter drugs are potentially harmful. Exaggerated laws on cannabis made by anxious individuals could be regarded as a modern version of the generational conflict.4

Rationality and factuality are needed to calm down politicians affected by CIPDS. That cannabis might cause infertility, cancer, cognitive decline, dependency, traffic accidents, and heart attacks, and that it can lead to the use of more dangerous drugs, are all arguments that have been used to justify the war on cannabis. Drugs can be harmful, whether they are legal or illegal, but claims about the dangers of cannabis are often overstated.5,6

One main justification for today's war on cannabis is its possible detrimental effect on the mental health and social wellbeing of adolescents. In this week's Lancet, John Macleod and colleagues show that the causal relation is less certain than often claimed, and point out several common misunderstandings about the difficulties encountered when studying drug use, such as the limits of confounder adjustment. The results of one often-cited Swedish study,7 for example, indicate a crude odds ratio of 6·7 for schizophrenia risk at age 26 years in individuals who used cannabis more than 50 times before age 18 years. This finding suggests cannabis is an important contributor to schizophrenia. After adjustment for several possible confounders, however, the risk decreased to 3·1, a strong indication of residual confounding--ie, the presence of factors that would further reduce the risk if included in the statistical model but that could not be included because of a lack of data.

Another review8 details the findings of an investigation into the association between cannabis and psychosis on the basis of five longitudinal studies. The authors conceded that only one of these studies was able to record whether prodromal manifestations of schizophrenia preceded cannabis use. The results of the study9 indicated that "cannabis users at age 18 years had elevated scores on the schizophrenic symptom scale only if they had reported psychotic symptoms at 11 years",8 and that people who used cannabis at age 15 years had a higher risk for adult schizophreniform disorder at age 26 years even if psychotic symptoms at age 11 years were controlled for.9 The researchers concluded that cannabis was a causal factor for psychosis in "vulnerable youths".8

There is some reason to believe that cannabis contributes to psychosocial problems in adolescents and young adults, and no responsible adult would want young people to take drugs. There is no question that this issue is an important candidate for education and prevention, but there is a fierce debate on the place repressive measures should have in this context. There is little reason to believe that criminalisation has had a strong effect on the extent of cannabis use by young people.10 Moreover, prohibition itself seems to increase the harmfulness of drug use and cause social harm.

By stopping all cannabis users from being treated as criminals, I believe this year's change by the British Government of its cannabis law (a declassification from class B to C) is a sensible attempt to balance the possible harms caused by cannabis and its prohibition. The concern expressed by Peter Maguire of the British Medical Association and others,11 that "the public might think that reclassification equals safe", is based on the wrong assumption that cannabis became illegal because its use is unsafe and dangerous. Many unsafe activities are legal, including skiing downhill, having sex, drinking beer, eating hamburgers, and taking aspirin. Cannabis did not become illegal because it was shown to be dangerous but, more likely, because Harry Anslinger, Commissioner of the US Bureau of Narcotics 1930-62, and his colleagues needed a new target and battlefield after the end of alcohol prohibition in 1933. Reputed dangers, presented in his statements before the US Senate in 1937,12 were used as a shocking means of manipulation--eg, "A man under the influence of marijuana actually decapitated his best friend; and then, coming out of the effects of the drug, was as horrified as anyone over what he had done." The representative of the American Medical Association strongly opposed the Marijuana Tax Act of 1937: "To say . . . that the use of the drug should be prevented by a prohibitive tax, loses sight of the fact that future investigation may show that there are substantial medical uses for cannabis."13

We live in a time in which the unrealistic and unproductive paradigm of complete abstinence from drugs is slowly dissipating. Proponents of a drug-free society find this fact hard to accept, and responsible politicians and doctors can find achieving an appropriate position in the debate difficult. However, we must learn to deal with drugs and their possible dangers without fear.

I have no conflict of interest to declare.

Franjo Grotenhermen

Nova-Institut GmbH, D-50354 Huerth, Germany (e-mail:franjo.grotenhermen@nova-institut.de)