Libération du jeudi 17 janvier 2002

 

Evénement

Dépénaliser ou réprimer, quatorze prétendants à l'Elysée et deux probables répondent à «Libération»: Mesdames et messieurs les candidats, faut-il modifier la loi sur les drogues ?

Olivier Besancenot

Ligue Communiste révolutionnaire

«Dépénaliser toutes les drogues»

 

Candidat de la LCR, Olivier Besancenot est, à 27 ans, le plus jeune prétendant à l'Elysée.

«La position de la LCR a toujours été sans ambiguïtés sur ce sujet. Nous sommes non seulement pour la légalisation du cannabis mais aussi pour la dépénalisation de l'usage des drogues dures. Il ne s'agit pas de faire de la démagogie : il faut qu'une réforme soit accompagnée de mesures de santé publique, de campagnes d'information sur les dangers des drogues et pas seulement du pétard mais aussi du pinard. La légalisation ne signifie pas l'installation d'un coffee-shop à chaque coin de rue. Il faut que l'Etat garde un droit de regard sur la distribution et l'accès des consommateurs à ces substances. Aux Etats-Unis, la prohibition a permis l'éclosion de la mafia. Elle permet aujourd'hui en France dans les cités le développement d'une économie parallèle. Selon une récente étude du Centre de recherche et d'information cannabique, les jeunes jugent aujourd'hui que sur cette question la droite est plus souple que la gauche.»

 

Arlette Laguiller

Lutte ouvrière

«Pas besoin de paradis artificiels»

 

Arlette Laguiller, en déplacement, n'était pas joignable hier.

Néanmoins, sur le sujet, le journal de Lutte Ouvrière affirmait qu'il n'était «pas besoin des paradis artificiels»

De plus directement interrogée sur le sujet pendant la campagne des européennes, Arlette Laguiller confirmait: «Nous, franchement on n'est pas pour que les jeunes se droguent et fuient ainsi les réalités. On préfère qu'ils lisent, qu'ils se cultivent et s'engagent.»

Robert Hue

Parti communiste

«Venir en aide aux usagers»

 

Nommé candidat du PCF fin octobre, Robert Hue est crédité de 5,5 % des voix dans les sondages.

«La réponse est oui. Incontestablement il doit y avoir des évolutions dans ce domaine. Il faut répondre à l'attente, je crois légitime, des utilisateurs de ces drogues qui ne veulent pas être traités comme des gangsters alors qu'ils sont, pour la plupart, victimes d'un odieux trafic. Dans le même temps, il n'est pas question de baisser la garde dans ce qui est un véritable combat de santé publique, une lutte contre une délinquance réelle. Il est donc urgent de bâtir une législation qui vienne en aide aux usagers au lieu de les enfoncer, et pénalise vraiment le trafic en allant chercher les responsables là ou ils sont, y compris dans les plus hautes sphères: la législation actuelle ne répond pas à cette mission. Je n'ai pas de doute sur les capacités de la représentation nationale à trouver les formes de cette indispensable évolution.»

 

Jean-Pierre Chevènement

Mouvement des citoyens

«Pas nécessaire de changer la loi»

   

 

Ne pouvant être joint hier en raison d'un déplacement dans le Sud-Ouest, Jean-Pierre Chevènement n'a pu répondre à nos questions. Son porte-parole, Michel Suchod, exprime le point de vue du candidat du MDC.

«Je considère que 52 000 morts à cause du tabac, c'est trop. Je considère que les ravages de l'alcoolisme sont terribles. Malheureusement, des gens cumulent parfois usage d'alcool et de tabac. Je considère que 9 000 morts par accidents de la route, c'est beaucoup trop. En ce qui concerne la conduite, on s'interroge d'ailleurs sur le ramollissement des réflexes des conducteurs sous emprise de médicaments et de drogues. Il ne m'apparaît pas nécessaire de changer la législation. En revanche, il faut davantage responsabiliser les gens, et notamment les populations les plus fragiles.»

 

Christiane Taubira

Parti des radicaux de gauche

«L'expression d'un manque»

 

Christiane Taubira, députée radicale, est élue de Guyane.

«Interrogeons-nous tout d'abord pour savoir pourquoi la consommation de cannabis est aussi importante chez les jeunes de 16 à 25 ans. Quel désir, quel manque cela exprime-t-il ? Je crois, pour ma part, que la progression de l'augmentation de consommation de cannabis est liée à la disparition des grandes causes, à la faillite des idéologies. Au fond, en fumant du cannabis, cette génération compense son manque de rêves. Je viens de Guyane, tout près de l'Amérique du Sud, plaque tournante du trafic de stupéfiants, je suis appelée à avoir une attitude responsable par rapport à la consommation des drogues. Je ne peux pas plaider pour la libéralisation. En revanche, je suis d'accord pour la dépénalisation de l'usage, à condition qu'elle s'accompagne de mesures sociales et sanitaires.»

 

 

Le Parti socialiste

«Distinguer trafic et consommation»

   

 

Actuellement sans candidat officiel, le PS répond par la voix de son porte-parole, Vincent Peillon.

«Il est vrai qu'il y a une hypocrisie puisque l'on stigmatise les consommateurs de cannabis et que l'on ne traite pas de la même façon l'usage d'autres "drogues" qui semblent socialement plus acceptables. Celles-ci sont pourtant à l'origine de dégâts considérables pour la santé publique, tant pour les individus qu'en termes de coûts pour la collectivité. Il faudra bien revenir un jour sur la loi de 1970, qui est d'ailleurs souvent contredite dans son application concrète. Nous devrons sans aucun doute distinguer les trafics de tous ordres, qu'il convient de réprimer, et la consommation strictement personnelle de quantités modérées. Pour être résolue, cette question suppose que l'on organise un vrai débat, dans la société comme au Parlement, pour faire émerger un consensus.»

 

Noël Mamère

Les Verts

«Moins de dégâts que l'alcool»    

 

Noël Mamère défend la légalisation.

«Ce rapport (lire page 2, ndlr) va peut-être, enfin, lever un tabou. Les Verts sont favorables à une légalisation des drogues douces. Le cannabis fait beaucoup moins de dégâts que l'alcool ou le tabac. L'alcool au volant est avec la vitesse la cause principale des accidents de la route. Et le tabac tue chaque année l'équivalent des morts de la guerre du Viêt-nam. Une vraie politique de santé publique passe par une lutte acharnée contre les fabricants de tabac. Pourquoi l'Etat se nourrit-il sur la vente du tabac, argent redépensé aussitôt dans le système de santé, alors qu'il met les toxicomanes en prison? Il faut arrêter de criminaliser les consommateurs et de considérer les toxicomanes comme des non-citoyens.»

 

 

Antoine Waechter

Mouvement écologiste indépendant

«La contagion, dès le collège»

 

Ne disposant pas encore des 500 signatures nécessaires, Antoine Waechter espère cependant concourir à la présidentielle

«C'est un débat de techniciens. Quand nous avons auditionné il y a deux ans des spécialistes de la lutte contre la toxicomanie, ils étaient unanimes pour dire que c'était une plaisanterie d'imaginer que les drogues douces puissent réduire l'impact des drogues dures. Elles sont au contraire un marchepied vers des drogues plus dures. Il faut mobiliser le milieu scolaire et familial, car la contagion s'opère dès le collège. Il ne faut pas faciliter l'accès à la drogue. La question n'est pas de savoir si on est contre les drogues douces, mais contre les drogues tout court. Je suis donc défavorable à la vente libre, qui faciliterait la consommation. Ceci dit, la criminalisation de la consommation pourrait disparaître.»

 

Corinne Lepage

Cap 21

«La plus grande injustice règne»

   

 

Ancienne ministre de l'Environnement, Corinne Lepage est également avocate.

«En tant que mère de famille, je ne peux pas être favorable à la consommation de drogues, comme du tabac d'ailleurs, dont les effets sur la santé sont catastrophiques. Toutefois, si la dépénalisation de la vente de cannabis m'apparaît exclue, la question de la dépénalisation de la consommation individuelle, dans une petite quantité, peut être posée. D'une part parce que la plus grande injustice règne dans le traitement de cette infraction, d'autre part parce que nous ne pouvons pas rester dans une situation où tant de jeunes se trouvent en infraction. Cela n'a pas de sens de conserver une loi que violent des millions de gens.»

 

 

 

Brice Lalonde

Génération écologie

«Favorable à l'indulgence»    

 

Brice Lalonde, ancien ministre de l'Environnement sous François Mitterrand, s'est rapproché de Démocratie libérale.

«Je suis favorable à une certaine indulgence des pouvoirs publics à l'égard du consommateur occasionnel. Mais je suis contre la vente libre. Je suis d'accord pour que l'on arrête de poursuivre de manière excessive. Mais pas pour autoriser quoi que ce soit. Je pense que l'on peut aboutir à une dépénalisation de fait. Mais le tabac et l'alcool causent déjà suffisamment de dégâts, ce n'est pas la peine d'en rajouter.»

 

Alain Madelin

Démocratie libérale

«Les incohérences du tout-répressif»

 

Interrogé, le candidat DL ne change rien à l'interview qu'il avait donnée à «Libération» en octobre 1997.

«Il n'est que temps de s'interroger sur les échecs et les incohérences du tout-répressif. Tous ceux qui se sont penchés avec sérieux sur ce dossier ont conclu qu'il était difficile de ne pas distinguer dans les textes législatifs le fumeur occasionnel de haschisch et l'héroïnomane qui se pique plusieurs fois par jour. De même, en matière de santé publique, la frontière entre les drogues licites comme l'alcool, le tabac et certains médicaments, et certaines drogues illicites est des plus discutable. [...] Il faut oser le débat sur la drogue.»

 

François Bayrou

UDF

«Se battre contre la consommation»    

 

Stimulé par son score aux européennes, François espère être le «troisième homme» de cette présidentielle.

«Je suis opposé à tout ce qui encouragera une consommation supplémentaire de cannabis comme de toute autre drogue. Aujourd'hui, il n'y a quasiment plus de sanction pour la consommation de cannabis, mais le jour où un gouvernement ou un président dira aux Français qu'il est partisan de la dépénalisation ou de la légalisation, ce sera un feu vert à une augmentation de la consommation. Beaucoup de parents et d'éducateurs se battent pour expliquer aux enfants que la consommation de drogue ne va pas dans le sens de la liberté et de l'autonomie. Je préfère être du côté de ceux qui se battent contre cette consommation que du côté de ceux qui la favorisent.»

 

Le RPR

«Jacques Chirac y a toujours été hostile»

 

Actuellement, sans candidat officiel, le RPR répond par la voix de son secrétaire général adjoint au projet, Jean-François Copé.

«Sur le fond, il y a une hostilité quasi unanime à une dépénalisation des drogues douces au RPR. Jacques Chirac y a toujours été hostile. Ce n'est donc pas un des sujets qu'on privilégie beaucoup. Nous avons amorcé un débat sur la nécessité de savoir s'il fallait ou non condamner les usagers à une simple contravention. Ça n'a pas été tranché.»

 

 

Christine Boutin ex-UDF

«Une forme d'aliénation»

 

Bravant son parti, Christine Boutin se présente à l'élection présidentielle.

«Le cannabis, qui est en passe de prendre place dans notre société avec la légèreté qui entoura l'arrivée du tabac ou la banalisation de l'alcool, doit être regardé avec lucidité. Non pas comme un outil récréatif dont il est devenu indispensable de louer tour à tour les vertus conviviales, déstressantes voire thérapeutiques, mais comme une forme d'aliénation. Légaliser, avance-t-on, permettrait de contenir les trafics. C'est ignorer qu'à la marge de la légalisation se trouve toujours l'augmentation des trafics de ce qui demeure illégal. Et qui ne voit pas dans la banalisation psychologique la cause de l'augmentation continue de l'usage de drogues de plus en plus dures ?»

 

 

Bruno Mégret

Mouvement national républicain

«Il faut maintenir des valeurs»

Le jeudi 17 janvier 2002

   

 

Il y a trois ans, Bruno Mégret provoquait une scission au sein du Front national; il se présente aujourd'hui à sa première présidentielle.

«Je suis bien entendu pour le maintien de la pénalisation de l'usage du cannabis, dangereux pour la santé et qui constitue une antichambre vers l'usage des drogues dures. Il faut maintenir des valeurs, des repères et bien entendu des sanctions pour ceux qui les transgressent. Au surplus, rien n'empêche de mettre fin au laxisme qui prévaut dans l'application de la loi, en augmentant par exemple les moyens de la justice. Il est bien évident qu'on peut réduire la délinquance en supprimant l'objet des délits. C'est un drôle de moyen. Dire que la dépénalisation mettrait fin au trafic repose sur une illusion et ceux qui affirment de telles choses sont totalement à côté de la plaque. Les voyous qui tirent profit du trafic du cannabis se reconvertiront vite ailleurs, dans le trafic de drogues dures entre autres.»

 

Jean-Marie Le Pen

Front national

«Un sas vers les drogues dures»

 

Sans complexe, le président du Front national se voit déjà au second tour contre Jacques Chirac.

«Je suis résolument hostile à la banalisation des drogues, y compris de celles que l'on qualifie de douces. Elles constituent, quoi qu'on en dise, un sas d'entrée vers les drogues dures. Je connais le raisonnement qui consiste à dire que la prohibition favoriserait la délinquance liée à ces trafics, mais il est de notre devoir de maintenir un cadre juridique et social afin de bien fixer les limites à ne pas transgresser. Je sais que les socialistes sont favorables à un assouplissement de la législation sur le cannabis, mais je ne partage absolument pas cette conception pour le moins laxiste de la vie sociale.»

 

 

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