Reporters sans frontières L'organisation suit de près la situation de la presse au Maroc et demande l'intervention personnelle du roi (en français, en anglais et en espagnol)
Le Maghreb des droits de l'homme Ce site a pour but d'offrir une tribune à des associations oeuvrant pour les droits de l'homme dans le Maghreb en général (en français)
http://www.maghreb-ddh.sgdg.org/index.html
Association de défense des droits de l'homme au Maroc Le programme d'action 1999-2000 et l'actualité des droits de l'homme (en français)
http://www.maghreb-ddh.sgdg.org/asdhom/index.html
Hassan II dans les médias français Un site consacré à Hassan II et aux commentaires, contrastés, qui ont accompagné son règne (en français)
http://hassan2.online.fr/sommaire
MAROC : Silence ! On censure Dossier spécial de Courrierinternational.com (en français)
http://www.courrierinternational.com/dossiers/geo/maroc_censure/censure00.htm et
http://www.courrierinternational.com/numeros/526/4122000_fdj.asp?TYPE=archives
Vive la démocratie à la marocaine Article inédit dans les pages Afrique de "Courrier international" cette semaine.
http://www.courrierinternational.com/mag/Afr.htm
MAROC
"Demain"
Pourquoi "Demain" a-t-il été interdit ? Cest la question que se pose tout le monde au Maroc. Contrairement aux deux autres publications interdites, lhebdomadaire navait pas publié la lettre de Mohamed Basri et sétait contenté, comme les autres journaux, de la commenter. Et si les informations sur le trafic de drogue que distillait le magazine depuis quelques semaines avaient quelque chose à voir avec cette interdiction ? Au début, il y avait le silence. A Tétouan, grande métropole du Nord et important carrefour du trafic de drogue de cette région frontalière de lEurope, les gens se terraient et se taisaient. Comment peut-on parler dun sujet qui froisse les bonnes consciences, alimente Tétouan en investissements fructueux et fait peur à la majorité des habitants de cette ville, autrefois prospère grâce à lartisanat local, le tourisme et une petite et fière industrie locale. Tout aurait pu continuer ainsi si, le 4 octobre dernier, un important capo de la drogue, Rachid Wahid Temsamani, un Marocain installé en Espagne, navait pas été arrêté par la police ibérique en possession de 15 kilos de cocaïne, 12 tonnes de poudre de kif, 12 tonnes de résine de cannabis, 10 plaquettes decstasy et une très grosse quantité dargent. Avec lui, trente personnes ont été également arrêtées : des mafiosi italiens, britanniques et néerlandais, comme lécrivit la presse espagnole.
Du coup, Tétouan se réveilla douloureusement. Temsamani, illustre BME (beznass [commerce illicite] marocain à létranger pour paraphraser les RME, résidents marocains à létranger), était un notable de la ville. Et pas nimporte lequel. Richissime homme daffaires, président du club de football local, le Moghreb Athletic Tétouani, qui gagnait les matchs à coups de millions de centimes, il avait réussi à fuir le pays en 1995 quand débuta la campagne dite dassainissement, un violent coup de balai contre la corruption dans les sphères de léconomie nationale. En réalité, une opération particulière de mani pulite avait été savamment dosée pour préserver certaines figures de lestablishment financier national, encore intouchables aujourdhui. Tétouan se frotta encore les yeux quand elle apprit que le dénommé Temsamani nétait pas non plus un inconnu à Rabat, capitale du royaume. Le capo arrêté à Madrid était un proche de Haj Mediouri, lhomme à la petite moustache et au regard sévère, le chef de la Sécurité royale du temps de Hassan II et le tout-puissant président de la Fédération royale marocaine dathlétisme, vitrine du pays à létranger. Cest Haj Mediouri, aujourdhui à la retraite par la grâce de Mohammed VI, qui avait nommé devant un parterre de cadres médusés président de la Ligue du Nord dathlétisme un Temsamani rayonnant. Cest encore Haj Mediouri qui lavait proposé et fait décorer, en 1995, quelques mois seulement avant sa fuite précipitée, dun Wissam alaouite [léquivalent marocain de la légion dhonneur française].
Cest à ce moment quun ancien repris de justice, étroitement mêlé au trafic de drogue et paisiblement installé à Larache, une ville de la côte Atlantique à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Tétouan, décida de parler. Et de tout dire. Pour cet homme, qui a préféré garder lanonymat et qui craint logiquement pour sa vie, Temsamani avait été informé par un cadre local de la DST (Direction de la surveillance du territoire), aujourdhui à la retraite, de lavis de recherche qui allait être lancé contre lui. Cela lui avait permis de prendre contact avec un responsable des services secrets espagnols, le Cesid, qui, en échange de lui foutre la paix, exigea une pile de renseignements sur les tenants et les aboutissants des trafics en tout genre opérés entre lEspagne et le Maroc. La paisible retraite sur la Costa del Sol espagnole de Temsamani, délinquant activement recherché au Maroc et en Espagne, peut sexpliquer par un marché conclu entre le capo et les Espagnols. Dautant plus quun an après linstallation du premier dans le pays des seconds, un rapport extrêmement détaillé du Cesid sur les complicités haut placées des capos marocains fut distillé à la presse espagnole.
Lhomme de Larache vida encore son sac. Il affirmait quil y avait une étrange filière qui permettait à des hommes condamnés par la justice et recherchés par toutes les polices du Maroc de se présenter devant un juge de Tétouan et de se faire absoudre en deux temps trois minutes. Le cas le plus emblématique de cette Innocence Connection reste celui de Nordine Benazzouz, alias El Hayyati. Même aujourdhui, on ne se sait pas par quel miracle cet homme qui avait été condamné à dix ans de prison, en 1996, et qui était en fuite à Ceuta [enclave espagnole] a pu regagner le Maroc sans passer par la police des frontières - ni avoir à se présenter devant un procureur - et se faire absoudre quelques jours plus tard. Dautres personnalités dont les noms ont été donnés par "Demain" suivront la même filière. On dit même quau moment de son arrestation Temsamani comptait emprunter la même voie et rentrer au Maroc pour être blanchi. La découverte de cette filière - qui vaudra au directeur de "Demain" des menaces de mort de la part dEl Hayyati - ainsi que la publication de quelques informations démontrant, par exemple, comment il est possible deffectuer le chargement et le convoyage de la drogue des montagnes du Rif jusquau dépôt où elle embarque pour lEspagne, près de la côte, firent leffet dune bombe dans les milieux policiers et judiciaires de la ville. "Demain" révéla que la voiture qui escortait la drogue du pont de lentrée de Tétouan jusquà un dépôt était une Mitsubishi de la police. Elle le faisait pour le compte dune personnalité de la drogue parfaitement connue des services de police et qui avait de puissantes relations avec un individu appelé LEmpereur dans les bas-fonds. LEmpereur, et cest la principale découverte de "Demain", serait marié avec la fille dun colonel, un officier de larmée qui est affecté dans un service au coeur de lEtat. Un lieu au-dessus de tout soupçon.
Reste le menu fretin. Après notre enquête, on découvrit que lEmpereur et dautres compères louaient, à titre gracieux, des appartements à plusieurs magistrats importants de la ville. Exemple, cet adjoint du procureur général qui loge, gratuitement et depuis plusieurs années, dans un appartement de limmeuble Boutahoune, boulevard Hassan-II. Selon nos investigations, cet appartement appartiendrait à un autre chef de la drogue, un certain Laârbiti, un beznass détenu à Kénitra, qui, néanmoins, cherche depuis plusieurs mois à récupérer son logement.
Quelques jours avant son interdiction, "Demain" allait publier la transcription par un service de sécurité marocain de plusieurs conversations de personnes sous le nom de code de Gordo et Flaco, qui évoquaient dans leurs conversations les amitiés quils entretenaient sur les deux rives du détroit [de Gibraltar]. Des noms à faire frémir. Des petits, comme ces officiers de la police judiciaire qui soit trempaient dans le trafic de drogue, et dont lun aurait été relevé de ses fonctions et affecté depuis aux archives, soit offraient leur protection aux plus offrants des délinquants. Mais aussi des grands. Comme celui dun homme politique national, très apprécié en haut lieu, dit-on. Ou dautres, dont les galons les protègent des poursuites judiciaires.
Ali Lmrabet*
Courrier International n°528, 14-20 décembre 2000