La loi de 1970 est inadaptée, mais banaliser la prise d'ecstasy est irresponsable, voire criminel.

 

A propos de l'ecstasy

 

Par Serge Bonnefis, éducateur spécialisé au Centre Cassini, un centre d'accueil pour les toxicomanes et leurs familles à l'hôpital Cochin (Paris)..

Libération du 24/04/98

 

 

«Allo, ne raccrochez pas, j'ai besoin de parler... J'ai 21 ans, je suis seul chez moi, j'ai passé le week-end en rave, j'ai pris 7 ou 8 ecsta, je ne sais plus. Je suis en pleine descente, ça ne se passe pas bien. Je suis seul avec mon chien, il est en face de moi, mais je vois un dragon, j'ai peur, je ne sais pas quoi faire.»

Nous sommes un lundi matin, au Centre Cassini; c'est le premier appel de la journée. Il va durer trois quarts d'heure. Très vite nous comprenons que la seule attitude est l'écoute. Au fil des minutes, la voix s'est apaisée. Après nous avoir remerciés de l'avoir écouté, nous lui avons proposé de venir nous rencontrer; il n'est jamais venu.

Si je raconte cette histoire, banale pour une partie de nos consultants qui consomment de l'ecstasy, c'est pour souligner que ce produit à la mode n'est pas sans danger.

Ce jeune homme a eu le réflexe d'appeler un numéro de téléphone pour parler de son angoisse... Mais bien des services d'urgences peuvent témoigner de l'état de certaines personnes qui se présentent, complètement délirantes lors de la «descente» suite à une prise d'ecstasy, sans parler des électrocardiogrammes extrêmement perturbés.

La banalisation de la prise d'ecstasy relève de l'inconscience, voire de la criminalité émanant d'adultes irresponsables.

Avec la récente pétition des 111 (Libération, 26 février) nous sommes en présence d'un groupe de personnes d'une «certaine notoriété» enfermées dans un ghetto de privilégiés, loin des réalités sociales d'une jeunesse en mal-être. Laisser entendre que le plaisir parfois réel mais éphémère de ce produit est sans danger ne peut qu'accentuer ce mal-être, lorsqu'il s'agit de renouer les liens avec la réalité sociale.

Loin de moi l'idée de donner le moindre crédit à un quelconque mouvement prohibitioniste et je tiens à dénoncer l'hypocrisie qui nous entoure: l'alcool tue, le tabac tue, l'héroïne tue, l'ecstasy tue, le cannabis ne tue pas mais son usage chronique reste dangereux car il peut mettre en évidence des pathologies psychiatriques graves.

Comment se retrouver dans cette panoplie de drogues licites, illicites, diverses et variées, si ce n'est par la gestion de leur consommation. Encore faut-il être en mesure de connaître le produit, sa composition, son frelatage, et surtout les états qui peuvent découler de son absorption.

La gestion de la consommation d'un produit passe aussi par la façon de le prendre: boit-on de l'alcool pour accéder à une convivialité ou pour «noyer» des problèmes? Fume-t-on du cannabis dans un cercle de convivialité ou pour accéder à des sensations irrationnelles?A partir de quel moment devient-on esclave de la consommation d'un produit? A partir de quel moment nous installons-nous dans un état d'addiction ou de dépendance?

Si les opiacés, les psychotropes, l'alcool et le tabac peuvent très vite mettre notre corps en état de dépendance, toutes les drogues prises sans connaissance peuvent nous entraîner dans une dépendance psychique que seul un travail personnel peut éclairer.

La pétition des 111 me fait peur par l'irresponsabilité de ses signataires. Ils prennent leurs responsabilités par rapport à une loi inadaptée: tous les intervenants en toxicomanie demandent sa révision. Mais ils ne font que régler leur problème narcissique face à leur expérience de la drogue. Par leur notoriété, ils peuvent entraîner dans la consommation de drogues une jeunesse en quête de bonheur ou de bien-être.

Ces chantres de la consommation de drogues, et notamment de l'ecstasy, ont l'attitude contraire à celle d'un comportement de prévention car la prévention commence bien en amont.

Les partisans de ces pseudo-plaisirs ne font aucune allusion à leur coût. Beaucoup d'usagers de drogues sont en prison. Pas tant pour consommation de drogue que pour des actes de délinquance inhérents à l'assujettissement (voire l'asservissement).

Il est indispensable de reconsidérer la loi de 1970. Profiter de cette occasion, pour laisser la porte ouverte (voire béante) à l'absorption de drogues serait irresponsable.

 

 

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