Le Monde du 29.09.03
Le débat sur la dépénalisation du cannabis, qui provoque des divisions à droite comme à gauche, a fait, lundi 25 mars, son entrée dans la campagne électorale ? Dans une réponse écrite à des questions de l'AFP, Lionel Jospin a estimé que "fumer un joint chez soi est certainement moins dangereux que boire de l'alcool avant de conduire, pour soi et aussi pour autrui" tout en se déclarant opposé à "une dépénalisation du cannabis". "Ce que l'on appelle la 'dépénalisation' ne réglerait rien en matière de trafic de substances illicites. Pour ce qui est de la consommation, il s'agit avant tout de faire appliquer la loi de manière intelligente." Selon lui, "admettre la consommation de telle ou telle substance serait un mauvais signal en direction des jeunes". Le premier ministre en campagne ajoute qu'il ne "souhaite pas banaliser la consommation de cannabis". "Mais, je tiens à rappeler à quel point alcool et tabac sont également de terribles poisons à partir de certaines doses", conclut-il.
Lionel Jospin ne s'était presque jamais exprimé sur ce sujet, hormis, dans les mêmes termes, dans son livre d'entretiens avec Alain Duhamel, Le Temps de répondre (Stock). Ses réticences n'ont pourtant pas empêché le premier ministre de réaliser, en 1999, l' aggiornamento des politiques publiques sur la drogue et la toxicomanie, suivant en cela les appels de deux de ses ministres, Bernard Kouchner et Dominique Voynet. C'est sur la base du rapport Roques, publié en juin 1998, qu'ont en effet été redéfinies les orientations de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), présidée par Nicole Maestracci. Conformément aux souhaits formulés par Mme Maestracci dans une note d'étape, le plan triennal pour les années 1999-2001 a élargi les missions de la Mildt à la consommation excessive d'alcool, au tabagisme et à l'abus de médicaments. S'il concède "les bénéfices liés à un usage modéré et convivial" d'alcool et réaffirme que "la consommation de stupéfiants est et doit rester prohibée", le plan triennal entend, pour la première fois, s'adresser "à toutes les conduites addictives, quelle que soit la nature juridique du produit consommé".
"REPONSES PLUS DIVERSIFIEES"
Cette politique fondée sur la question de la dépendance et non plus seulement du produit, s'est accompagnée d'une plus grande tolérance à l'égard des simples usagers de drogues : le 17 juin 1999, Elisabeth Guigou, à l'époque garde des sceaux, diffusait ainsi une circulaire sur l'usage des stupéfiants invitant les procureurs de la République "à développer des réponses judiciaires plus diversifiées à tous les stades de la procédure" pour les usagers interpellés, "du simple rappel à la loi à l'incarcération, qui doit constituer un ultime recours".
Dressant le bilan des cinq années du gouvernement Jospin, le socialiste Bernard Roman, président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, appelait, il y a quelques semaines, la gauche à ne "pas avoir peur d'aborder le débat sur les drogues douces". "Il n'y a pas un lycée en France où l'on ne consomme pas de cannabis. Et les élus continuent de jouer la politique de l'autruche ! Comment voulez-vous que la jeunesse se reconnaisse dans la politique ?", s'inquiétait le parlementaire.
Depuis dix ans, toutes les enquêtes soulignent en effet que la consommation de cannabis, notamment chez les jeunes, ne cesse de progresser. Selon le rapport 2002 de l'Observatoire des drogues et toxicomanies, à 17 ans, 41 % des filles et 50 % des garçons en ont fait l'expérience, ce chiffre atteignant 60 % chez les jeunes hommes de 19 ans. Selon le "Baromètre santé 2000" publié par le Comité français d'éducation pour la santé (CFES), l'expérimentation du cannabis s'est donc largement développée mais sa consommation régulière ne s'est pas pour autant banalisée : parmi les consommateurs de cannabis de 15 à 44 ans, seuls 4 % sont des "usagers répétés" (au moins dix fois au cours de l'année mais moins de dix fois lors des trente derniers jours) et 3 % des "usagers réguliers" (au moins dix fois lors des trente derniers jours). Parmi les 18-25 ans amateurs de chanvre, 14,7 % sont cependant des consommateurs répétés ou réguliers.
DEBAT INEVITABLE
La prise en compte de cette réalité sociale et l'évolution des connaissances scientifiques relativisant la dangerosité du cannabis ont rendu le débat inévitable. Plusieurs candidats ont pris position, certains de longue date. Candidat des Verts, Noël Mamère regrette la "timidité" de Lionel Jospin. "Je propose la légalisation contrôlée du cannabis dans le cadre d'une politique de contrôle et de prévention des drogues douces : interdiction de la vente et de l'usage du cannabis aux moins de 16 ans, de la revente et institution d'un contrôle au volant, comme pour l'Alcotest." Même souci de "revoir la loi de 1970 et de légaliser le cannabis" chez Olivier Besancenot, candidat de la Ligue communiste révolutionnaire. Candidat du PCF, Robert Hue a inscrit en douzième place de son "contrat progressiste" "le remplacement de la loi de 1970, qui criminalise l'usage privé de drogue, par une loi de santé publique et une loi de répression du trafic et du blanchiment d'argent". Souvent interrogée sur ce sujet dans ses meetings, Arlette Laguiller (LO) répond que "l'idée de légalisation l'ennuie". "Je dis à ces jeunes de nous aider plutôt à construire un parti des travailleurs." Quant au Pôle républicain, réuni autour de Jean-Pierre Chevènement, il souhaite modifier l'échelle des peines encourues pour l'usage et le trafic, mais reste "tout à fait hostile à la 'dépénalisation' de l'usage des drogues dites douces".
A droite, contrairement à François Bayrou, opposé à la dépénalisation, Alain Madelin appelle à "sortir de la politique de l'autruche". Sans "supprimer l'interdit et la réglementation", le candidat libéral considère qu' "il n'y a rien de pire qu'une loi inapplicable et donc inappliquée". Porte-parole du candidat Jacques Chirac, Roselyne Bachelot a qualifié, mardi 26 mars, sur France 2, d' "hypocrite" et "alambiquée" la déclaration de M. Jospin : "Jacques Chirac est contre la légalisation des produits neurotoxiques à base de cannabinol. C'est clair, c'est carré."
Paul Benkimoun et Sandrine Blanchard