Les Dossiers du Net : Faut-il légaliser les drogues douces ?
par Didier D.
Passage en revue des arguments avancés et de ceux qui les avancent à propos de la légalisation, ou de la dépénalisation, du cannabis.
Article initialement publié dans la revue Maintenant du 21/06/1995.
Depuis le 18 juin 1993, de nombreuses voix réclament la légalisation du cannabis - tout au moins sa dépénalisation -, mais souvent pour des raisons totalement différentes. Voici les arguments avancés et qui les avance...
On connaissait déjà lexistence de deux discours de base : celui disant que le cannabis, étant une drogue douce, il mérite un statut différent de celui des drogues dures, donc plus de tolérance. Et celui affirmant que la prohibition de toutes les drogues est en soi un scandale, une atteinte à la liberté fondamentale dabsorber les produits de son choix.
Du "droit à la santé", il y a eu dérive vers "le devoir de santé", selon des modèles bien précis. Et tant pis pour les autres ! Dautant que ce nest pas toujours lintérêt de la santé publique, comme le rappellent à propos du sida Aides, Act Up ou lASUD. "La drogue nest pas interdite parce quelle est dangereuse, mais elle est dangereuse parce quelle est interdite", se plaît à répéter lancien procureur Georges Apap.
Le Mouvement pour la légalisation contrôlée (MLC), emmené par Francis Caballero, prône la légalisation de certaines drogues : le cannabis, bien sûr, mais aussi les opiacés et la cocaïne. Le premier, disponible dans des endroits spécifiques, les seconds en dispensaire. Son projet repose également sur un monopole dEtat, à limage de ce que fut la Régie des tabacs et du kif de lépoque coloniale au Maroc.
Les raisons qui poussent les adhérents du MLC à demander la légalisation, sont essentiellement pragmatiques : lusage de drogues sest largement répandu malgré des lois exorbitantes du droit commun, et il convient donc de traiter ce problème différemment, en faisant le tour de tous les effets pervers - nombreux - de la prohibition. Cependant, il convient, selon le MLC, de prévoir un cadre très strict à lusage ; rappelons à ce propos que Francis Caballero est aussi lavocat du Comité national contre le tabagisme, qui réclame une sorte de prohibition rampante du tabac.
A écouter les différentes personnes ayant argumenté pour une légalisation (ou la simple dépénalisation) du cannabis, on remarque aisément des spécificités selon leurs préoccupations premières, ce qui amène parfois des arguments incomplets. Ainsi, on ne retiendra que les effets pervers qui paraissent les plus inacceptables. Les politiques invoquent principalement ceux liés au développement des trafics, des mafias et de léconomie parallèle. Même Charles Pasqua avait un temps abordé cet aspect du problème...
En revanche, chez les sociologues ou chez les intervenants en toxicomanie, ce sont les effets pervers touchant lusager qui sont mis en avant, essentiellement des problèmes sociaux. Olievenstein, pour citer le plus connu, met en avant le fait que le jeune usager de cannabis apprend à vivre dans lillégalité et, ainsi, à bafouer la loi... Et pas toujours la seule loi de 1970. Cette situation lui paraît suffisamment explosive pour déclarer la légalisation du cannabis comme étant une urgence.
Chez dautres travailleurs sociaux, cest surtout l"exclusion" induite qui prévaut : une condamnation au motif de drogue, ce nest pas ce que lon fait de mieux pour aider des gens en difficulté à sinsérer. Mettre tout le temps, sous ce prétexte, une pression policière sur les jeunes, surtout dans certains quartiers, revient à jeter de lhuile sur le feu. Cest un peu le discours tenu par Banlieuescopies ou par le fameux curé des Minguettes.
Les "intervenants" remarquent aussi lextrême rareté - pour ne pas dire labsence - des demandes volontaires de soins pour cannabisme. Ils ont dautres chats à fouetter, de "vrais" toxicomanes à soigner, et en ont marre bien souvent des injonctions thérapeutiques pour cannabis, qui leur font perdre leur temps alors quils manquent de moyens. Ils commencent à défendre le modèle néerlandais, avec la séparation des milieux entre drogues douces et drogues dures. Dans lensemble une réussite, statistiques à lappui qui montrent que la progression des usagers de drogues dures sest considérablement ralentie depuis le libre accès au cannabis, et même que cette population a diminué.
Une autre tendance pragmatique considère que, à défaut de pouvoir empêcher la consommation (échec de la prohibition), il faut plutôt la réglementer, lencadrer, trouver un chemin entre linterdit actuel et la liberté que représenterait une légalisation proprement dite. Cest un peu la démarche de la "courte majorité" de la commission Henrion, ou celle du Comité déthique. Mais ce dernier avance davantage des notions philosophiques de libertés individuelles - notion étrangement absente la plupart du temps chez les politiques et les soignants - et concerne lensemble des drogues, légales ou illégales.
Cette autre voie se limiterait à une simple dépénalisation de lusage, à titre expérimental. Le groupe de travail chargé de remettre des propositions à la suite du "questionnaire des jeunes" imaginé par Balladur avait avancé cette même proposition, confronté quil était à la récurrence de cette réponse à une question qui nétait pas posée. Ses membres ont donc proposé la dépénalisation.
Chez les usagers, et principalement au CIRC, cette liberté individuelle est le moteur de la contestation. La revendication porte simplement sur le droit de fumer des joints librement entre amis, et si possible "du bon et du pas cher". Au même titre que dautres ont le droit de déguster des alcools (jusquau droit den mourir...). Et bien sûr, le droit déchapper au marché noir par lautoproduction.
Ils réclament aussi une information honnête et complète, en laquelle ils puissent avoir confiance, pour mieux gérer leur consommation et réduire les inévitables risques liés à lusage de produits psychoactifs. A défaut de lexistence en France dun organisme indépendant et incontestable qui aurait linformation sur les drogues comme mission, le CIRC tente de répondre tant bien que mal aux questions que se posent les usagers et leurs proches. Mais depuis la censure du Minitel 3615 CIRC et les condamnations de Jean-Pierre Galland, cette "mission" est rendue plus difficile.
Ces discours hétéroclites se basent essentiellement sur les effets pervers de linterdit - avec autant de discours quil y a deffets pervers et autant de bonnes raisons den finir. Ils trouvent néanmoins leur harmonie dans leur conclusion : il faut légaliser le cannabis !