Le Télégramme de Brest du 23 septembre 2002

Cannabis. Les paradoxes de la prohibition

 

Responsable du service alcool-toxiques au CHU de Brest, le Dr Pierre Bodénez est favorable à la légalisation du cannabis. « Pas pour que la population fasse n'importe quoi, mais au contraire pour que des règles puissent être édictées ».

Propos recueillis par Catherine Le Guen.

 

Quelles sont les effets négatifs du cannabis en utilisation chronique ?

- Le cannabis entraîne plutôt apathie et repli sur soi. Le risque d'une consommation abusive est d'entraîner un syndrome amotivationnel ou des épisodes délirants chroniques. Mais il n'y a pas de toxicité neuronale, contrairement à l'ecstasy ou à l'alcool, dont on sait qu'il peut provoquer une atrophie cérébrale.

- Que pensez-vous d'une éventuelle dépénalisation du cannabis ?

Les produits culturellement ancrés comme l'alcool et le tabac ne sont pas interdits. Le cannabis est illégal.

- Mais il faut se poser la question en terme de dangerosité. Y a-t-il une pertinence entre ce découpage juridique et la dangerosité des produits ?

- Le rapport Roques, rendu fin 1998, a clairement classé le cannabis parmi les produits les moins dangereux, moins que le tabac, tandis que l'alcool était associé à l'héroïne et à la cocaïne en terme de nocivité.

La dernière enquête Escapad, menée lors de la journée du citoyen qui rassemble les garçons et filles de 18 ans, montre bien qu'un jeune sur deux a déjà consommé du cannabis.

Parallèlement, depuis 1993, le nombre d'interpellations pour usage et usage-revente de cannabis a plus que doublé (de 30.344 à 72.281). On voit bien que la prohibition est inefficace.

- La prohibition a-t-elle d'autres effets ?

- Oui, elle est dangereuse parce qu'elle amalgame les différents marchés de produits stupéfiants qui reposent sur les mêmes fournisseurs. Un usager occasionnel va côtoyer des vendeurs et des usagers de produits plus toxiques, les problèmes de violences sont aussi fréquents.

Le fait que le marché soit illégal interdit aussi tout contrôle de la qualité du cannabis qui est parfois coupé avec des produits toxiques. La concentration en principe actif - le taux de THC (tétrahydrocannabinol) - n'est pas non plus fixée. Certains cherchent à l'augmenter, ce qui rend le cannabis plus toxique.

Enfin, cette interdiction classe tout usager dans la catégorie des toxicomanes, mais tout est plus compliqué que cela.

L'important est la question de l'usage d'un produit. Aujourd'hui, il est impossible de distinguer l'usage non pathologique festif et l'usage nocif lié à la dépendance.

- Un cadre réglementaire serait donc nécessaire ?

- L'alcool est un produit légal et des règles ont été édictées autour de son utilisation et de sa consommation. Le paradoxe pour le cannabis est qu'il ne peut bénéficier d'un cadre réglementaire parce qu'il est illégal.

Si je suis pour la légalisation, ce n'est pas pour que la population fasse n'importe quoi, mais au contraire pour que des règles puissent être édictées. Aux Pays-Bas, la qualité du cannabis est analysée, les quantités vendues sont contrôlées, il n'y a pas de vente aux mineurs. Aujourd'hui, les Pays-Bas rencontrent moins de problèmes de drogues dures qu'en France.

L'effet de la prohibition est aussi désastreux pour ce qui est de la représentation de la loi. La règle édictée n'est pas respectée, cela pose d'autant plus de problèmes qu'il s'agit d'une population jeune qui peut en déduire que l'on peut transgresser la loi.

 

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