medias, politiques et drogues

 

Médias, politiques et la question des drogues

par Raph

 

 

Comment apprécier la méconnaissance totale - réelle ou délibérée - des pouvoirs publics et des médias sur le contexte historique et géopolitique des drogues, et notamment leur prohibition ?

 

Cette ignorance apparente est d'autant plus dommageable qu'elle n'arrange en rien la crédibilité des uns comme des autres, sur lesquels pèse déjà un fort soupçon de mensonge et de manipulation.

 

Mais nul besoin de recourir à la théorie du complot et/ou à une intentionnalité délibérément perverse ou manipulatrice pour expliquer pourquoi le discours des politiques et des médias sur les drogues est généralement si superficiel, partiel (partial) et caricatural.

 

Une bonne proportion de la classe politique est prohibitionniste par pur opportunisme électoral, préférant le confort de l'inusable discours sécuritaire, conforme à l'opinion courante (doxa), avec ses résultats concrets et payants à court terme, plutôt que le point de vue paradoxal qui exige des efforts d'argumentation pour des gains hypothétiques. Seule une petite minorité semble avoir approfondi la réflexion (?) en présentant des arguments sensés plutôt que des postures moralisatrices, soit en leur nom (Madelin, Kouchner...Jack Lang), soit dans leur programme (les Verts <http://www.verts.imaginet.fr/sante.html> et sans doute aussi les Radicaux de gauche).

 

Il est amusant (ou plutôt pitoyable) de constater que certains adoptent en public un discours qu'ils renient en privé, d'autres (les mêmes ?), perplexes, demandent aux Verts ce qui peut bien les pousser à défendre de telles positions "peu payantes électoralement", d'autres encore (toujours les mêmes ?) suggèrent que "l'opinion ne serait pas prête"...

 

 

Les médias produisent eux aussi des discours qui correspondent à l'idée qu'ils se font des attentes de leur lectorat/audience. Mais ils ne forment pas une entité homogène, et il faudrait distinguer les différents types de discours médiatiques, car qu'y a-t-il en commun, par exemple, entre un reportage de JT, un documentaire de 50 mn, et un point de vue développé d'un spécialiste en toxicomanie (ex dans les pages Débats (Libération) ou Horizons (Le Monde)) ?

 

 

En fait lorsqu'on dit médias on pense au journal télé, dont la mise en scène des événements sous la forme de reportages brefs et hiérarchisés, n'est pourtant qu'une construction qui donne l'illusion que cette représentation vraisemblable du monde correspond et reflète fidèlement la réalité, alors que celle-ci est réduite aux seuls événements montrables et montrés. À cette illusion s'ajoute celle de pouvoir expliquer de façon simple des phénomènes complexes, et enfin l'obsession de l'actualité qui rend plus difficile tout approfondissement ou recul.

 

D'où un traitement manichéen de la question des drogues qui aboutit logiquement à privilégier les aspects spectaculaires (opérations policières, saisies impressionnantes) en les commentant d'un discous dramatisant, diabolisateur, manichéen, selon le principe qui veut qu'un raisonnement simple sinon simpliste sera accessible au plus grand nombre.

 

 

Ajoutons encore que le silence des journalistes correspondants dans les pays producteurs sur les liens entre la corruption et la drogue n'est sans doute pas l'expression d'une volonté délibérée mais plutôt l'absence d'une clé qu'on n'a pas pris le temps de voir, ou plutôt qu'on ne "voit" plus tellement elle est devenue une évidence pour le journaliste qui finit par juger inutile d'en rappeler systématiquement l'existence. On peut aussi supposer que la présence de la famille justifie l'adoption d'un profil bas de la part du journaliste qui risque des ennuis voire l'expulsion.

 

On peut ajouter enfin le commentaire journalistique n'est pas le fait d'une seule personne mais le produit d'une équipe rédactionnelle dont les débats internes laisseront place au final à une opinion consensuelle, laissant de côté l'expression de propos "non-conventionnels", dont la transmission-diffusion, dont la mise en forme, en scène et en image, ne peut se satisfaire pas des procédés journalistiques habituels.

 

C'est pourquoi en réaction à ce discours globalement uniforme des médias Internet apparaît particulièrement approprié pour diffuser des points de vue minoritaires. Le "Media Awareness Project" (voir http://www.mapinc.org, et son équivalent en "Francophonie", http://www.mapinc.org/pamf/ ), consiste à effectuer un recensement quasi-exhaustif des articles relatifs aux drogues parus dans la presse anglosaxonne et européenne, afin d'apporter à la connaissance du plus grand nombre les faits illustrant le constat d'échec accablant de la prohibition. Paradoxal ? Pas tant que ça. Organisées et regroupées, disponibles à tout moment, ces informations mono-thématiques échappent au destin que leur voue la presse : l'oubli.

Une autre initiative récente vise à former les "constructeurs" rapporteurs d'informations que sont les journalistes : voir http://www.drogomedia.com (en espagnol).

Présentation.

 

Médias et moyens de communication

Cet atelier a permis à Angel Rikalde, journaliste espagnol d'exposer les résultats d'une analyse d'articles sur la question des drogues, et à Josepa Zalakain, représentant d'une association basque espagnole de présenter www.drogomedia.com, site Internet élaboré pour aider les journalistes dans la rédaction de leurs articles sur les drogues.

A partir d'un exemple tiré de la presse espagnole, Angel Rikalde a invité la salle à réfléchir sur l'impact négatif que peuvent avoir sur le lecteur un titre (Quatre morts dus à l'héroïne) et une illustration (seringue de laquelle s'échappe une « silhouette » en forme de tête de mort). La lecture de l'article écrit sur un ton neutre est imprégnée de l'image fatale transmise par le titre et l'illustration. D'après les résultats de son travail de recherche, dans les médias, « la fiction joue un rôle plus important que la propre réalité ».

En se basant exclusivement sur des sources de la police et des institutions (excluant le travail des associations), les médias contribuent à entretenir et à reproduire un regard stéréotypé où l'usage de drogue est associé à la délinquance, la maladie, voire la mort.

Angel Rikalde constate également que la dramatisation sanitaire (communication sur les décès, notamment de l'héroïne et du tabac, mais pas seulement) constitue la base des communications sur les drogues. Lorsque le sujet traité entraîne des troubles sociaux, l'accent est mis sur la gêne pour le voisinage (bruit, difficulté à l'endormissement, dégradation de l'environnement, sécurité). L'aspect sanitaire est toujours occulté : personne ne s'inquiète de la santé de ces jeunes adolescents qui consomment régulièrement et massivement de l'alcool dans la rue, ni des motivations et des conséquences de ces consommations.

En parallèle, le journaliste note parfois des incohérences : un article alarmant sur les dangers de l'alcool ou du tabac pour la santé et une publicité, dans le même journal, pour ce même produit.

En conclusion, le journaliste regrette :

- l'absence de diversité des sources des médias,

- le manque de journalistes spécialisés sur les questions sociales (comme il existe des journalistes spécialisés en économie, politique, etc.),

- l'absence de remise en question des politiques centrées sur l'abstinence, la tolérance zéro,

- le mépris des consommateurs de drogue par le vocabulaire employé « les camés »,

Pour répondre à ces besoins, une association a mis en place un site Internet www.drogomedia.com destiné à aider les journalistes dans la rédaction de leurs articles sur les drogues et à faire évoluer leurs perceptions.

Ce site couvre avec objectivité un éventail très large de sujets liés aux drogues (les produits, la réduction des risques, la prévention, le soin, la loi, etc., rédaction de dossiers thématiques).

Malgré son jeune âge (environ 7 mois), le site connaît une fréquentation quotidienne de 150 visites.

Quant aux contenus des articles parus dans la presse espagnole, Josepa Zalakain observe les mêmes constats que Angel Rikalde, et émet l'hypothèse que les journalistes subiraient parfois des pressions ne leur permettant pas de témoigner des réalités.

Il a pour objectifs que le site www.drogomedia.com permette « un contact plus étroit avec les rédacteurs » et « permette de sensibiliser les journalistes quant au besoin d'améliorer les perspectives d'information sur les drogues ».

Communication CLAT2 &endash; CRIPS Ile-de-France