Série d'articles sur l'étude de l'INSERM.

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http://www.liberation.com/quotidien/semaine/20011122jeuw.html

Drogue douce, effets qui durent

L'Inserm évoque les risques de cancers liés à une consommation régulière de cannabis.

Par MATTHIEU ÉCOIFFIER

Le jeudi 22 novembre 2001

 

Le site de l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale).

Le site britannique du parti Legalise cannabis est consacré au combat pour la légalisation du cannabis.

Le site la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie.

Le dossier de la Commission européenne consacré aux problèmes de drogue en Europe.

 

Fumer un joint de temps en temps n'est pas bien méchant. Cela procure pendant deux à dix heures une euphorie, une sensation de bien-être, modifie la perception de l'espace-temps, et n'a jamais tué personne. Mais quid des effets à long terme sur la santé d'une consommation régulière (1) de cannabis? Ils sont incertains, mal documentés mais pas anodins. Rendue publique aujourd'hui, la première expertise collective de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur le sujet demande avec beaucoup d'insistance des «études complémentaires» sur les dangers des «effets différés».

Manière de mettre les pieds dans le plat alors que la consommation chez les jeunes se banalise: la moitié des adolescents de 17 ans ont expérimenté ce produit et, à 19 ans, un jeune sur six fume un joint quasi quotidiennement selon l'enquête Escapad, réalisée auprès de 14 000 jeunes lors de la journée d'appel et de préparation à la Défense (Libération du 24 février 2001). «L'impression de bénignité est due au fait que le cannabis, pris de façon occasionnelle, ne présente pas une toxicité immédiate. Cela nous a aveuglés pendant des années. On s'est aperçu que, du point de vue sanitaire, on connaît bien l'initiation au cannabis et mal les consommations régulières. Sur le long terme, les rares études dont on dispose sont assez effrayantes», révèle Jocelyne Arditti, toxicologue du centre antipoison de Marseille. «Il est ainsi suggéré que la prise répétée de cannabis est un facteur de risque de cancer des poumons chez les moins de 45 ans. Chez des jeunes fumeurs qui ne fument que du cannabis, on a décrit des cancers de la gorge, du larynx et de l'Šsophage. Mais ces travaux restent à valider.»

Doses. Ce risque cancérigène est dû au mode de consommation: la fumée de cannabis contient 50 milligrammes de goudron (contre 12 mg pour une cigarette). On y retrouve par ailleurs une grande concentration d'autres molécules cancérigènes. Pire, le principe actif du cannabis lui-même (Delta 9 THC) est bronchodilatateur: il favorise donc la rétention de goudrons dans les poumons. Résultat: plus le cannabis est fortement concentré ou goulûment inspiré, plus le risque s'accroît. «Or certains produits à la mode, comme le skunk ou le pollen, sont hyperdosés. Il faut savoir ce qu'on donne aux jeunes», plaide la toxicologue.

La survenue de «psychoses cannabiques» est l'autre danger pointé par l'Inserm. Quelques études menées chez des adultes socialement et affectivement bien insérés permettent d'affirmer qu'il existe un trouble psychotique propre à la consommation de ce produit. Ce trouble se déclenche lors de la prise de cannabis ou dans le mois qui suit. Aux allures de bouffée délirantes, il s'accompagne de fréquentes hallucinations visuelles et disparaît une fois traité aux neuroleptiques. Et ne concernerait qu'une quantité infime de consommateurs: 0,1 % selon une étude suédoise. «Sur ce point, il y a urgence d'en savoir plus, d'autant que les progrès de la neurobiologie ont permis d'identifier les récepteurs au principe actif du cannabis dans le cerveau», précise Jocelyne Arditti.

Doutes. L'Inserm ne tranche pas non plus sur le «syndrome d'amotivation» pourtant décrit par de nombreux médecins, parents ou jeunes fumeurs compulsifs. «Lorsque les adolescents découvrent le produit, certains trouvent parfois autre chose de plus intéressant à faire qu'aller en cours et ils redoublent, explique ainsi le Dr William Lowenstein, de l'hôpital Pompidou. Pour ces usagers chroniques, le risque c'est la baisse du seuil de contentement: on se satisfait de peu, comme de rester scotché devant la télé.» Aucune étude solide ne permet pour l'heure de généraliser ces observations, conclut l'Inserm.

«Disposer d'un socle de faits scientifiquement validés pour appuyer notre politique et nos actions de prévention» était pourtant l'objectif de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), commanditaire de ce rapport. «Or on s'aperçoit qu'on sait moins de choses qu'on le pensait», reconnaît Nicole Maestracci, sa présidente.

Pour et contre. Seule certitude: un tel constat sur les dangers «différés» du cannabis ouvre au gouvernement un boulevard pour reporter encore le chantier de la réforme de la loi de 1970 qui criminalise toujours le simple usage du cannabis. A le lire entre les lignes, le rapport de l'Inserm donne pourtant du grain à moudre aux tenants comme aux opposants de la dépénalisation. Les premiers feront valoir que ces risques s'apparentent à ceux de l'alcool (psychose délirante) et du tabac (cancer), ces drogues légales permettant par exemple à l'Etat de limiter le taux de goudron des cigarettes. Les seconds considéreront l'interdit comme une protection.

(1) «Régulière» signifie «10 fois et plus au cours des trente derniers jours».

Humeurs de fumeurs

«Le shit ralentit et démotive»

Abdou, 22 ans, informaticien à la recherche d'un emploi.

«Pour supporter certaines choses, j'ai besoin de fumer. Ça me donne un certain sang-froid. Par exemple, je suis moins agressif avec mes fréquentations qui débordent dans leur façon de plaisanter. Sans un "bedo" (joint) je les prendrais texto, mot pour mot. Le shit ralentit la vie. Mais ça démotive aussi. J'ai commencé vers 16 ans pendant les vacances. Il y a trois ans, j'ai eu une période sans boulot, et ça m'a enfoncé. A la fin, j'avais perdu sept kilos: tu penses tellement à ton bedo que t'as pas faim. Résultat, j'ai quitté mon secteur et je suis parti deux mois au Sénégal.

J'ai arrêté sec et, quand je suis rentré, j'ai retrouvé la motivation, j'ai eu des diplômes, le bac. C'est simple: soit c'est le bedo qui te gère, soit c'est toi qui gères le bedo. Avec une consommation restreinte le week-end, t'apprécies mieux. Y'en a que ça rend fou. Dans mon secteur, j'en connais deux qui ont perdu les pédales. L'un d'eux était très bon élève, maintenant il se balade en short en plein hiver, il bave.

En ce moment, je cherche un emploi. Quand j'ai une démarche importante, je m'abstiens. Je suis contre la dépénalisation. Si j'habitais la Hollande je serais foutu.»

Humeurs de fumeurs

«C'est le calme que je cherche»

Odile, 34 ans, parisienne, avocate.

Par MATTHIEU ÉCOIFFIER

«Je fume depuis l'âge de 14 ans. A cette époque c'était uniquement lors de sorties. En vieillissant c'est devenu plus régulier. Je fume toute seule chez moi. Il y a trois ans, j'ai perdu mon frère. J'ai pas mal bu, mais assez vite, j'ai remplacé par le cannabis. J'ai évité le Lexomil par peur de l'accoutumance. Je suis une fumeuse légère. Un seul joint le soir, quand je rentre ou dans mon lit: ça me calme, je bois moins et fume moins de cigarettes. Et je dors plus facilement. Le matin ça rend mou, c'est pas très motivant. Ce sont des jeunes de 25-30 ans qui m'en procurent. J'achète des bouts de 10 grammes à 500 francs qui me durent longtemps car je fume seule.

C'est le calme que je cherche, je n'aime pas l'herbe hollandaise qui te rend raide. Ne pas en avoir pendant quinze jours ne me rend pas hystérique. En vacances, je prends un gramme ou deux dans mes bagages. Je sais que ce n'est pas trop bon, mais je ne vois pas pourquoi j'arrêterais. Je suis pour la dépénalisation des drogues douces. Les mentalités ont évolué depuis quelque temps. Je n'en avais jamais parlé à mes parents et l'autre jour j'ai abordé le sujet à table: même mes grands-parents n'ont pas eu l'air offusqué.»

Humeurs de fumeurs

«Mon regard est à l'affût de tout»

Martin, 49 ans, chauffeur de taxi, Haute-Savoie.

Par MATTHIEU ÉCOIFFIER

«J'ai fumé mon premier shit en 1968 vers 15-16 ans. A l'époque, ça correspondait à la pop, à la musique rock, à une recherche du moment. Etant sujet au dérèglement, la fumette m'a sauvé de choses plus graves, peut-être d'une polytoxicomanie. Cela fait trente ans que je fume. Aujourd'hui, ma consommation minimum moyenne, c'est trois joints par jour. Ils m'arrondissent les angles, me détendent.

Je m'approvisionne surtout chez une famille d'amis d'Afrique du Nord. Ça me rassure sur la qualité. Pour la conduite, je n'ai eu aucun accident depuis douze ans que je suis taxi. Les seuls accidents de voiture que j'ai eus, c'était quand j'étais bourré à 20 ans. J'adore fumer avant de rouler quand j'ai des kilomètres à faire. Mon regard est à l'affût de tout. Si l'alcool diminue l'instinct de survie, le cannabis le renforce.

La dépénalisation je suis pour, ne serait-ce que pour supprimer le trafic. Il y aurait peut-être des abus au début, mais bien vite la consommation se régulerait. Moi qui me cache depuis trente ans, j'en achèterais trois fois moins si je n'avais plus la nécessite d'en stocker par peur d'en manquer.»

 

© Libération

 

http://www.liberation.com/quotidien/semaine/20011123veny.html

 

Cannabis : déminage ministériel

Kouchner embarrassé par les conclusions de l'Inserm.

Par MATTHIEU ECOIFFIER

Le vendredi 23 novembre 2001

 

Le site de l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale).

Le site la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie.

Le dossier de la Commission européenne consacré aux problèmes de drogue en Europe.

Le site britannique du parti Legalise cannabis est consacré au combat pour la légalisation du cannabis.

 

Exercice d'équilibrisme. Bernard Kouchner, ministre de la Santé, n'était pas ravi, hier, de présenter certaines des conclusions du premier rapport d'expertise de l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) sur les effets du cannabis. En particulier, celle-ci : «Une consommation chronique de cannabis pourrait augmenter le risque de certains cancers» (Libération d'hier).

Ce n'est pas le principe actif du cannabis lui-même qui est cancérigène, a assuré le ministre en substance, ce sont les goudrons contenus dans la fumée. Vu le nombre de joints fumés, l'impact sanitaire chez les jeunes est minime comparé à leur tabagisme, a-t-il ajouté. Tout en reconnaissant que «la majorité des gens qui se roulent des joints le font avec du tabac. Est-ce qu'on va leur dire : débrouillez-vous pour absorber du cannabis sans tabac ? Non, c'est compliqué». De même qu'il est compliqué pour le ministre de défendre une politique de prévention qui insiste sur le fait que les pratiques sont plus importantes que la dangerosité même du produit psychoactif. Tout en minimisant ces pratiques lorsqu'elles pourraient entraîner des risques sanitaires, comme c'est peut-être le cas de la fumette de shit qui se banalise à grande vitesse chez les adolescents. «Je vais encore passer pour un toxicomane à l'Assemblée nationale, je m'y suis fait...», prédisait hier Bernard Kouchner.

Protocoles d'essais. «On veut dire la vérité aux jeunes, ce qu'on sait et ce qu'on ne sait pas», a pour sa part estimé Nicole Maestracci, présidente de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie. Le cannabis «ne provoque pas de lésions irréversibles des neurones et la théorie de l'escalade de cette drogue vers d'autres est largement fausse», rappelle-t-elle. Selon Laurent Venance, neuropharmacologue au Collège de France, le principe actif du cannabis ne laisse aucune trace dans les synapses, une fois l'intoxication passée. Et n'atteint pas le système nerveux central, d'où son innocuité sur les fonctions vitales. De son côté, Bernard Kouchner a confirmé le lancement «en 2002» de cinq protocoles d'essais pour évaluer l'utilisation thérapeutique du cannabis. Notamment dans le traitement des effets de la sclérose en plaques et dans certaines indications contre la douleur.

 

© Libération


http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3226--246624-,00.html

  

Une étude de l'Inserm relativise les dangers de la consommation du cannabis

• LE MONDE | 22.11.01 | 10h41

, le cannabis est loin de présenter tous les dangers qu'on lui a prêtés : il n'y a aucun décès recensé après intoxication aiguë isolée, les signes somatiques aigus sont "souvent mineurs et inconstamment ressentis" et l'altération de certaines performances psychomotrices et cognitives est réversible. Ce sont les conclusions de l'expertise collective réalisée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), que Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé, et Nicole Maestracci, présidente de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, devaient rendre publiques jeudi 22 novembre. Elles viendront sans doute alimenter le débat sur l'éventuelle dépénalisation de l'usage de cannabis.

Fruit du travail d'un groupe de quatorze experts qui ont compulsé la littérature scientifique, ce rapport reprend les faits scientifiquement validés mais aussi les incertitudes concernant les effets du cannabis sur le comportement et la santé. Les experts de l'Inserm rappellent d'emblée que "le cannabis est le produit le plus consommé" parmi les drogues illicites.

FAIBLE DÉPENDANCE

L'enquête Escapad, réalisée en 2000 par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies chez 14 000 jeunes de 17 à 19 ans, indiquait qu'à 18 et 19 ans, 55 % des filles et 60 % des garçons avaient déjà expérimenté le cannabis. Certains étaient des consommateurs réguliers : en 2000, environ 15 % des garçons de 18 ans avaient consommé plus de quarante fois du cannabis. A cet égard, la France n'est pas une exception par rapport aux autres pays occidentaux.

Les données épidémiologiques sur l'abus et la dépendance sont cependant "encore fragmentaires". Si l'on en croit des études américaines, la dépendance au cannabis concernerait "moins de 5 %" de la population générale et serait "proche de 10 % chez les consommateurs". Une étude australienne fournit, elle, le chiffre de 1,5 % de sujets dépendants au sein de la population générale. Si l'on compare le cannabis aux autres produits psychoactifs, le lien de dépendance "est le plus faiblement observé pour le cannabis" : il est nettement plus faible que pour le tabac (40 % contre 87 %), précisent les experts de l'Inserm, qui ajoutent : "Dans deux cas sur trois, la dépendance au cannabis est modérée ou faible."

Au chapitre des effets sur la santé mentale, le rapport évoque une corrélation entre l'existence de certains troubles mentaux et la fréquence d'une consommation "répétée" de cannabis, sans préciser si l'usage précède ou non le trouble. C'est le cas chez les personnes atteintes de dépression majeure et de psychose maniaco-dépressive, qui sont, selon certaines études, pour 19,6 % et 64 % d'entre eux des consommateurs abusifs ou dépendants. Les scientifiques de l'Inserm s'interrogent sur l'existence d'une "vulnérabilité commune à la schizophrénie et à l'abus de cannabis" car les sujets "abuseurs ou dépendants au cannabis" présentent plus souvent des troubles schizophréniques (6 % contre 1 % dans la population générale, selon une étude).

Les effets pharmacologiques du cannabis sont essentiellement dus à une substance, le delta9-tétrahydrocannabinol, qui se distribue rapidement dans tous les tissus riches en lipides, principalement le cerveau. Cette grande "lipophilie" explique que le delta9 THC passe dans le lait maternel et à travers le placenta. Lorsqu'une femme enceinte consomme du cannabis, les concentrations dans le sang fŠtal "sont au moins égales à celles observées chez la mère", note l'expertise collective. Les auteurs du rapport souhaitent que la recherche des effets d'une exposition in utero sur l'enfant à naître soit "plus rigoureuse".

DES DOUTES À LEVER

Evoquant les conséquences sur la conduite automobile, les experts se montrent prudents : "Malgré la présomption de dangerosité du cannabis sur le comportement de conduite, il est encore aujourd'hui impossible d'affirmer, faute d'études épidémiologiques fiables, l'existence d'un lien causal entre usage de cannabis et accident de la circulation." Les études prévues par la loi Gayssot, qui viennent d'être lancées (Le Monde du 29 août), devraient permettre de lever ce doute.

Les scientifiques de l'Inserm sont plus affirmatifs en revanche sur la possibilité d'une augmentation du risque de certains cancers, touchant notamment les voies aérodigestives supérieures, du fait d'une "consommation chronique de cannabis".

Dans leurs recommandations, les auteurs de l'expertise souhaitent une meilleure adaptation des campagnes d'information et de prévention, selon l'âge et le sexe, selon les risques sanitaires immédiats ou à plus long terme, et selon les situations et pathologies particulières.

Les rédacteurs appellent également de leurs vŠux le développement des recherches afin d'éclairer les nombreuses zones d'ombre qui entourent les effets de la consommation et surtout de l'abus de cannabis.

P. Be.

Un débat ancien

 

 L'avis du Comité d'éthique. En novembre 1994, estimant que la distinction entre les drogues licites et illicites "ne reposait sur aucune base scientifique cohérente", le Comité national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé proposait une classification tenant compte de la dangerosité des différents produits.

 L'avis de la commission Henrion. En 1994, à une voix de majorité (9 sur 17), la commission présidée par le professeur Roger Henrion se déclarait favorable à la dépénalisation de l'usage du cannabis et de sa possession en petites quantités.

 Le rapport Roques. En juin 1998, le rapport du groupe d'experts présidé par le professeur Bernard Roques rejetait la distinction classique opérée par la loi entre les différentes substances psychotropes. Il les classait sur des bases scientifiques en trois groupes en fonction de leur dangerosité décroissante. Le premier groupe comprenait l'héroïne, les opiacés, la cocaïne et l'alcool ; le deuxième les psychostimulants (amphétamines), les benzodiazépines (médicaments anxiolytiques et hypnotiques), le tabac et les hallucinogènes ; le troisième, "en retrait", le cannabis.

 Le rapport du Conseil national du sida. Rendu public le 6 septembre, ce rapport recommandait la levée "de l'interdiction pénale de l'usage personnel de stupéfiants dans un cadre privé".

 

© Le Monde 2001

http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3226--246625-,00.html

  

Eric, fumeur occasionnel et sans complexes

• LE MONDE | 22.11.01 | 10h42

TÉMOIGNAGE"Je suis bien intégré, j'ai un bon job. Et tous mes amisen consomment"

ÉRIC EST INTERMITTENT du spectacle... et du cannabis. "Avant, je fumais tous les jours, mais lorsque je me suis mis à travailler, j'ai bien vu que les prises de décisions étaient moins rapides et que j'étais moins efficace." Ce jeune homme de vingt-huit ans travaille dans le cinéma depuis cinq ans en tant qu'assistant réalisateur sur des films français à gros budget. En jean, tee-shirt et baskets, il confie : "Je fume de temps en temps, environ deux fois par semaine, quand l'occasion se présente et que j'ai envie de partager quelque chose avec de bons amis." Il ne dépense qu'environ 100 francs par mois pour se procurer du cannabis car ce ne sont "pas toujours les mêmes" qui mettent la main à la poche. "Il est facile de s'en procurer, ajoute-t-il. On connaît tous un dealer, même sans le savoir !"

Eric, qui vit dans un arrondissement chic de la capitale, consomme le cannabis chez lui ou chez des amis "pour rester tranquille, discuter, se marrer, toujours entre potes". Fumer seul lui arrive "rarement". Il reconnaît cependant que, parfois, après une harassante journée de travail, il se roule un "petit pétard" pour se décontracter et bien dormir : "C'est la même chose qu'un verre d'alcool, mais je préfère fumer."

Son premier joint, Eric l'a allumé à l'âge de quinze ans, à l'internat. "Tout le monde fumait dans la chambre, et, le soir, une sorte de communauté se formait. C'était avec des Africains qui ramenaient de l'herbe du pays." Amusé, il arbore un large sourire et poursuit : "Elle était forte, et ça me faisait terriblement tourner la tête. Une fois, je suis même tombé du lit superposé sur lequel je dormais !" Treize ans plus tard, il affirme que fumer du cannabis ne lui a jamais posé de problème. "Je suis bien intégré, j'ai un bon job et je gagne bien ma vie. Tous mes amis en consomment et je suis étonné de voir que beaucoup de gens de quarante ou cinquante ans fument aussi."Il dit n'avoir "jamais entendu parler de morts ni de maladies causées par le cannabis, si ce n'est des problèmes de mémoire à court terme pour ceux qui abusent". Néanmoins lucide, il considère le cannabis comme une "drogue, au même titre que l'alcool, simplement parce que le comportement s'en trouve modifié et que ça permet d'aborder les choses d'une manière différente".

"ILS N'Y CONNAISSENT RIEN"

Les messages de prévention et d'information à destination des gens de son âge, "il n'y en a pas", assène-t-il. Remonté, il cherche des yeux le petit écran et continue : "L'information à la télévision sur le cannabis est bidon : ils feraient mieux de faire parler des fumeurs avec des scientifiques plutôt que des politiques qui n'y connaissent rien !" Pour lui, les journaux et les émissions racontent toujours la même chose : "On y parle des problèmes sociaux que cause le cannabis, mais pas de santé." Ainsi, évoquant les rares émissions de télévision qui traitent du cannabis, Eric affirme "qu'il s'agit surtout de débats qui permettent aux hommes politiques de se positionner et de drainer des voix".

O. M.

 

© Le Monde 2001

 

 

http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3226--246626-,00.html

  

"Tous les pays d'Europe convergent vers une approche pragmatique"

• LE MONDE | 22.11.01 | 10h42

"Pourquoi avez-vous jugé nécessaire de demander à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de réaliser une expertise collective sur les effets du cannabis sur le comportement et la santé ?

- Nous avons voulu, sur les sujets les plus controversés, disposer d'un état des lieux qui nous permette de parler à partir de connaissances scientifiquement validées. C'est ce que nous venons de faire également pour l'alcool avec l'expertise collective de l'Inserm (Le Monde du 21 septembre). Nous avons également mis en place, avec l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, des enquêtes épidémiologiques régulières. Avec ce type de démarche, nous pouvons mettre en évidence des faits que l'on ne perçoit pas à partir des seules données de l'activité des services de santé, de police et de justice. C'est indispensable pour mener une politique publique. Beaucoup de choses contradictoires ont été dites sur ce sujet dans un climat parfois particulièrement polémique. Nous voulions donc en finir avec le règne du "Moi, je pense...".

- Avez-vous été surprise par les conclusions de cette expertise collective ?

- Le plus étonnant n'est pas tellement ce que l'on apprend, mais plutôt le fait que l'on savait moins de choses qu'on pouvait le penser. S'agissant d'un produit ayant de nombreux expérimentateurs - plus de la moitié des jeunes de dix-huit ans en France - et malgré son caractère illicite, la méthode choisie a permis de documenter précisément les effets repérables du cannabis sur la santé. On peut en retenir que sur le plan des effets immédiats, le cannabis ne provoque pas d'accident grave mettant en jeu le pronostic vital, contrairement aux drogues de synthèse. Au niveau des effets à long terme, quelques études américaines mettent en évidence une élévation du risque de cancer broncho-pulmonaire chez les fumeurs réguliers. Restent les incertitudes à propos des effets sur le fŠtus au cours de la grossesse, des conséquences sur la conduite automobile, des rapports avec les troubles mentaux et ce qu'on appelle le "syndrome amotivationnel" chez des jeunes souvent en échec scolaire, qui est fréquemment rapporté par les professionnels, mais pas étayé scientifiquement.

- Ce rapport de l'Inserm n'éclaire que le versant sanitaire du problème. Comment l'intégrez-vous dans votre politique globale à l'égard du cannabis et dans le débat sur l'éventuelle dépénalisation de l'usage de ce produit ?

- Nous n'avions en effet sollicité cette expertise collective que dans le domaine des effets du cannabis sur la santé, à l'exclusion de l'évaluation de ce produit à des fins thérapeutiques, qui relève d'une autre discussion. Le travail de l'Inserm n'était pas non plus destiné à traiter des conséquences du développement de la consommation du cannabis sur le plan social ou en termes de sécurité. Il ne permet pas non plus de conforter ou d'affaiblir les partisans d'une éventuelle dépénalisation.

- Une évolution vers des législations plus souples n'est-elle cependant pas en train de se dessiner en Europe, y compris au Royaume-Uni où le gouvernement de Tony Blair prônait plutôt une ligne dure ?

- Toute l'Europe débat de ce qu'il convient de faire avec le cannabis et tous les pays convergent vers une approche pragmatique, car ils ont tous entre un tiers et la moitié de leurs jeunes qui ont déjà expérimenté le cannabis. En gros, l'attitude adoptée consiste à rappeler l'interdit, tout en prenant acte que le cannabis présente moins de danger que d'autres drogues comme la cocaïne, l'ecstasy ou l'héroïne. En conséquence, les sanctions de l'usage s'orientent de plus en plus vers des peines contraventionnelles comme au Portugal, en Espagne ou en Italie. Le Royaume-Uni et la Belgique s'orientent également dans cette voie. La France est donc dans une situation comparable à celle de ses voisins, sauf en ce qui concerne la possibilité d'incarcérer des usagers simples. En revanche, nous sommes plutôt en avance dans l'articulation de la politique de santé publique avec la justice, parce que toutes les personnes interpellées peuvent être dirigées vers des structures de soins.

- Cela n'empêche pas d'importantes disparités géographiques dans la sévérité des décisions. La France n'est-elle pas plutôt en retard dans ce domaine ?

- Pas vraiment. Des disparités géographiques existent dans tous les pays européens. Elles sont même plus importantes dans les pays comme l'Espagne ou l'Allemagne, disposant d'une autonomie régionale forte. Il existe cependant un consensus pour ne plus incarcérer les personnes pour simple usage. Il n'y a pas de loi parfaite. La meilleure sera celle qui fera suite à un véritable débat et recueillera l'adhésion de la majorité des citoyens.

- Quelle conséquence tirez-vous du fait qu'en France plus d'un jeune de dix-huit ans sur deux a expérimenté le cannabis ?

- Il faut à la fois hiérarchiser les risques et fixer les limites, c'est le rôle de la loi. Apprendre à gérer les risques, c'est le rôle de la prévention. Nous devons aussi apprécier la situation de manière globale. L'enquête européenne Espad, réalisée en 1999 auprès des jeunes scolarisés de quinze et seize ans a montré que si les jeunes Français sont les plus consommateurs de médicaments psychotropes et de cannabis, ils sont dans le même temps moins consommateurs d'alcool. Cela marque une rupture avec la génération de leurs parents. Cette enquête montre également une stabilisation, voire une baisse, de la consommation dans les pays où elle était plus élevée. Nous avons donc une marge de manŠuvre non négligeable. C'est à partir du moment où nous avons été capables de dire la vérité, c'est-à-dire d'expliquer aux jeunes que le cannabis n'était pas le produit le plus dangereux qu'ils ont commencé à nous écouter sur les dangers des autres produits."

Propos recueillis par Paul Benkimoun

 

© Le Monde 2001

 

 


Le Figaro

Cannabis : ni dramatiser, ni banaliser

L'expertise menée par l'Inserm conclut que cette drogue ne provoque pas de lésions irréversibles des neurones. La théorie de l'escalade vers d'autres drogues est par ailleurs largement fausse. L'étude montre également que la fumée du cannabis pourrait augmenter le risque de cancer.

Publié le 22 novembre 2001

La présidente de la MILDT (mission inter-ministérielle de lutte contre la toxicomanie), Nicole Maestracci, qui présentait les conclusions de l'"expertise collective" menée sur cette drogue par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), a estimé qu'en ce domaine, il fallait "éviter de dramatiser excessivement ou, au contraire, de banaliser excessivement".

Evoquant les retombées qu'aurait ce rapport en termes de prévention, Mme Maestracci a estimé qu'"il n'existait pas de message simple" et que ceux qui seraient éventuellement choisis seraient "plus complexes qu'un simple +non à la drogue+". L'expertise de l'INSERM, une synthèse des quelque 1.200 études scientifiques existantes, a été réalisée par des experts de différentes disciplines (toxicologues, neuro-pharmacologues, psychanalystes...), à la demande de la MILDT.

Outre des effets psycho-actifs et une altération réversible des performances psychomotrices et cognitives - déjà connus - l'étude de l'INSERM montre que la fumée du cannabis pourrait augmenter le risque de survenue des cancers des bronches, de la bouche, du pharynx, de l'oesophage et du larynx. Cette augmentation du risque s'expliquerait notamment par le mode de consommation du cannabis, souvent associé au tabac, ou fumé pur sous forme de marijuana. "Une cigarette de cannabis contient 50 mg de goudrons alors qu'une cigarette de tabac en contient 12 mg, et la concentration en produits cancérigènes de ces goudrons est également plus importante", relèvent ainsi les experts. En outre une substance, le delta9-tétrahydrocannabinol (D9-THC) - le plus abondant des soixante cannabinoïdes recensés à ce jour dans le chanvre indien - a des effets broncho-dilatateurs qui "pourraient favoriser la rétention de goudrons au niveau de la bouche, du pharynx, de l'oesophage et du larynx", selon les experts. "En elle-même, cette substance n'est cependant ni cancérigène, ni mutagène" (ne provoquant pas de mutations des cellules), a cependant affirmé jeudi une des spécialistes consultées par l'INSERM, la toxicologue Jocelyne Arditti, du centre anti-poison de l'hôpital Salvador à Marseille.

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COMMENTAIRE

Un choix politique

 Michèle Biétry

Qu’est-ce qui est le plus dangereux ? Le tabac, l’alcool ou le cannabis ? Les trois. Quel est le rapport qui détient la vérité scientifique ? Le rapport Roques qui, en 1998, mettait le tabac et l’alcool devant le cannabis pour la dangerosité ? Ou l’expertise collective de l’Inserm qui met en exergue la toxicité du cannabis ? Les deux. En son temps, l’Académie de médecine avait parfaitement énoncé le problème, en évitant le mot fatal de drogue, chargée d’émotion politique : « Comme pour toute substance pharmacologiquement active, la toxicité du cannabis dépend de l’importance, de la fréquence et de la régularité de sa consommation, ainsi que de la personnalité du consommateur.» On ne devient pas un alcoolique violent à la santé délabrée en buvant un verre de vin de temps en temps. Sauf malchance totale, une unique cigarette ne provoquera pas un cancer du poumon. Quelques joints de cannabis, même contenant le double de goudrons cancérigènes, ne provoqueront pas plus de tumeurs pulmonaires. Lorsque le ministre délégué à la Santé, Bernard Kouchner, se déclarait personnellement favorable à la dépénalisation de l’usage du cannabis au printemps dernier, il s’appuyait sur deux faits : en termes de santé publique, le cannabis fait moins de ravages dans la société que l’alcool et le tabac, et de plus en plus de jeunes fument des joints, donc le cannabis est entré dans les moeurs. Il avait raison, les sophismes sont toujours cohérents. L’erreur est de vouloir chercher une vérité absolue dans les statistiques qui, par définition, ne prennent en compte que des probabilités. Le choix est politique, uniquement politique. Et c’est en politique qu’il faudra expliquer pourquoi on traque les tabagiques, on fait la chasse à la publicité sur les alcools, et on tolérerait l’usage d’un autre toxique. Peut-être parce que c’est plus « fun » ? Mais surtout que l’on nous épargne la tarte à la crème de l’information qui permet de responsabiliser. Le « succès » des campagnes antitabac témoigne de l’efficacité de la méthode.

Le Figaro, 23/11/01, p.9.

 


Revue de presse de la MILDT

CANNABIS

« Quand l'herbe est blanchie » titre le Nouvel Observateur qui estime que l'expertise collective de l'Inserm sur le cannabis aboutit à la conclusion que « les produits tirés du chanvre indien sont des drogues vraiment très très douces. ».

L'hebdomadaire qui reprend les grandes lignes de l'enquête souligne « qu'aucun décès par overdose n'a jamais été signalé » que si cette drogue « détermine bien une certaine dépendance » celle ci « n'est pas de nature physique » et qu'elle s'avère « spontanément résolutive » à l'arrêt du cannabis. Quant aux symptômes de « l'ivresse cannabique » ils sont, souligne-t-il, « toujours réversibles » et n'entraînent « aucune séquelle ». Enfin, précise le magazine « l'usage de cannabis ne prédipose nullement au passage à l'héroïne, à la cocaïne, au crack ou autres drogues dures ». « Bref » résume Fabien Gruhier « c'est un authentique « brevet de drogue douce » que viennent de décerner les chercheurs de l'Inserm aux dérivés de Cannabis sativa indica, alias chanvre indien ». Le journaliste qui estime que les chercheurs ont fait la synthèse de 1200 études scientifiques « sans réussir à y débusquer quoi que ce soit de vraiment très affolant pour les millions de jeunes consommateurs plus ou moins occasionnels d'herbe » apporte néanmoins cette nuance « on ne peut certes pas en conclure que l'usage du cannabis soit une pratique tout à fait anodine » pour préciser que selon l'expertise « peu de données existent (.) sur les produits associés provenant du mode de culture (pesticides) ou du mode de préparation (colorants (.) ».

Soulignant que les produits du cannabis « sont indicutablement cancérogènes », le journaliste indique que toutefois « il est très difficile d'en distinguer les effets de ceux du tabac habituellement fumé avec les feuilles de chanvre » et que par ailleurs si « on trouve davantage de schizoprènes parmi les usagers du chanvre » on peut se demander « comme pour l'ouf et la poule ou est la cause ? ou est l'effet ? ». Selon lui les experts « ne semblent pas trop croire » non plus au caractère « un peu préjudiciable de passer une partie de son temps dans les brumes cannabiques à l'âge de la scolarité » puisqu'ils ils « demandent de poursuivre les travaux » « sur des « populations importantes » afin de pouvoir discerner « des effets limités » ».

Evoquant enfin d'autres effets du cannabis « allégués par de rares études » comme la diminution des spermatozoïdes, les cycles sans ovulation, ou la psychose cannabique, il juge qu'il sera « bien difficile de (les) mettre en évidence ». Il estime toutefois « raisonnable de conseiller l'abstinence aux futures mamans et plus encore aux automobilistes ». En revanche , pour lui les bénéfices thérapeutiques du cannabis « à peine effleurés par le rapport de l'Inserm » restent « une piste passionnante à explorer d'urgence ».