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Émission du 14 octobre 2001
Les idées sur les drogues ont nettement évolué au cours des trente dernières années. D'un appui massif de la population pour la prohibition, nous sommes passés à une remise en question de la prohibition des drogues illicites ainsi qu'à la remise en question de la "promotion" des drogues légales.
La notion même de drogue a changé. Aujourd'hui, les experts ne calculent plus les risques associés à une drogue en fonction de la substance mais en fonction du contexte d'utilisation, des caractéristiques de la personne et de son environnement social. Contrairement à une croyance populaire, ce ne sont pas les drogues illégales qui entraînent le plus de problèmes de santé publique mais les drogues légales.
Mais curieusement, les gouvernements de la majorité des pays occidentaux ne semblent pas vouloir accorder les lois plus permissives aux voix de plus en plus nombreuses qui réclament la légalisation des drogues. Le Comité sénatorial sur les drogues présidé par Pierre-Claude Nolin produira un rapport sur le cannabis en 2002 et un autre sur l'ensemble de la problématique des drogues en 2003.
Le sénateur Nolin a déjà déclaré que les autorités manquaient de courage en refusant d'admettre que la prohibition est un échec patent et coûteux : "Si la prohibition est un échec et que les dommages qu'elle cause sont plus importants que ses avantages, le sénateur Nolin reconnaît que nous n'avons pas encore de réponse à de nombreuses questions : Quelles sont les alternatives à la répression ? Est-il légitime de craindre que la consommation augmenterait de façon significative si on rendait certains produit disponibles à une majorité ? L'expérience néerlandaise avec le cannabis peut-elle suffire à nous convaincre qu'il n'y aurait pas de conséquences sociales graves, pour les jeunes notamment ?" (La Presse, 17 août 2001)
Lexique
(Définitions tirées de Prévenir les abus de drogues, Line Beauchesne)
La drogue est une substance d'origine végétale ou de synthèse qui est susceptible de modifier l'état de conscience d'un individu (ses perceptions, son humeur, son comportement). Cette substance est capable d'engendrer, chez certains individus et dans certains contextes, une consommation abusive, de la tolérance et de la dépendance. Cette substance peut également procurer du plaisir, contribuer à la découverte de réalités, de sensations nouvelles. Enfin, elle peut servir de mécanisme d'adaptation à des situations. (Définition de l'OMS).
Comme nous savons que les drogues sont des substances qui influent sur la façon dont fonctionne l'organisme et que les drogues psychotropes sont des substances qui influent précisément sur les sens et l'état d'esprit, nous pouvons commencer à discerner que les substances que l'on consomme couramment sont en réalité des drogues psychotropes, notamment l'alcool (sédatif), le café (qui renferme de la caféine, un stimulant) et le tabac (qui contient de la nicotine, un autre stimulant). Ces substances sont si courantes et admises partout dans notre société que, bien souvent, nous oublions complètement qu'il s'agit de drogues. Pourtant, elles en sont. En fait, ces drogues psychotropes "invisibles" font partie des drogues dont l'abus est le plus répandu.
Dépendance
État d'adaptation à une substance provoquant des signes ou des symptômes dans les heures et les jours qui suivent l'arrêt de la consommation (sevrage). On a coutume de distinguer la dépendance physique et la dépendance psychique. Les symptômes de sevrage sont extrêmement nombreux et varient selon la substance absorbée. Par exemple : larmoiements, douleurs, dilatation pupillaire, transpiration, diarrhée, insomnie, hypertension (pour les opiacés); agitation, tachycardie, tremblements, hallucinations, crises d'épilepsie (pour l'alcool); somnolence (pour les amphétamines); maux de tête (pour le café); etc. La dépendance psychique est caractérisée par une pulsion psychologique fort puissante à absorber continuellement le produit et/ou une présence d'angoisse à s'en trouver privé. Les deux aspects de la dépendance sont cependant plus intriqués que cette distinction ne le laisse supposer.
Tolérance
Phénomène d'adaptation de l'organisme à la consommation d'une substance. Elle implique que des quantités sensiblement croissantes de un ou plusieurs produit(s) sont nécessaires à l'obtention de l'effet désiré ou que l'effet est sensiblement moins marqué avec la même quantité consommée régulièrement.
Accoutumance
Terme littéraire qui n'a pas de définition scientifique unanimement acceptée. Synonyme d'habitude.
Psychotrope
Se dit d'une substance agissant sur le psychisme.
Sevrage
Processus au cours duquel quelqu'un essaie volontairement ou non de se libérer d'une drogue dont il est dépendant.
Overdose
Intoxication aiguë par surdosage. Elle engendre un état comateux, un rythme respiratoire de plus en plus irrégulier et peut entraîner la mort par asphyxie.
L'idée de drogue: Un don des dieux
Les vertus du pavot sont décrites sur des tablettes sumériennes qui datent de 3000 ans avant notre ère et les premiers témoignages sur la feuille de coca remontent à la même époque. Le cannabis a été répertorié comme sédatif en 2700 avant Jésus-Christ.
Pendant des siècles, ces trois plantes ont été utilisées comme remèdes contre la souffrance, pour des rituels servant à entrer en contact avec les Dieux, à protéger les hommes des catastrophes ou à franchir des étapes de la vie. Encore aujourd'hui, prendre sa première bière ou fumer son premier joint symbolise l'entrée dans la vie adulte.
Mais c'est surtout à l'époque coloniale que les Occidentaux, qui consomment surtout l'alcool, découvrent des consommations très locales et ritualisées de drogues dans leurs colonies. André Therrien raconte par exemple que pour certaines tribus d'Amérique du Sud et d'Amérique du Nord, certaines drogues étaient utilisées pour aider les jeunes à se représenter un animal qui devenait leur totem et leur protecteur pour le reste de leur vie.
Les Occidentaux entreprennent d'élargir ces marchés pour financer leurs colonies et financer les guerres. Les Britanniques commencent avec l'opium en Inde et en Chine, la France suit en Indochine et l'Espagne étend l'exploitation de la coca en Amérique du Sud. C'est le début des guerres de l'opium pendant lesquelles les Britanniques briseront la résistance de la Chine qui veut s'opposer au commerce de l'opium sur son territoire.
À cette époque, l'opium et ses succédanés sont aussi vendus comme médicaments et on en retrouve dans le sirop pour la toux, des élixirs et autres potions destinées à soulager les souffrances mentales et physiques. Les classes pauvres commencent aussi à l'utiliser pour diminuer leur appétit ou pour fuir la misère.
Avec la médecine qui se développe rapidement, on cherche de nouveaux médicaments. On transforme l'opium en morphine, principalement pour la médecine de guerre au milieu du 19e siècle, tandis que la coca est transformée en cocaïne utilisée comme premier anesthésique local. L'alcool et l'opium sont également utilisés par les écrivains, les artistes ou les scientifiques, pour qui elles représentent la possibilité d'explorer de nouveaux univers mentaux et de nouvelles sensations.
Un poison
Plusieurs deviendront dépendants et seront considérés comme les victimes de la médecine moderne. "Mais les perceptions vont changer lorsque la consommation de ces drogues s'étendra aux couches populaires. Les toxicomanes ne seront plus des malades-victimes mais des gens sans volonté, des délinquants qui ne peuvent affronter les exigences d'une vie de bon citoyen et de travailleurs". (La légalisation des drogues, p. 98)
C'est ainsi que les plantes qu'on s'était représentées pendant des millénaires comme des "dons des dieux", des ''guides pour le paradis" ou des "plantes de la joie" deviennent peu à peu des plantes de l'enfer, sorte de "talisman du diable". Il en va de même pour l'alcool, qui encore au 18e siècle était perçue comme "la bonne créature de Dieu". Hommes, femmes et enfants consommaient de l'alcool sans discrimination et l'ébriété était perçue comme un état fréquent et normal. C'est la révolution industrielle qui a modifié la conception. Les mouvements de tempérance qui ont pris naissance En Europe et aux États-Unis au début du 19e siècle nous donneront une nouvelle représentation de l'alcool :
- L'alcool affaiblit ou élimine le contrôle de l'usager sur son comportement; cette substance libère ou augmente les appétits, les passions et les désirs, tout en réduisant la sensibilité morale. L'alcool entraîne la dépendance physique et psychologique. L'usager est victime de l'action de l'alcool, qui a transformé ses besoins physiques de manières telle que son désir pour le produit est incontrôlable. De plus, l'usager risque de contracter plusieurs maladies. L'alcool est la cause d'un grand pourcentage des problèmes sociaux, particulièrement le crime, la pauvreté, les foyers brisés. L'alcool enlève à l'usager sa discipline personnelle et la raison qui lui sont nécessaires pour prospérer économiquement. (L'Amérique en guerre de dépendances, Louise Nadeau, éd. Autrement, p. 123)
En réalité, on n'aurait qu'à remplacer le mot alcool par le mot drogue pour y voir la représentation contemporaine de la drogue pendant la majeure partie du 20ième siècle.
Une substance interdite
Les premières stratégies répressives deviennent le thème central des sociétés de tempérance à partir de la deuxième moitié du 19e siècle. Les premières lois répressives (Le Canada en réalité passe les premières lois répressive en 1908 mais elles sont inspirées des mouvements des sociétés de tempérance américaines) seront adoptées pour interdire les usages non-médicaux de l'opium et de ses dérivés - adoption du Harrison act en 1914. C'est dans ce contexte que sera voté, en 1919, le Volstead Act, l'amendement de la constitution américaine par lequel il est interdit de fabriquer et de vendre de l'alcool.
Mais ces interdits répondent surtout à une croisade morale raciste contre les Chinois, ainsi qu'à divers intérêts commerciaux internationaux. Le lobby des médecins et des compagnies pharmaceutiques devient de plus en plus important et on interdit surtout les substances qui viennent de l'étranger. Suivra l'interdit de la cocaïne, exploitant le racisme à l'égard des Noirs - qui justifiera l'envoi de la police dans les ghettos - et de la marijuana (Marijuana Tax Act, 1937), exploitant le racisme contre les Mexicains pour mettre un frein aux tentatives de syndicalisation de cette main-d'oeuvre dans le sud des États-Unis.
Les premières conventions internationales sont adoptées sous l'égide des Américains au début du siècle. Ces conventions ne pénalisent pas le commerce des pays occidentaux qui continuent de promouvoir des usages non-thérapeutiques de ces drogues dans divers pays : "Par ces conventions, les pays signataires s'engagent à interdire l'usage non-thérapeutique de ces drogues sur leur territoire, mais, ce qu'on sait très peu, on n'interdit pas d'en faire le commerce ailleurs". Les pays occidentaux continuent donc leur "commerce" dans les pays du tiers monde tandis que, sur leur territoire, l'interdiction devient "un outil de gestion des quartiers pauvres et des ghettos d'immigrants."(La légalisation des drogues)
Influencés par les campagnes qui présentent les drogues comme des produits diaboliques, on en vient à se représenter les drogués comme des marginaux ou des criminels. On exploite à fond les témoignages de drogués qui ont atteint le fond du baril et qui s'adonnent à des activités criminelles pour financer leur vice. L'image de l'héroïnomane irrécupérable et dépendant à vie devient symbolique d'une nouvelle représentation du monde des drogues. "L'appui de la population à la guerre des drogues est parfaitement compréhensible lorsqu'on fait l'examen de l'information qui lui est donnée" dit Line Beauchesne. On a développé des préjugés négatifs à l'égard des drogues et légitimé la guerre à la drogue.
Dans son livre, Mme Beauchesne donne en exemple le cas de l'héroïne. Des études menées avec les combattants du Vietnam par exemple n'ont eu que peu d'écho dans les médias. Un suivi qui a été fait avec des soldats qui avaient consommé de l'héroïne pendant leur séjour au Vietnam ont montré qu'un très faible pourcentage avait développé une dépendance chronique. On avait alors mis en lumière que ces soldats avaient consommé un produit de meilleure qualité parce qu'ils étaient plus près des sources de production et que ceux qui avaient développé une dépendance avaient eu dans le passé des problèmes d'intégration sociale.
C'est un peu comme si on prenait l'ensemble des clochards alcooliques pour démontrer qu'il faut interdire l'alcool. Comme dans le cas de l'héroïne certains vont développer une dépendance grave. Dans le cas de l'héroïne les risques seraient surtout plus élevés en raison de la mauvaise qualité du produit vendu sur les rues et des modes de consommation qui se sont développés en raison des interdits légaux. Si on s'injectait de la caféine dans les veines, on se retrouvait devant une drogue également très dangereuse.
Avec la création de l'ONU et les mouvements de décolonisation, les drogues (opium, coca, cannabis) sont universellement interdites en 1961 par la Convention unique des Nations Unies.
Tranquillement toutefois, les gens commencent à poser des questions. Ils ont l'impression que les études ne disent pas tout et que certaines substances interdites ne sont pas plus dangereuses que certaines substances légales.
Remise en question des interdits
Un premier constat de l'échec de la répression est fait au Canada avec le rapport Le Dain en 1973 (Commission canadienne d'enquête sur l'usage des drogues à des fins non médicales). Cette commission ouvre la voie à la décriminalisation du cannabis. "Ce n'est pas en maintenant les sources d'approvisionnement illégales et de mauvaise qualité et en obligeant l'usager à se marginaliser que l'ont peut prévenir les toxicomanies et éduquer la population", concluaient le membres de la Commission.
La guerre à la drogue n'a pas permis d'empêcher les abus et de prévenir la toxicomanie. Au contraire, elle a engendré des modes de consommation plus durs. Ainsi, en raison du prix élevés de certaines drogues, on a recours à l'injection pour obtenir des effets plus puissants.
On sait aujourd'hui que de nombreux produits vendus sur le marché noir doivent leur existence à la répression. Certains disparaîtraient si les drogues étaient légalisées et que leurs qualités et leur concentration étaient réglementées. La fin de la prohibition de l'alcool avait d'ailleurs produit le même effet avec la disparition de l'alcool frelaté. On n'avait pas légalisé l'alcool frelaté mais valorisé les produits à basse concentration et réglementé la qualité des produits. L'autre leçon que nous avons tiré de la prohibition, c'est que nous avons remplacé les interdictions par des campagnes d'information et de prévention. Ainsi, il serait sans doute possible de voir disparaître ou de contrôler sévèrement des produits comme le crack ou l'ecstasy qui présentent de graves dangers.
Le contexte clandestin de consommation qui découle de la criminalisation de la simple possession entraîne d'autres problèmes de santé publique, notamment à cause de l'usage de seringues contaminées, et de sécurité publique à cause de la violence des milieux criminels. "Il faut plutôt prendre soin des toxicomanes, leur fournir des traitements et des seringues propres, prévoir des lieux de consommation sécuritaires comme aux Pays-Bas et à Zurich." (Rapport le Dain, 1973)
Mais le véritable changement de mentalité tant chez les experts que dans la population sera provoqué par le phénomène du sida. Le sida, explique Beauchesne, a obligé tous les experts de différents horizons à sortir sur le terrain, à faire part de leur résultats et à unifier leurs voix pour un constat d'échec de la répression. On a constaté entre autres que ceux qui s'injectaient des drogues n'étaient pas criminels mais des victimes du système de répression et des politiques qui contribuent à augmenter les abus de drogues plutôt que de les prévenir.
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Émission du 14 octobre 2001
Drogue:
Fléau réel ou imaginaire ?
De l'usage des drogues dans les sociétés
Selon André Therrien, plus de 80 % de la population consomme des drogues, qu'elles soient légales ou illégales. Et de façon générale, il y a 10% de gens qui ont des problèmes causés par la consommation de psychotropes. ( ) Il y a moins de 10% d'abstinents au total (des gens qui ne consomment aucun psychotrope) on peut en déduire que c'est plus de 80% de la population qui retire des bénéfices de la consommation de psychotropes.
La prévention des abus serait plus facile, si on commençait par prendre conscience que tout le monde prend des drogues. Toutes les sociétés en utilisent ou en ont utilisées. La préférence qu'on donne à certaines drogues est liée à la valeur qu'on lui donne, à la fonction qu'elle remplit et aux effets qu'elle donne. Dans une même société des groupes peuvent opter chacun pour une drogue différente. Pour certains groupes de jeunes par exemple, le joint est la drogue par excellence alors que d'autres préfèrent la bière. Autour de chaque drogue se sont établies des code, des rituels et des significations.
Les personnes qui consomment de la drogue viennent de toutes les parties du pays et de toutes les couches de la société. Elles peuvent être riches ou pauvres, jeunes ou âgées, de sexe masculin ou féminin, intelligentes ou non, instruites ou non. Il n'existe pas de consommateur type mais bien des situations types de consommation. Le préjugé que nous avons développé à l'égard des drogues, c'est que certaines présentent plus de risques d'abus que d'autres.
Évidemment, il existe des différences "pharmacologiques" qui font que certains produits sont plus nocifs que d'autres selon différents critères. Ainsi en ce qui concerne les séquelles physiques permanentes, le tabac et l'alcool sont des deux produits les plus dangereux. De fait, un héroïnomane qui parvient à se débarrasser de son habitude se retrouve avec très peu de séquelles physiques. Si nous prenons la drogue en tant qu'instrument de suicide, les barbituriques sont les plus dangereux.
"( ) La classification des drogues dans les lois est pleine de contradictions, d'illogismes, ce qui affaiblit l'autorité morale. (...) Les principes implicites dans la loi ont si souvent été démentis par les données pharmacologiques ou les effets que l'on éprouve soi-même, à l'usage de certaines substance qu'on a cessé il y a longtemps qu'il y avait une relation entre la nocivité d'une substance et sa classification en droit pénal. Il faut dire qu'en ce domaine, celui-ci est totalement désuet." (Rapport Le Dain, 1973).
Ainsi, la distinction entre drogues douces et drogues dures n'est plus utilisée depuis longtemps dans les milieux scientifiques qui la jugent arbitraire. De plus en plus, les experts ne classifient plus les drogues selon le produit mais parlent plutôt d'utilisateurs abuseurs et d'usagers. "Les recherches indiquent qu'un certain nombre de facteur permettant de repérer rapidement ces personnes à risque et d'intervenir. La liste peut se lire ainsi : un ensemble de traits de personnalité que l'on pourrait qualifier d'anti-sociaux; une distanciation face aux institutions de socialisation (famille, école), un environnement inadéquatement structurant, des conditions de vie difficiles ( )" (Drogue et criminalité, Serge Brochu)
Le risque est lié à la fréquence d'utilisation, les caractéristiques de l'utilisateur, les circonstances dans lesquelles le médicament est utilisé. Tout cela contribue à déterminer le degré de risque. Le préjudice total pour une société varie selon l'utilisation totale du médicament dans la population et les conditions de vie de cette société.
"Historiquement par exemple, il a longtemps été soutenu que les ouvriers étaient incapables de gérer l'alcool, contrairement à la classe aisée. Aujourd'hui, ce sont les Autochtones qui seraient déficitaires en cette matière, en comparaison des Blancs, un peu de la même manière qu'aux Etats-Unis, les Noirs sont moins autonomes que les Blancs pour gérer les drogues illicites. Cette discrimination ne se retrouve-t-elle pas également en regard des homosexuels, moins aptes que les hétérosexuels à gérer leur sexualité ou à l'endroit des femmes, moins capables que les hommes de gérer leurs émotions? Ces idées reçues permettent d'éluder toute la question des conditions de vie de certaines populations en comparaison d'autres groupes, dominants, et des valeurs privilégiées par ces groupes pour maintenir leur dominance. Bien entendu, il y a des populations plus fragiles dans une société dont l'État a le devoir de s'occuper. Cela doit-il pour autant s'exprimer par des interdits et des punitions pour assurer leur bien-être? Ce qui mène à la question de la "protection"." (Mémoire au Comité sénatorial sur les drogues illicites, Line Beauchesne, sept. 2000)
Les études ont montré que ce n'est pas la répression mais un plus grand souci des gens pour leur santé qui permettrait de réduire les abus de drogue. Parmi les solutions proposées par les antiprohibitionnistes, on demande un nouveau marché des drogues réglementés avec des critères pour la qualité des produits et des concentrations plus basses et ce, autant pour les drogues illicites que licites. Beauchesne donne en exemple la culture et la production de tabac qui devraient être soumises à des critères beaucoup plus sévères en ce qui concerne les taux de nicotine et de nombreux autres produits chimiques qui entrent dans leur fabrication. Contrairement à la cigarette, l'alcool est mieux réglementée et on privilégie depuis longtemps des produits à faible concentration.
Les abus de drogues légales
Une grande partie des drogues prescrites chaque année au Canada sont des psychotropes. Certaines d'entre elles peuvent servir à soulager la douleur, à calmer la nervosité ou à favoriser le sommeil. Les psychotropes ne sont pas nécessairement des drogues prescrites. Certains, comme la nicotine et l'alcool, peuvent être achetés et consommés par presque n'importe qui. Ces drogues psychotropes sont celles dont l'abus est le plus répandu.
De plus en plus d'experts croient que la prescription de médicaments fait l'objet d'une surprescription et que les contrôles de qualité et de sécurité laissent à désirer. On en donne pour preuve qu'à plusieurs reprises dans l'histoire, on a mis en marché des produits dont on connaissait mal les effets et que les médecins étaient mal informés des contre-indication et de la nécessité de réserver les médicaments à certaines personnes.
Les compagnies pharmaceutiques sont en effet devenues des multinationales très concentrées dans les pays occidentaux et exerce un contrôle sur les marchés, les études et les prix. Le Tiers monde sert souvent de terrain d'expérimentation et certains médicaments sont vendus sur les rues comme des drogues. Aussi, dans une optique de légalisation des drogues, les experts sont de plus en plus nombreux à demander une remise en question de toutes les drogues qu'elles soient légales ou non.
Au Canada, a révélé une étude du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, quatre pour cent des plus de 15 ans ont déclaré faire usage de somnifères et de tranquillisants. Il s'agit là du même pourcentage de personnes qui ont déclaré consommer de la marijuana !
Les coûts de la répression
En dépit d'un certain consensus chez les experts que la prohibition est plus néfaste que positive, les lois américaines au lieu de s'adoucir sont renforcées. Aux États-Unis et au Canada le nombre d'accusations en vertu des lois sur les drogues n'a cessé d'augmenter.
Tant au Canada, en Australie, que dans plusieurs pays d'Europe, on poursuit l'approche répressive traditionnelle, répondant ainsi à la pression américaine à travers les Conventions internationales, de même qu'à celle de certaines industries et bureaucraties qui bénéficient de la prohibition actuelle de certaines drogues. Au Canada, par exemple, cela a résulté récemment dans l'adoption d'une nouvelle Loi réglementant certaines drogues et autres substances entrée en vigueur en mai 1997, loi qui augmente les pouvoirs de répression en ce secteur.
Selon le mémoire de Line Beauchesne, cette expansion des contrôles fut justifiée chez les défenseurs de cette loi par la nécessité de lutter plus efficacement contre les laboratoires clandestins de drogues synthétiques. Mais, comme l'ont souligné le Barreau Canadien et l'Association des criminalistes de l'Ontario lors des audiences précédant son adoption, et comme l'indiquent les statistiques judiciaires en matière de drogues, les clientèles visées par les lois sur les drogues ont davantage en commun d'être des usagers ou des petits trafiquants de milieux défavorisés plutôt que de grands trafiquants :
"Le Canada demeure le deuxième pays au monde en ce qui concerne le nombre de personnes incarcérées pour les drogues, principalement pour possession ou trafic de cannabis. Il y a toujours 65 000 accusations au criminel par année au Canada en matière de drogues.
De plus, on a beau dire que de plus en plus le cannabis est considéré comme une drogue peu nocive et n'entraînant pas de dépendance, n'étant plus une priorité de la répression, les statistiques en ce secteur disent autre chose, au Canada comme en d'autres pays. Au Canada, le cannabis est toujours l'objet de 45 000 de ces accusations au criminel, dont 30 000 sont des cas de simple possession.
S'il est vrai que les priorités de la police ont changé, délaissant la consommation privée au niveau des enquêtes, et que le système judiciaire donne peu de sanctions de prison pour simple possession, depuis 1990, les accusations en matière de cannabis ont augmenté en regard des accusations pour la cocaïne et l'héroïne, qui ont décliné. De plus, les casiers judiciaires demeurent pour ces milliers de personnes. À ce jour, il y a plus de 600 000 Canadiens qui ont eu un casier judiciaire à cause du cannabis(Boyd, 1998).
Les groupes de pression en faveur de cette nouvelle loi ont également justifié l'augmentation de sa capacité répressive par le fait qu'il fallait se conformer aux Conventions Internationales et que cela ne laissait pas beaucoup de jeu sur ce que l'on pouvait faire. C'est faux. Les Conventions nous obligent à certains interdits, mais laissent un jeu important sur la manière de les appliquer." (Mémoire au Comité sénatorial sur les drogues illicites, Line Beauchesne, sept. 2000)
La répression coûte extrêmement cher, tant par ses pratiques que par ses résultats. Selon le Conseil canadien de la lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, le Canada doit débourser près de 2 milliards de dollars par année pour l'application des lois par les policiers, les tribunaux, les services correctionnels incluant la probation et les douanes.
Il faut ajouter également à ces coûts directs de la répression, les coûts indirects qui sont supportés par le système de santé et les organismes sociaux en général. Il y a, par exemple, les usagers de drogues par injection qui, craignant cette répression, tardent à recevoir l'aide nécessaire, augmentant tragiquement la lourdeur des interventions; il y a aussi l'augmentation des cas de HIV, d'hépatite, ou encore la détérioration beaucoup plus sérieuse des conditions de vie, occasionnée par les modes de consommation du marché noir.
Enfin, l'augmentation des méfaits de la répression chez les toxicomanes ne se limite pas à leur personne, mais s'étend à leur famille (surtout les enfants) et à la société en général (criminalité, détérioration du milieu, multiplication des vendeurs de rue pour payer les produits de dépendance, etc.). De plus, les toxicomanes séropositifs ou encore atteints de l'hépatite A et B ont des contacts sexuels avec des personnes non-toxicomanes, augmentant ainsi le cas de ces maladies dans le reste de la population.
C'est en regard de l'ensemble de ces coûts que le rapport Cain de Colombie-Britannique en est arrivé à remettre ouvertement en question non seulement l'approche répressive en matière de drogues, mais également les lois qui en sont la source. À cet égard, Cain est un des seuls rapports publics au Canada a avoir ouvertement affirmé que la légalisation des drogues était essentielle à une véritable politique publique de réduction des méfaits. Car même s'il y a reconnaissance de plus en plus ouverte dans certains documents publics que la répression, soit l'application de la loi, est la principale source de méfaits pour l'usager de drogues, on reconnaît moins facilement que la prohibition, soit l'interdit lui-même, est la principale source du marché noir et de la répression.
En Angleterre, en Australie, aux États-Unis, au Canada - où l'on se souvient du rapport Le Dain -, des commissions d'enquête ont toutes proposé d'aller dans ce sens. "Aucun de ces pays de common law n'a modifié ses lois", a observé Line Beauchesne. "Le refus de l'État de donner suite aux avis de ses propres experts a sapé la confiance du public dans les institutions législatives et judiciaires et a délégitimé les lois sur les drogues. Lorsqu'une loi est incapable d'atteindre 95% des contrevenants, c'est que la population ne s'en soucie pas. Une loi prohibitionniste est inapplicable tant que la demande demeure forte et qu'il n'y a pas de plaignants." (Mémoire au Comité sénatorial sur les drogues illicites, Line Beauchesne, sept. 2000)
Les obstacles à la légalisation
Les données sur les drogues ont beaucoup évolué au cours des trente dernières années. On a analysé comment les drogues agissaient sur le cerveau, on a comparé les effets sur la santé public des pays qui avaient adopté des politiques plus libérales et celle des pays répressif, etc. Soit dit en passant, on consomme moins de cannabis dans les pays où son usage est permis que dans les pays où il ne l'est pas.
Dans plusieurs pays d'Europe, les Pays-Bas, le Portugal et l'Italie, on a dépénalisé la consommation de la marijuana et on y songe très sérieusement en France. En Suisse, les gens ont refusé par référendum de dépénaliser la marijuana et le haschisch comme leur proposait le gouvernement.
Au Canada et au États-Unis, dit Line Beauchesne dans son mémoire remis au Comité sénatorial, les interdits en matière de drogues sont ici affaire de morale bien avant d'être une question de santé publique: Ce moralisme juridique est ce qui domine les discours actuels soutenant le maintien de la prohibition en matière de drogues. Il a des racines profondes dans l'histoire de la culture protestante telle qu'elle s'est développée en Amérique du Nord et, à ce titre, il n'est pas étonnant que les États-Unis soient à l'origine de la guerre à la drogue et les principaux porte-parole du discours qui la maintient.
Mais il s'agit là, non pas de la morale populaire, mais de la morale de certains groupes qui ont intérêt à poursuivre la guerre aux drogues illicites.
Les États-Unis sont devenus les principaux acteurs de la guerre à la drogue, autant pour des raisons géopolitiques que pour continuer de gérer les problèmes sociaux. Surtout les États-Unis, mais aussi la France et l'Angleterre, ont utilisé l'arme de la propagande contre les drogues à des fins politiques pour financer des groupes en faveur de leurs intérêts avec l'argent des drogues. Selon Mme Beauchesne, les États-Unis ont financé une partie de la guerre du Vietnam avec l'argent des drogues. Mais aujourd'hui, croit-elle, la situation s'avère extrêmement dangereuse, parce que les grands marchés des drogues sont de plus en plus aux mains de forces relativement autonomes.
La solution viendrait de l'Europe qui amorce un discours extrêmement fort pour modifier les conventions internationales sur les drogues. L'enjeu actuel est d'unifier l'Europe sur cet enjeu pour former le seul contre-poids suffisamment fort pour contrecarrer la force américaine et ses intérêts dans la guerre à la drogue.
Statistiques sur la consommation de drogues
Selon des estimations de l'ONU, environ 180 millions de personnes dans le monde (soit 4,2 % des plus de 15 ans) consommaient des drogues à la fin des années 90, notamment du cannabis (144 millions), des stimulants de type amphétamine (29 millions), de la cocaïne (14 millions) et des opiacés (13,5 millions, dont 9 millions d'héroïnomanes).
L'usage de drogues revêt désormais un caractère mondial. On ne peut plus faire la distinction entre pays consommateurs et pays producteurs. Plus de 130 pays et territoires, appartenant tant au monde développé qu'au monde en développement, signalent à présent à l'OCDPC l'existence de problèmes liés à l'abus de drogues, mais le total est probablement plus élevé.
C'est la consommation de stimulants de type amphétamine qui a le plus augmenté à l'échelle mondiale dans les années 90. La progression a été particulièrement prononcée jusqu'en 1996/97. Les années suivantes, un certain nombre de pays ont signalé un tassement des niveaux de consommation, tant en Europe (amphétamine, ecstasy) qu'en Amérique du Nord (méthamphétamine). Cependant, l'abus de stimulants de ce type a continué de s'étendre en Asie du Sud-Est (méthamphétamine).
Après une rémission de plus de dix ans, des données troublantes indiquent une reprise de la consommation des drogues illicites. La proportion des Canadiens ayant déclaré, dans le cadre d'une enquête, avoir consommé du cannabis l'année précédente est passée de 4,2 % en 1993 à 7,4 % en 1994. Cette hausse est particulièrement marquée chez les adolescents et les jeunes adultes.
L'usage de la cocaïne est passé de 0,3 % en 1993 à 0,7 % en 1994, et la proportion des répondants ayant déclaré avoir consommé du LSD, de l'héroïne ou du speed l'année précédente est pour sa part passée de 0,3 % en 1993 à 1,1 % en 1994. La Fondation de la recherche sur la toxicomanie (ARF) de l'Ontario a aussi constaté des taux nettement plus élevés du tabagisme et de la consommation d'alcool chez les jeunes des 7e, 9e, 11e, et 13e années, dans cette province, entre 1993 et 1995. (Quand le plaisir fait souffrir, André Therrien)
Liens
Organe International de Contrôle des Stupéfiants
http://www.incb.org/
Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies
http://www.emcdda.org/
Des stratégies qui ont fait leurs preuves
(La lutte contre les stupéfiants aux États-Unis, dossier du gouvernement)
http://usinfo.state.gov/journals/itgic/0799/ijgf/ijgf0799.htm
Organisation Mondiale de la Santé
http://www.who.int/
Bloc Pot
http://www.blocpot.qc.ca/
Le Centre international de criminologie comparée (CICC) http://www.cicc.umontreal.ca/
Association des intervenants en toxicomanie du Québec inc.
http://www.aitq.com/