Le 20ème anniversaire de «l'appel du 18 joint» a été commémoré sur le mode virtuel

Accusée d'inciter à l'usage du cannabis, la manifestation a été interdite

Laurence Folléa, Le Monde daté du 18/06/96.

 

 

Interdit par la préfecture de police, un rassemblement de protestation contre la répression de l'usage du cannabis n'a pu avoir lieu que de manière « virtuelle », dimanche 16 juin à Paris. Plusieurs organisations et personnalités ont néanmoins saisi l'occasion de célébrer les vingt ans de l'« Appel du 18 joint » qui, en 1976, réclamait déjà que soit mis un terme à une situation absurde.

 

C'EST UNE manifestation « virtuelle » qui a eu lieu dimanche 16 juin au parc de La Villette, à Paris. Interdit par la préfecture de police pour « présentation sous un jour favorable du cannabis», le rassemblement annuel du Collectif d'information et de recherche cannabique (CIRC) n'a, aux dires des organisateurs, pas existé. Ces derniers ont lancé plusieurs appels à la dispersion. Quelques effluves de haschisch flottaient tout de même sur les pelouses de la Villette. Une banderole «Drogues : débat prohibé » était accrochée à un grillage et vers 15 heures, sur fond de tam-tam et au milieu des jongleurs, plusieurs centaines de personnes s'asseyaient en cercle autour d'un mégaphone.

Les militants, membres du CIRC, du Mouvement de légalisation contrôlée (MLC), de l'association Chiche !, des Verts et des jeunes socialistes, commémoraient les vingt ans de l'Appel du 18 joint, signé en 1976 par cent cinquante personnalités dans Libération. François Chatelet, l'historien Phillippe Druillet, Gilles Deleuze, André Glucksman, Isabelle Huppert, Maxime Le Forestier, Edgar Morin, Jérome Savary, Philippe Sollers et beaucoup d'autres avaient alors déclaré « avoir déjà fumé du cannabis en diverses occasions et avoir, éventuellement, l'intention de récidiver ». Le texte demandait « la dépénalisation totale du cannabis » et précisait qu'il n'était « pas un appel à la consommation », mais visait « seulement à mettre fin à une situation absurde ».

 

En 1996, la problématique n'a pas bougé d'un iota. Dominique Voynet, leader des Verts, qui a inscrit à son programme la libéralisation de l'usage et du commerce de cannabis, a lancé à la foule conquise : « On n'est pas là pour parler de toxicomanies et de drogues, mais pour parler de l'usage convivial et ludique d'une substance que nous apprécions tous ! » Le représentant du mouvement « jeune-écolo-alternatif-solidaire » Chiche ! a dénoncé de son côté la politique du ministre de l'intérieur, Jean-Louis Debré, accusé de « faire la chasse à toute culture jeune qui sort du modèle « foot-scouts-vin rouge ».

 

« MYSTERIEUX CAMBRIOLAGE »

 

La « mise à mort » du magazine L'Eléphant rose, victime d'« un mystérieux cambriolage » et d'un avis défavorable de la commission paritaire, a également été évoquée. Le directeur de ce bimestriel « antiprohibitionniste et informatif» a comparu le 10 mai sur citation directe du parquet de Paris pour infraction à l'article L. 630 du code de la santé publique. Le jugement doit être rendu avant la fin du mois.

Au sein d'une assemblée joyeuse et colorée, Monique Herold, présidente de la commission santé-bioéthique de la Ligue des droits de l'homme, a glissé avec humour qu'elle était « venue prendre le soleil», tandis que le docteur Bertrand Lebeau, de Médecins du monde, a assuré que l'interdit du jour n'empêchait pas le fait que « cette question est de toute facon déjà débattue dans la société francaise ».

Depuis 1970, hormis quelques circulaires et la loi du 13 mai 1996 visant à renforcer la lutte contre le blanchiment et le trafic de stupéfiants, le dispositif répressif n'a pas changé. La France est l'un des derniers pays européens, aux côtés du Luxembourg et du Portugal, à réprimer l'usage de simple drogues. Les travaux de Monique Pelletier en 1978, d'Evelyne Sullerot en 1989 puis de Catherine Trautmann en 1990, avaient pourtant souligné la spécificité du cannabis dans le champ des drogues, et notamment balayé la théorie de l'« escalade » automatique du fumeur de joints vers la cocaïne ou l'héroine.

En 1994, le Comité national d'éthique a enfoncé le clou, estimant que la distinction actuelle entre drogues licites et illicites ne repose sur « aucune base scientifique cohérente » et jugeant nécessaire de revoir du tout au tout la classification des substances psychotropes (tabac, alcool, médicaments, stupéfiants). Quelques mois plus tard, les membres du comité Balladur pour la consultation des jeunes puis ceux de la commission Henrion, nommée par Simone Veil, ont proposé une dépénalisation expérimentale de l'usage du cannabis. Les politiques n'ont jamais suivi les recommandations des experts.

Claude Pigement, délégué national du Parti socialiste aux professions de santé, a pris le micro du mégaphone « à titre personnel ». Il a fait mention d'un texte qui devrait être adopté par la convention nationale du PS les 29 et 30 juin et qui demande explicitement « une révision » de la loi du 31 décembre 1970 sur les stupéfiants. « Il est indispensable de lever les contradictions majeures entre santé publique et répression, écrit le PS, de repenser la prévention, la réinsertion, et de poser le débat sur la dépénalisation de l'usage simple de cannabis ».

 

Les interpellations de fumeurs en hausse

 

Les saisies de dérivés de cannabis en France ont diminué de 27 % entre 1994 et 1995, indique le dernier rapport de l'Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (Ocrtis) (Le Monde du 22 mai). Les saisies d'herbe (mariijuana) ont augmenté de 45,8 % par rapport à 1994, tandis que les priises de résine (haschisch) et d'huile ont connu respectivement des baisses de 29,8 % et 62,5 %.

Les interpellations pour usage simple de drogue ont dans le même temps progressé de 18,67 %, et, selon l'Ocrtis, « c'est le cannabis qui marque la plus forte augmentation (27,6%) ». « Dans la majorité des ressorts de SRPJ, précise l'office, le nombre d'usagers de cannabis représente environ 67 % » des arrestations.

 

 

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