Le diagnostic personnel et social

Par Anne Coppel acoppel@club-internet.fr

L'objectif du diagnostic personnel et social est double :

- il vise tout d'abord à identifier les besoins prioritaires du patient en termes de logement/hébergement, de protection de la santé, de nutrition, de ressources.

- il vise à identifier les ressources actuelles et potentielles du patient, ressources affectives, sociales ou professionnelles qui peuvent servir de support à la stabilisation et au changement.

Dans les toutes premières consultations, on recueillera les informations qui constituent le cadre de vie du patient mais on ne cherchera à appréhender ni l'ensemble du système relationnel ni le positionnement social de l'usager. Le moment de la demande de soin n'est pas le meilleur moment pour poser ce diagnostic à de multiples égards : l'usager entre en traitement au moment rien ne va plus, il se sent isolé, exclu ou coupable. Le diagnostic de la situation personnelle et sociale doit être mené dans un climat de confiance et de sérénité qui permette d'identifier non seulement les difficultés mais aussi les ressources : il faut d'abord parer à l'urgence, surmonter la crise et créer ainsi les conditions d'une communication qui ne soit pas vécue comme intrusive. Ce bilan se fera donc au cours des trois premiers mois de stabilisation. Il aboutit à la mobilisation de ressources externes, tant professionnelles que sociétales ou familiales.

Les informations qui doivent être recueillies d'entrée sont les suivantes :

- situation familiale : couple, célibataire, enfants au domicile ou gardés

- logement : personnel, chez les parents ou chez un tiers, hôtel ou foyer, SD

- ressources : profession, chomage, RMI, allocations (AAH etc), sans ressources

Deux autres questions peuvent être éventuellement abordées dans le cadre du premier entretien ou ultérieurement pour éviter que l'entretien ne soit trop lourd :

- situation financière : endettement

- situation judiciaire : incarcérations antérieures, situation judiciaire actuelle

Ces informations doivent permettre de répondre à trois questions :

1°) quels sont les besoins sociaux prioritaires de l'usager ?

2°) quels supports l'usager peut-il espérer des relations familiales, affectives, sociales ?

3°) comment l'usager se situe-t-il au regard de l'insertion ?

 

1°) quels sont les besoins sociaux prioritaires de l'usager ?

Le premier entretien doit permettre d'identifier les besoins sociaux prioritaires de l'usager. Le traitement peut difficilement s'envisager sans une prise en charge sociale de l'usager qui ne dispose ni de logement ni de ressources. En ce cas, des relais doivent être effectués avec les structures d'accueil d'urgence. Les situations de grande marginalité sociale sont évidemment les plus lourdes : elles exigent que soit élaboré conjointement au projet de soin, un projet social en collaboration avec des partenaires. Dans ce cas, le diagnostic de la situation porte également sur la relation que l'usager entretien avec les services et professionnel du social : l'usager est-il en relation avec une association, une assitante sociale, un éducateur ? Dans la mesure du possible, on s'efforcer de rétablir les liens de l'usager avec sa communauté d'appartenance, y compris dans le choix des professionnels-relai, circonscription d'action sociale, Club de prévention ou associations. A défaut de relations pré-existantes, le médecin devra se constituer un carnet d'adresse et faire appel à ses propres ressources comprenant des associations de lutte contre le sida, des associations humanitaires ( voir chap...).

La question des besoins sociaux doit être posée tout au long de la prise en charge : les situations se caractérisent souvent par leur précarité, l'hébergement familial peut être remis en cause par des conflits trop violents, le logement, par l'endettement, le travail peut être intermittent.

2°)quels supports familiaux, affectifs, sociaux ?

Contrairement aux idées reçues, les usagers de drogue s'inscrivent comme tout un chacun dans différents systèmes relationnels à la fois familiaux, affectifs et sociaux. Les relations familiales sont souvent très investies : même s'il y a eu des ruptures, la famille reste l'ultime refuge. Les relations de couple, les enfants peuvent être une des motivations à la demande de traitement. La sexualité n'a rien de très spécifique. L'usage très intensif d'héroïne peut conduire à un désinvestissement des reations sexuelles mais la prise de psychotropes peut aussi faciliter les relations sexuelles.

Lors du premier entretien, on tentera de recueillir les données de base, utiles à la négociation du traitement : avec qui l'usager partage-t-il sa vie, conjoint, enfants, parents ? l'usage de drogue est-il connu, voire partagé (conjoint, fratrie...) ? qui, parmi les proches, peut, d'une manière ou d'une autre, être associé au traitement ?

Pour que l'usager change de comportement et se stabilise, le traitement doit s'inscrire dans le contexte relationnel, et le soutien du conjoint ou des parents est requis. Ce soutien n'est pas nécessairement formalisé, mais le praticien incitera l'usager à s'appuyer sur les relations affectives et familiales qui peuvent le conforter. Il peut sembler paradoxal de faire appel aux relations familiales, souvent incriminées du comportement déviant ou délinquant d'un membre de la famille. Sans entrer ici dans un débat sur la genèse de la toxicomanie, on remarquera que si la toxicomanie s'intègre d'une manière ou d'une autre dans le système relationnel, le changement implique une coopération de l'entourage, coopération qui passe par une requalification de chacun. Le traitement va impliquer un changement des relations avec le conjoint ou les parents, et l'entourage peut avoir besoin d'un soutien pour faire face à ce changement. Reste à évaluer la nature du soutien, qui peut aller, en fonction de la demande, d'une simple liaison téléphonique à une véritable thérapie familiale.

Lors des questions sur le système relationnel, le praticien ne cherchera pas à aller au-delà de ce que l'usager souhaite livrer de lui-même. A défaut, il ne fera que conforter les stratégies d'évitement, et cela d'autant plus que la situation familiale est conflictuelle. Les secrets de familles - il semble y en avoir par exemple dans les cas de prostitution - ne se percent pas sans que soit établie une relation de confiance. La question du soutien de la famille est justifiée par la mise en place du traitement : elle n'implique pas de jugement de valeur que l'usager peut redouter pour lui-même comme pour ses proches.

Une question est immédiatement utile : l'usager de drogue est-il seul consommateur de drogue chez lui ? La stabilisation est peu probable si le conjoint est également consommateur de drogue. Le plus souvent, les partenaires partagent les produits, qu'il s'agisse de traitement ou de drogues illicites. La question doit être posée, et un traitement doit être envisagé pour le partenaire, immédiatement, s'il est demandeur de soin, ou à défaut, à terme. La prise en charge du couple par un même praticien est déconseillée si les relations semblent conflictuelles, sinon, le praticien fera ce qui lui convient le mieux en fonction de la demande du patient. Le couple doit être considéré ici comme une ressource : un usager en couple aura moins de difficulté à affronter le changement qu'un usager isolé.

Au-delà des relations familiales, on s'interrogera sur les relations amicales : les amis sont-ils également usagers de drogue ? Un usager d'héroïne est presque nécessairement inscrit dans un réseau relationnel sans lequel il ne peut se procurer le produit. Ces relations sont rarement strictement utilitaires, même si elles sont vécues sur ce mode au moment de la demande de traitement. Les usagers de drogue peuvent partager, à des titre différents, un même univers culturel, une des difficultés à laquelle ils s'affrontent étant la reconstruction d'un réseau relationnel. Un usager très impliqué dans le monde de la drogue, dont tous les amis sont usagers de drogue, devra construire une distance, qui peut être variable selon les cas. Dans certaines situations, un déménagement, un téléphone sur liste rouge peuvent être nécessaires. La situation peut être très délicate si aucun changement n'est envisageable ("j'habite dans une cité, tout le monde en prend"). L'usager devra alors apprendre à coexister avec d'autres consommateurs comme le font les alcooliques, en évitant au moins les situations les plus incitatives. Les proches peuvent aider à cette mise à distance en protégeaant l'usager des sollicitations. Toutes ces questions seront abordées sans hâte, au fur et à mesure qu'elles interviennent dans le cours de la prise en charge.

3°) comment l'usager se situe-t-il au regard de l'insertion ?

A qui avons-nous affaire ? quelle est la situation sociale de l'usager ? Dans le premier entretien, le praticien doit se contenter d'informations partielles. La prostitution ou le trafic sont rarement revendiqués, tout au plus peuvent-ils être reconnus dans le cadre d'une relation de confiance si le praticien est à même de les identifier. On se contentera dans un premier temps d'établir les ressources officielles, (emploi, RMI, Allocation Adulte Handicapée, sans ressources).

On ne saurait toutefois nier que la situation sociale et juridique de l'usager intervient dans le diagnostic comme dans le choix du traitement et de ses modalités. La façon dont l'usager se procure son produit est certainement une information déterminante : à l'exception des riches héritiers, la délinquance est de règle, délinquance d'obligation liée à l'interdit. Presque tous les usagers participent d'une manière ou d'une autre au trafic, même s'ils s'en défendent - les trafiquants ont mauvaise presse. L'usager se contentera de "rendre service à des amis", s'il est capabe de maitriser un tant soit peu sa consommation. S'il ne peut s'empécher de consommer tout ce qui passe entre ses mains, s'il n'a pas d'amis qui lui fasse confiance, il sera voleur ou braqueur. Ou prostitué. La façon dont l'usager se procure son produit participe ainsi du diagnostic sur la capacité de maitriser ou non sa consommation.

Si l'usager comprend la nécessité de l'information pour que le traitement soit adapté à sa situation, et s'il ne craint pas un jugement moral, sans doute acceptera-t-il de livrer ce qui est pour lui-même significatif. Le risque d'un entretien trop intrusif est ici plus que l'esquive, le mensonge. Le médecin ne doit pas aller plus vite que le patient et les questions doivent être posées en fonction du traitement : le produit est-il facilement accessible ? quel changement dans le mode de vie est souhaité, possible ?

En confrontant l'ensemble des informations fournies (diagnostic toxicomanie et situation sociale), on peut construire une première hypothèse sur le type de stratégie sociale dans lequel s'inscrit l'usage de drogue (voir profil). Cette construction dépend en partie de la connaissance que l'on a du milieu d'appartenance qui recouvre l'ensemble des milieux sociaux, jeunes des cités et fils de famille, professions libérales et fonctionnaires, véritables voyous et jeunes à la dérive. Certains types d'usage sont caractéristiques de catégories sociales, avec des significations qui leur sont propres, associés dans les professions de la communication, artistiques ou sportives à la performance ou à la créativité, ici à l'échec ou à l'exclusion. Ici, le jeune consommera "pour faire comme les autres", là pour s'affirmer différent.

Les significations sociales de l'usage de drogue différent selon les milieux sociaux, les consommations de drogues peuvent être plus ou moins acceptée, elles peuvent aussi être centrales dans le mode de vie. Ces significations sont difficiles à élucider, et les discours en la matière peuvent masquer des situations sociales très contrastées. Ce jeune homme qui vit sa toxicomanie comme une déchéance était peut-être un trafiquant : la drogue, pour lui, c'était de l'argent, et les toxicomanes auxquels il vendait, des paumés. Pour cet autre, l'usage des drogues a ouvert des portes, celles des boites de nuit ou du showbiz, ouverture illusoire, mais c'était la seule dont il disposait. Et quelles relations a-t-il entretenu avec ses amis celui qui traite tous les toxicomanes "de menteurs ou de voleurs" ? Il est des secrets qu'on ne peut partager. Dans le cabinet du médecin, la fonction sociale de l'usage est presque nécessairement négligée, l'usager vient demander de l'aide dans un moment où, le plus souvent, il se sent seul et malade. D'une certaine façon, les stéréotypes lui viennent en aide : ils offrent des mots pour le dire. Si le médecin s'y prète, l'usager risque de s'enfermer dans le rôle de victime, avec un double effet pervers, la relation sera faussée et la stratégie thérapeutique difficile à élaborer.

Reste à l'usager à déterminer dans quelle mesure il souhaite et peut changer son mode de vie. Il n'est jamais aisé de changer de milieu social, et ce changement ne peut s'effectuer que très lentement en s'appuyant sur des ressources existantes : plus que de changer de milieu, on change la façon dont on se situe dans son propre milieu. Si dans les années soixante-dix, la sortie de la toxicomanie exigeait une rupture radicale avec le milieu de la drogue, aujourd'hui, la situation est plus complexe, l'usage de drogue ayant pénétré des milieux sociux et professionnels avec lesquels l'usager ne peut ou ne veut pas toujours rompre. Plus qu'une rupture, c'est une distance que l'usager doit parvenir à créer, distance qui implique un nouveau rôle social, une nouvelle identité. L'insertion professionnelle est un tournant majeur, elle n'est pas toujours envisageable. Les usagers confrontés à une évolution de la maladie doivent adapter progressivement leur mode de vie à leur nouveau statut de malade. Pour tous, ce changement d'identité se fera d'autant mieux que l'usager pourra s'appuyer sur des relations familiales, affectives, sociales que l'usager aura pu maintenir ou renouer.

Petite typologie de la délinquance:

- Pas de délinquance : ils consomment leur salaire

- ceux qui consomment et revendent : mode de vie organisé autour de l'usage de drogues

- la petite galère banlieue, la petite délinquance précède ou accompagne l'usage/ racaille et lascart

- les vrais durs : trafic ou braquage

- les cas particuliers : prostitution, anarque, "doctor's addict"

Les enseignements en matière de traitement :

- ceux qui consomment en travaillant : des habitudes très difficiles à changer. Le traitement peu facilement être chronique

- les modes de vie organisés autour de la drogue : s'ils étaient revendeurs, c'est qu'ils maitrisaient peu ou prou leur consommation. Ils en sont donc capables. Ou ils l'ont été. Changer en restant fidèle à ce qu'on a choisi ?

- les vrais durs : avec l'âge, ils se calment

- les petits galériens banlieue : une dérive collective, ça fait peur

Les questions que je me pose :

- l'usager est-il à l'aise dans son milieu ? y est-il respecté ou considéré comme un barge ? que pense-t-il des autres usagers ? considère-t-il qu'on ne doit pas leur faire confiance, entretient-il un rapport culpabilisé à sa propre consommation ? a-t-il fait les pires coups à ses copains ? est-ce une balance ? a-t-il de la moralité, le sens de l'engagement ? est-ce qu'il braque les pharmacie en plein jour, attaque les banques avec un pistolet à eau, ou un vrai ? est-ce qu'il peut faire n'importe quoi ?

- est-ce qu'il me fait rire, est-ce qu'il n'est pas comme les autres, pas là où on l'attend ?

- les taulards qui ont de la moralité à qui il faut faire confiance

- les femmes prostituées qui doivent être respectées

- les réveurs qui s'échappent, qui ne sont jamais là où on les attend

- la culture baba, cool

- les têtes brûlées, baroudeurs, les quatre cent coup

- les bien sous tout rapport, attention l'anarque ?

- Madame Bovary, le postier qui s'emmerde

Le respect : un ressort du traitement.