Un compte-rendu en 2 parties d'une série de conférences données à l'Institut de recherches internationales et stratégiques (IRIS) sur les nouveaux risques stratégiques.

Par le correspondant permanent en France du journal L'Economiste, Hakim EL GHISSASSI

Chroniqueur et correspondant permanent à Paris, Hakim El Ghissassi a suivi la série de conférences données à l'IRIS sur les nouveaux risques stratégiques. L'IRIS est l'Institut de recherches internationales et stratégiques. Organisme indépendant, il est animé par le Pr Pascal Boniface, personnalité fréquemment consultée par les gouvernements lorsqu'ils souhaitent poser des axes politiques stratégiques.

Sont classés comment «nouveaux risques stratégies» les réseaux qui se sont développés au cours des 10-15 dernières années et sont capables de peser sur les décisions politiques des Etats et des sociétés.

Souvent au Maroc, les risques stratégiques sont sur ou sous-évalués, ce qui pousse soit à se renfermer sur soi, soit à prendre des risques inconsidérés, justement.

Article original : http://www.leconomiste.com/article.html?a=62821

 

Edition électronique du 11/5/2005

 

Les nouveaux risques stratégiques

1. Le Maroc, un «Etat sous influence» de la drogue

par Hakim EL GHISSASSI

 

· Que pèse aujourd'hui le trafic des drogues dans le monde

 

· Plus la surveillance est forte, plus le prix monte

 

· Si la drogue est consommée sur place, elle ne perturbe pas

Selon l'ODCE -organisation regroupant les pays les plus riches-, le nombre de personnes qui consomment au moins une fois par an une substance interdite s'élève à 200 millions (163 millions d'usagers pour le cannabis, marijuana et haschisch, 34 millions pour les amphétamines, 8 millions pour l'ecstasy, 14 millions pour la cocaïne et 15 millions pour les opiacés dont 10 millions d'héroïne et 5 millions pour l'opium et la morphine).

Lorsqu'une drogue est consommée là où elle est produite, les prix sont relativement bas et ne génèrent pas des activités illégales troublantes. Cependant, il y a des exceptions : aux Philippines, c'est l'herbe de cannabis qui finance certains groupes rebelles ; au Népal, beaucoup d'indices indiquent que les maoïstes sont financés à la fois par le haschisch et la marijuana. En Afrique, les «conflits aux pieds nus» de la Casamance, du Libéria ou du Sierra Léone sont entretenus par la marijuana. Celle-ci y atteint d'ailleurs un prix anormalement plus élevé justement pour financer les microconflits locaux.

Mais, comme on le sait, les pays producteurs ne sont pas les plus importants en termes de consommation. L'essentiel de la production s'exporte. Les deux plus importants marchés pour la cocaïne latino-américaine sont les Etats-Unis et l'Europe. L'Afghanistan fournit 80 à 90% de l'héroïne consommée aujourd'hui en Europe. Le haschisch marocain représente plus de 80% de la consommation européenne.

Le prix de la drogue dépend de deux facteurs : la complexité du passage d'une substance végétale à une substance chimique et les difficultés rencontrées pour franchir des obstacles physiques (montagnes, mers...) ou politiques (frontières). Chacune de ces étapes est à l'origine d'une escalade des prix. La variation entre ce que reçoit le cultivateur et ce que rapporte le produit final peut dépasser 2.500 fois et non pas 100 fois comme on l'écrit parfois. Les variations pour le hachisch oscillent entre 1.000 et 1.200%. Elles vont jusqu'à 700% dans le cas des amphétamines.

On évalue, souvent, le marché de la drogue à 500 milliards de dollars par an. Des économistes comme Pierre Kopp situent la valeur du marché entre 200 et 300 milliards de dollars, ce qui signifie que l'économie de la drogue n'a qu'un impact marginal dans l'économie mondiale.

Cependant, elle peut jouer un rôle important pour certains pays, ce qui les transforme en «narco-Etats», une appellation qu'il faudra utiliser avec prudence. Alain Labrousse, fondateur de l'Observatoire géopolitique de la drogue (OGD), remarque que les Etats ainsi qualifiés sont en guerre contre des rebelles séparatistes. Pour sa part, il préfère parler de «narco-territoires».

Comme dans le cas du terrorisme, le risque de glissement vers les simplifications est très facile. La notion de narco-Etat tend à s'appliquer à tous les Etats où il y a des activités de drogue importante. Pour Alain Labrousse, deux éléments permettent de définir un narco-Etat : il faut que l'argent et les activités liées à la drogue soient prépondérants et que les profits servent en partie au fonctionnement de l'Etat. C'était le cas de la Bolivie en 1980 : le régime était solvable grâce à l'argent de la drogue. Actuellement, le régime de Birmanie a élaboré une stratégie de contrôle et d'utilisation de la drogue pour l'achat de l'armement à la Chine. Le chercheur distingue ainsi entre les narco-territoires, qui ne sont que des régions à l'intérieur d'un pays ou par-dessus les frontières de deux pays, et les narco-Etats qui organisent leurs ressources avec les recettes de la drogue.

Alain Labrousse fait la classification suivante :

- sont des narco-territoires, le Paraguay, Haïti, l'Albanie, le Libéria, le Sierra Léone ;

- sont des Etats sous influence : la Turquie, l'Italie, le Mexique, le Maroc, la Jamaïque...

- sont des «Etats sensibles» : le Pakistan, les pays d'Amérique latine.

Les transformations chimiques sont en général élaborées à proximité des zones de production. L'exception c'est la fabrication de l'héroïne afghane dont une partie, sous forme non élaborée, part par le Nord (frontière russe) et la plus grande partie de ce qui n'est pas transformé arrive en Turquie après avoir traversé l'Iran. Dans son combat contre les trafiquants, l'Iran a perdu plus de 3.500 hommes en 15 ans de lutte contre les réseaux de transit afghans. La Turquie est un grand territoire de transformation et présente une tendance à la délocalisation vers la Bulgarie.

La Birmanie est le second producteur d'héroïne, après avoir été le premier il y a 15 ans. Les trafiquants ont diversifié leurs produits, ils fournissent de grandes quantités d'amphétamine à la Thaïlande, un marché très demandeur.

La transformation d'une grande partie des feuilles de la coca et de sa pâte de base (importées du Pérou et de la Bolivie) se fait en Colombie. La cocaïne destinée au marché des Etats-Unis suit deux routes : celle de l'Amérique centrale, Colombie puis Mexique et celle qui emprunte la voie des Caraïbes et qui est commune à celle servant l'exportation pour l'Europe. Les deux points d'entrée sont l'Espagne et les Pays-Bas. Le stockage est assuré par les Colombiens dans les îles de la Caraïbe, Jamaïque, Bahamas, Haïti et République dominicaine. L'impact est très important sur l'économie de ces îles, qui sont également des territoires de blanchiment d'argent.

La principale partie des profits se fait avec la distribution. Mais ces profits sont éclatés en une multitude de petits dealers qui achètent des biens de consommation ou investissent dans l'immobilier. L'argent de la drogue nourrit ainsi des économies de survie. Les réseaux Tamouls, ceux du PKK (Kurdes en Turquie), les réseaux colombiens ou maghrébins sont des «réseaux de survie». Il n'y a pas d'enrichissement.

· Blanchiment d'argent

Pour les intermédiaires, qui font les profits les plus élevés par personne, il ne fait guère de doute que c'est à travers le système bancaire des pays riches, Etats-Unis et Europe de l'Ouest, que l'argent est blanchi. Il l'est à partir des paradis fiscaux où les banques ont des succursales. Les Caraïbes pour les Etats-Unis, Monaco pour la France, l'Ile de Jersey pour la Grande-Bretagne, les enclaves Melilla et Ceuta pour l'Espagne, sont les zones privilégiées de recyclage. L'économie de la Floride est très soutenue par les dépôts colombiens dans les comptes de banques, colombiennes ou non. Pour les trafiquants russes, la Côte d'Azur française est un territoire de repli et d'investissement. Sur la Costa del Sol, les mafieux trouvent des refuges sûrs.

· Qui touche ?

Dans le cas de l'Afghanistan, le rapport 2004 de l'ONU révèle que les paysans ont perçu 600 millions de dollars, les trafiquants opérant à l'intérieur du pays 2,2 milliards, l'héroïne afghane apporte sur le marché international 30 milliards de dollars.

Dans le cas du Maroc, 230 millions de dollars pour les paysans qui sont environ 100.000 personnes, 3 milliards pour les gros trafiquants, 10 milliards pour les milliers ou dizaines de milliers de revendeurs au détail.

· Qui produit quoi ?

Cocaïne : Bolivie, Pérou, et surtout Colombie

Opiacé : Afghanistan, Birmanie

Hachisch : le premier producteur-exportateur, le Maroc

Amphétamine : Mexique, Pays-Bas, Birmanie

Les Etats-Unis produisent 30.000 tonnes de drogues destinées essentiellement au marché intérieur, le plus grand nombre de laboratoires se trouve sur la côte est, en Floride. Les Etats-Unis ne sont pas cités par les rapports de l'ONU car ils sont considérés comme un pays qui n'exporte pas.

· Qui compte dans le trafic ?

Un pays peut jouer un rôle important dans le système de la drogue de trois façons: production, transit et blanchiment d'argent. Les grands pays producteurs des drogues sont peu nombreux, ce qui explique l'optimisme des grandes instances internationales comme l'ODC dans la lutte contre la production.

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N.B. : pour approfondir le sujet :

- Géopolitiques des drogues illicites, Hérodote 1er trimestre 2004. [Colombie, Mexique, Afghanistan, Afrique subsaharienne, Balkans, Mafia sicilienne].

- Drogues et politique, CEMOTI, n°32, 2001 [Chine, Triangle d'Or, Asie Centrale, Afrique subsaharienne, Pakistan, Albanie-Kosovo, Colombie, Etats-Unis]

- Alain Labrousse, Dictionnaire géopolitique des drogues, 134 pays. Bruxelles , De Boeck, 2002.

 

2. Comment ont évolué les réseaux de drogue

 

· Les réseaux mafieux se sont délocalisés et déconcentrés

· La carte des réseaux de drogue suit celle des intérêts des grandes puissances

 

Pour toute analyse de l'évolution géostratégique des drogues, il faut s'appuyer sur des flux de production de plusieurs années afin de déceler les tendances lourdes. Et il faut garder en mémoire que la drogue est particulièrement criminogène.

Au milieu des années 90, les grandes organisations criminelles spécialisées dans le trafic des drogues ont subi de fortes répressions: démantèlement des cartels colombiens, lutte contre la mafia italienne... Elles ont répondu en se décentralisant, en délocalisant leurs activités et en diversifiant leurs produits. Portée par le mouvement de la mondialisation, cette stratégie a crû leur capacité de pénétrer les structures économiques et politiques d'un certain nombre d'Etats.

L'impact géopolitique du trafic de drogues a été amplifié grâce à la multiplication des conflits locaux, effet pervers de la fin des antagonismes des blocs et des soubresauts provoqués par l'effondrement de l'URSS. Si les organisations terroristes ont davantage recours à des financements d'origine légale (charité, argent du pétrole...), les guérillas, qui ont perdu l'appui de leurs puissants protecteurs après la fin de la guerre froide, se financent désormais des profits des drogues. Cependant, les grands pays ayant proclamé la guerre contre la drogue comme priorité, sacrifient cette guerre au profit de leurs intérêts géostratégiques.

Les grandes puissances, les Etats-Unis en premier lieu, se sont posées comme leaders de la lutte contre la drogue.

Cependant, elles ont d'autres visées géostratégiques dans ces affaires.

Les Etats-Unis ont perdu leur base au Panama; le président du Venezuela refuse de collaborer avec les Américains. La Colombie est devenue pour les Américains, une zone stratégique dans la région.

Le même kilo de drogue peut financer les opérations de différents groupes. Il pourra par exemple financer ou aider à financer des conflits, comme il pourra aider économiquement des régions pauvres. Les revenus du trafic de drogues profitent en réalité davantage aux pays riches qu'aux pays producteurs, qui vivent tous des situations économiques et sociales difficiles.

 

· Cocaïne, le redéploiement contemporain

Le monopole de la production est entre les mains de trois pays: Bolivie, Pérou et Colombie. La division du travail de la production de cocaïne s'est beaucoup modifiée au milieu des années 90. Avant, la feuille de coca était produite essentiellement au Pérou (120.000 hectares), Bolivie (60.000 ha) et Colombie (20.000 ha). La transformation en produit final, le chlorhydrate, se faisait principalement dans les laboratoires de Colombie, pays plus développé, mieux situé et ayant une grande tradition en contrebande. Seuls 10 à 20% de la transformation se faisaient au Pérou et Bolivie. Les Colombiens utilisaient des petits avions afin de s'approvisionner la feuille de coca dans les forêts amazoniennes péruviennes et boliviennes.

Pour lutter contre le trafic, les Américains ont installé un système de radars dans la région. 26 petits avions ont été abattus en 1994 (contre 4 seulement en 1990). Ce système s'est révélé relativement efficace. A la fin des années 90, on ne comptait plus que 4.000 à 5.000 ha au lieu des 60.000 ha cultivés en Bolivie. Au Pérou, on est passé de 120.000 ha à 40.000.

En plus du démantèlement de certains cartels, comme celui de Cali, qui a cassé les réseaux du trafic, deux circonstances géopolitiques principales ont favorisé le plan américain:

1 - Au début des années 90, la guérilla maoïste du Sentier lumineux opérait quasi librement dans la région. L'armée péruvienne qui la combattait était corrompue et impliquée dans le trafic. Une fois le Sentier lumineux éradiqué ou très affaibli (en 1993), le pouvoir central a pu prendre le contrôle de la région et remplacer l'armée, trop corrompue, par la police.

2 - Le général Banser, l'ancien dictateur bolivien qui avait couvert la production de coca, a été élu démocratiquement en 1997. Pour faire oublier son passé, il s'est lancé dans une éradication forcenée de la culture en utilisant des défoliants, lesquels se sont avérés dévastateurs pour les végétaux.

Les paysans boliviens ne voyant plus les Colombiens venir acheter leur production, ont diminué leurs plantations et la production s'est effondrée. Les Colombiens, privés de leurs avions de transport, se sont trouvés ainsi contraints de développer la culture chez eux. La superficie est passée de 80.000 hectares à 160.000 en quelques années. Cette extension a conduit également à l'extension de l'influence des rebelles surtout des FARC et des paramilitaires de Colombie. Les FARC sont passés de 7.500 hommes environ en 1995 à plus de 17.000 aujourd'hui; les paramilitaires de 4.000 membres à 15. 000. L'intensité des conflits s'est considérablement accrue. Après le 11 septembre 2001, les Américains ont mis les organisations paramilitaires (qualifiées de «narco-guérillas») sur la liste des organisations terroristes. Le «plan Colombie» a alors été lancé et plus de 100.000 hectares sont aspergés régulièrement de défoliants, ce qui a réduit à 80.000 ha, soit de 50%, la zone cultivée en plants de coca. Pour échapper à la répression, les paysans ont déplacé et replanté leurs cultures dans d'autres régions. En Bolivie, la production s'est à nouveau développée et plus de 30.000 ha sont actuellement cultivés.

 

· Héroïne : Le grand jeu afghan

Malgré la lutte en amont sur les forêts cultivables, on saisit toujours autant de cocaïne sur les marchés. Aux Etats-Unis, sur les 300 tonnes importées annuellement, 113 tonnes sont saisies. En Europe, 50 tonnes saisies sur les 120 à 150 tonnes importées. De plus, la pureté de la cocaïne ne diminue pas.

Le plus gros succès de réduction de la production s'est produit en Birmanie: de 2.500 tonnes dans les années 90, on est passé à 400 tonnes en 2004. Mais cette réduction a été compensée par l'augmentation de la production de l'amphétamine (drogue synthèse) destinée principalement aux pays voisins comme la Thaïlande, mais aussi le Japon.

La production totale de l'héroïne a augmenté mondialement à cause des productions afghanes. En Afghanistan, on est passé de quelques centaines de tonnes avant le déclenchement de la guerre en 1979 (lorsque le pays était sous contrôle des gouvernements socialistes militaires) à quelque 800-1.000 tonnes/an tout au long de la guerre contre les Russes. Certes, les combattants (Talibans, troupes du commandant Massoud, celles des divers seigneurs de la guerre...) qui recevaient beaucoup d'armes (du Pakistan, des Etats-Unis, des pays du Golfe...), n'avaient pas besoin de l'argent de la drogue. Mais le fait que l'aviation communiste bombardat les cultures, a contraint les paysans afghans à se tourner vers la culture plus facile du pavot. L'armée pakistanaise et ses services secrets avaient le monopole de la livraison des armes fournies par les alliés de l'époque aux rébellions afghanes. Cette armée rapportait de l'opium, en échange des armes, et se servait de cette drogue pour financer les rebelles du Cachemire, lesquels étaient en conflit avec l'Inde, l'ennemi héréditaire du Pakistan.

C'est en 1994 que la première enquête des Nations unies a eu lieu en Afghanistan; elle a estimé la production locale à 3.400 tonnes d'opium/an. Il faut savoir que 6 kg d'opium donnent 1 kg d'héroïne plus ou moins pure.

En 1999, les Talibans victorieux ont poursuivi la politique lancée durant la guerre et ont même officialisé la zakat sur la production qui a atteint des quantités record: 4.600 tonnes d'opium, 700 tonnes d'héroïne pure. Il est donc faux de dire que les Talibans se sont opposés à la culture du pavot dès leur arrivée au pouvoir.

Devant la levée de boucliers internationale, ils ont réduit la production à 3.600 tonnes en 2000 et à la surprise générale, en août 2001, Mollah Omar a décidé d'interdire totalement la culture du pavot. La production est tombée à 150 tonnes dont la plus grande partie venait du territoire contrôlé par l'Alliance du nord, du commandant Massoud, en guerre contre les Talibans. Pour éradiquer la plantation des pavots, les Talibans ont usé de la rhétorique religieuse en disant aux paysans que «si le pays connaît la sécheresse depuis plusieurs années, c'est à cause de la plante impie». D'autres considérations peuvent aussi être avancées: la volonté des Talibans de se donner une bonne image mondiale pour récupérer le siège de l'Afghanistan à l'ONU (toujours entre les mains de l'équipe Rabbani, un des premiers chefs de guerre) ainsi que le renforcement de la position des radicaux qui entouraient Mollah Omar ( les mêmes qui étaient à l'origine de la destruction des bouddhas de Bamiyan). De plus, il n'est pas impossible que les trafiquants de drogue, qui sont en général de grands commerçants pakistanais, aient eu sur les bras des stocks qui risquaient de faire effondrer les marchés (il y avait eu deux récoltes record avant l'interdiction lancée par Mollah Omar). Ces commerçants auraient alors encouragé l'arrêt de la production et auraient financé le manque à gagner des Talibans.

En 2002, le président Karzay arrive au pouvoir, dans les valises de l'armée américaine. Bien qu'il ait interdit, lui aussi, les cultures, 3.500 tonnes seront produites au printemps 2002. En 2003, ce sont 4.400 tonnes malgré les très mauvaises conditions climatiques, qui passent sur le marché. En 2004, 135.000 hectares ont été mis en culture, la production de cette campagne devrait donc avoisiner les 6.000 tonnes, bien que le gouvernement afghan, mis en place par les alliés ait déclaré «le jihad contre la drogue». Toutes les provinces d'Afghanistan, même la zone chiite d'Hazâra, jusque-là épargnée, se sont mises à la production du pavot et de l'héroïne.

 

Hachich, pourquoi la lutte est-elle si molle?

Pour la première fois, nous avons des données fiables sur la culture et les réseaux générés par le cannabis. L'étude, validée par le gouvernement marocain, situe à 134.000 hectares la superficie cultivée en 2003, ce qui permet la production de 3.080 tonnes de hachich. 100.000 familles (soit environ 800.000 personnes) vivent de la culture du cannabis. Les revenus du trafic se repartissent ainsi: 214 millions de dollars pour les paysans, 10 milliards de dollars vont aux trafiquants, seulement 2 à 3 milliards de dollars restent dans le pays. Pour la première fois, un attaché de la police française a ouvert un bureau à Tanger. L'Europe ne s'implique pas suffisamment dans la lutte contre la production de cannabis. L'utilisation de défoliants comme en Amérique latine, conduirait inéluctablement 800.000 personnes à l'émigration interne alors que le Maroc ne peut tout absorber, une partie devra ainsi migrer vers l'Europe. C'est ce qui explique les craintes et les hésitations européennes. Le peu de médiatisation européenne sur la lutte contre le cannabis est dû à la peur de donner aux islamistes des arguments à travers lesquels ils mobiliseraient la population avec un discours de lutte contre le cannabis.

 

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