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Le mythe d'une société sans drogues dénoncé par une magistrate

LE MONDE daté du 22 février 2005

Pour l'ex-présidente de la Mission de lutte contre la toxicomanie, il faut "s'adapter à la diversité des comportements".

Parce qu'elle évoque les figures de la marginalité et de l'interdit, parce qu'elle fait peur autant qu'elle fascine, la question des drogues a longtemps suscité les discours manichéens et les solutions toutes faites.

Dans Les Drogues, un petit opuscule accessible à tous, Nicole Maestracci tente de dépasser les clivages idéologiques qui polluent souvent le débat public en la matière.

Livrant une synthèse très pédagogique des données connues sur les produits, leurs usages et les risques qui leur sont associés, la magistrate, qui a présidé la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie (MILDT) entre 1998 à 2002, plaide pour une politique pragmatique et transparente des pouvoirs publics, qui ne méconnaîtrait pas la complexité des phénomènes de consommation.

Loin des slogans de "guerre à la drogue" ou d'éradication d'un "fléau à combattre", Nicole Maestracci affirme sa conviction : il faut tourner le dos au mythe d'une société sans drogues, encore trop facilement agité dans certains discours politiques. "Ne faut-il pas admettre que la recherche de drogues est, comme la recherche du bonheur ou la prescience de la mort, consubstantielle à l'homme ?, s'interroge-t-elle. Admettre cette évidence n'est pas baisser les bras, c'est au contraire définir la marge de manŠuvre de l'action à conduire : réduire les dommages physiques ou sociaux liés à la consommation de drogues."

Ce programme d'action, Mme Maestracci l'avait elle-même décliné à la tête de la MILDT en mettant en Šuvre une politique dite d'"approche globale" des drogues : il s'agissait de traiter sur un plan unique toutes les substances psycho-actives (alcool, cannabis, cocaïne, ecstasy, héroïne, tabac, médicaments, substances dopantes) en abordant les produits selon leur mode d'action et la dépendance qu'ils entraînent, et non plus en fonction de leur caractère licite ou illicite.

"SIMPLISTES ET BINAIRES"

Cette approche, fondée sur les comportements plutôt que sur les produits, a conduit les politiques publiques à moduler leur action selon les modes de consommation, distinguant entre l'usage, l'abus (ou usage nocif) et la dépendance.

Fortement combattue par le gouvernement Raffarin lors de son arrivée aux affaires, cette orientation n'a finalement pas été remise en cause par les pouvoirs publics, même si le ministre de la santé, Philippe Douste-Blazy, a récemment choisi de focaliser sur un produit, le cannabis, en lançant une campagne d'information sur ses "méfaits" (Le Monde du 3 février).

Pour Nicole Maestracci cependant, "les grandes campagnes de communication ne font pas en elles-mêmes prévention" car "elles sont trop générales pour s'adapter à la diversité des comportements". Elle rappelle que dans le passé, ces slogans (comme "La drogue, c'est de la merde", 1986) n'ont eu une efficacité que très relative. "Les messages simplistes et binaires fondés sur la peur ou une dramatisation excessive n'ont pas été efficaces car, en plaçant tous les comportements de consommation sur le même plan, ils contredisaient l'expérience de la plupart des personnes et n'étaient donc pas crédibles."

A ces campagnes systématiques, l'auteur préfère l'élaboration d'un "socle commun de connaissances sur les drogues, transversal aux générations, aux milieux sociaux et aux cultures professionnelles", et renouvelé régulièrement, afin de créer "un bruit de fond indispensable pour susciter une adhésion de la population aux mesures de prévention proposées".

En ce sens, l'ouvrage de Mme Maestracci s'apparente à un plaidoyer pour la politique qu'elle a menée, notamment au travers de la diffusion à plus de 6 millions d'exemplaires, du livret Drogues : savoir plus, risquer moins.

Cette démarche de santé publique, qui ne cache rien de la vérité des drogues pour mieux en limiter les dangers, est pour l'auteur un préalable absolu : "Ce n'est qu'à ce prix que la question des drogues sortira de l'âge des croisades et deviendra une question individuelle et collective comme les autres", conclut-elle.

Cécile Prieur

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 22.02.05

 

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