Drogue: vive la culture de la tolérance !

Par Bertrand Lebeau (l'auteur est médecin (Médecins du monde)).

Libération du 12/03/98

 

 

Dans son dernier rapport annuel, l'OICS dénonce le développement d'une «culture de la tolérance» en matière de drogues. L'OICS (Organe international de contrôle des stupéfiants) est, avec le Pnucid (Programme des Nations unies pour le contrôle international des drogues), l'un des principaux bras armés de la «guerre de la drogue» que mène l'ONU. La doctrine de l'ONU repose sur deux piliers: la réduction de l'offre et la réduction de la demande.

La réduction de l'offre, c'est la lutte contre la production et le trafic de drogues illicites, le blanchiment d'argent et l'accès aux précurseurs chimiques. La réduction de la demande, c'est, trop souvent, la criminalisation des usagers.

Du 8 au 10 juin prochain se tiendra à New York une assemblée générale extraordinaire de l'ONU pour tirer le bilan de la convention sur les stupéfiants de 1988 et dresser des perspectives pour la décennie 1998-2008. Tandis que l'OICS publie un rapport très médiatisé, l'actuel directeur du Pnucid, Pino Arlacchi, se donne comme objectif l'éradication de toutes les plantes à drogue à l'horizon 2008. Comme première contribution à cette éradication, il vient de signer avec les taliban afghans, parangons de démocratie, un accord que beaucoup jugent honteux.

D'autres agences des Nations unies, à commencer par Onusida et l'OMS, sont confrontées à la pandémie de sida et accordent une importance croissante aux moyens de limiter la dissémination du virus. Une seule politique sanitaire a démontré son efficacité: la réduction des risques. Mais les Etats-Unis s'opposent farouchement à toute référence à ce concept maudit car ils considèrent que ce n'est qu'une légalisation masquée. Bref, ils s'opposent à ce que la politique des Nations unies repose sur un troisième pilier de santé publique. Pour autant qu'on le sache, l'Elysée et Matignon sont sur la même longueur d'onde.

C'est bien pourtant d'une culture de la tolérance que nous avons besoin. C'est elle qui nous permettra de construire des politiques plus intelligentes, plus soucieuses de la santé publique et des droits de l'homme. Il ne s'agit pas de «lutter contre la drogue» mais d'apprendre à vivre avec les drogues. Il ne s'agit pas de domestiquer les toxicomanes mais de domestiquer les dragons de la drogue. Cela ne se fera pas sans les usagers eux-mêmes.

Quelques pays européens, à commencer par les Pays-Bas et la Suisse, indiquent un chemin. Ils sont d'ailleurs régulièrement montrés du doigt par les drug warriors de l'ONU. Le combat sera long. La question des drogues est saturée de peurs, de préjugés. A quoi viennent s'ajouter le sida, l'exclusion, souvent la violence. Tout comme l'écologie ou la démographie, la question des rapports que l'humanité sera capable de redéfinir avec les substances psychoactives, légales ou illégales, fera partie des grands enjeux du XXIe siècle. Les drogues aussi se sont mondialisées. Et, que l'on sache, les drogues de synthèse type ecstasy ne sont pas issues des «plantes à drogue».

 

 

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