Amériques

COLOMBIE La guérilla impose ses conditions au gouvernement pour négocier la paix

Le président colombien a la foi. Deux mois après son investiture, Andrés Pastrana a réussi à entamer des négociations avec les FARC et l'ELN. Il se dit certain de parvenir à un accord en l'an 2000.

El País

Madrid

DE BOGOTA

Andrés Pastrana est un véritable homme-orchestre. Depuis son entrée en fonctions, le 7 août dernier, le président colombien exécute plusieurs partitions à la fois, à un rythme endiablé. La deuxième semaine d'octobre ont débuté les pourparlers avec l'Armée de libération nationale [ELN, communiste]. Objectif : "humaniser" la guerre. Les négociations avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie [FARC, proches du PC colombien], le premier groupe de guérilla, s'ouvriront le 7 novembre. Parallèlement, au Congrès, les parlementaires examinent la réforme fiscale et la réforme politique, cette dernière devant accorder au président des pouvoirs extraordinaires en vue desdites négociations. Tout ce déploiement de moyens n'a qu'un seul but : mettre fin à une guerre civile qui dure depuis un demi-siècle et, ainsi, la paix revenue, éliminer la culture de la coca, source d'avilissement pour ce beau pays potentiellement prospère.

Depuis sa victoire du 21 juin, le leader conservateur ne s'est pas accordé un moment de répit.Rien ne décourage un président convaincu que la paix est possible. Pourtant, l'ELN et les FARC ne se sont même pas engagées à respecter une trêve, pas plus qu'elles ne rendront les armes, même si la paix est signée. Ces groupes veulent échanger avec l'Etat plusieurs centaines de prisonniers et vont même jusqu'à exiger, sans sourciller, la cession de territoires où ils jouiraient d'une souveraineté de droit (qu'ils exercent déjà de fait).

"La paix a davantage d'ennemis que d'amis dans notre pays"

"Au fil des négociations, ils finiront par changer d'avis. Et puis, j'aimerais que ce soit clair, personne ne m'a jamais imposé les moindres conditions. On ne m'a jamais parlé d'échanges de prisonniers ou de revendications territoriales. Ce que cherche à obtenir la guérilla, c'est un espace politique, moyennant quoi elle est prête à éradiquer les cultures de coca dans les zones où elle opère - et où elle vit -, à savoir la plus grande partie des 100 000 hectares cultivés dans le pays. Parce qu'elle veut démontrer qu'elle n'est pas une narcoguérilla", indique Pastrana. Et pourquoi maintenant plutôt que pendant les trente dernières années ? 000 kilomètres carrés [équivalant à la région Aquitaine], ce qui revient à reconnaître que la guérilla constitue de fait un Etat dans l'Etat. Sans doute faut-il voir là une allusion au fait que la Constitution de 1991 interdit l'amnistie de détenus condamnés pour des "crimes atroces" ou pour des enlèvements. C'est le cas d'une partie des quelque 450 prisonniers des FARC, dont la guérilla exige la libération en échange des 250 soldats et policiers qui sont entre ses mains. "Nous examinerons tous les cas l'un après l'autre. Et je me servirai des pouvoirs que me concède la réforme politique." Cela étant, dans la mesure où ils ont souvent commis des "crimes atroces", tous les prisonniers que les FARC estiment échangeables ne pourront pas être libérés - du moins jusqu'à l'adoption de la réforme et un amendement constitutionnel.

"Nous avons besoin d'aide pour éradiquer la culture de la coca"

Andrés Pastrana devait se rendre fin octobre en visite officielle aux Etats-Unis. Il a beaucoup d'explications à donner sur des négociations qui impliquent pour ainsi dire une légitimation de la narcoguérilla. ? Mais d'où va venir l'argent ? On sent là un enthousiasme communicatif qui n'est pas sans rappeler Tony Blair, l'homme de la "troisième voie". Pastrana veut ainsi insuffler un nouvel espoir à un pays qui croyait avoir tout entendu. Cent jours après son entrée en fonctions, l' "incorrigible" président n'a pas perdu la foi, les guérilleros non plus.

M. A. Bastenier

Courrier International

29/10/1998, Numero 417

 

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http://www.lemonde.fr/article/0,2320,seq-2286-92622-QUO,00.html

 

Le gouvernement colombien et la guérilla devraient négocier les modalités d'un cessez-le-feu

Les affrontements violents se poursuivent et la société civile se mobilise

Marie Delcas, le Monde daté du jeudi 7 septembre 2000

 

BOGOTA de notre correspondante

« Nous voulons un cessez-le-feu sérieux, clair et solide pour que son éventuelle rupture ne mette pas en danger le processus de paix avec la guérilla », a déclaré, mardi 5 septembre, le chef de l'Etat colombien, Andrés Pastrana. Reprenant l'image de son commissaire pour la paix, M. Pastrana a insisté : « Il ne faudrait pas qu'un coup de feu tiré par un soûlard fasse capoter le processus de paix ». Samedi, à l'issue d'une réunion de trois heures, délégués du gouvernement et représentants du principal mouvement de guérilla, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), s'étaient mis d'accord sur la date du 22 septembre pour commencer à discuter d'un éventuel cessez-le-feu.

L'ouverture de négociations officielles sur l'arrêt des combats a été annoncée, alors que des affrontements particulièrement meurtriers opposaient la guérilla et l'armée. Au cours de la semaine dernière, ceux-ci auraient fait plus d'une centaine de victimes, selon les chiffres officiels et les informations diffusées localement. Mardi, le général Mora, commandant en chef de l'armée de terre, a confirmé la mort de plus de cinquante guérilleros et de quinze militaires dans le département du Risaralda (400 km à l'ouest de Bogota). « Les habitants de la région affirment que la guérilla a perdu 72  combattants », a précisé le général. Le conflit armé a aussi touché, dans le sud-ouest du pays, les départements du Narino et du Cauca. Vendredi soir les FARC y ont pris d'assaut la prison de la petite ville de Caloto, permettant la fuite de soixante-quatre détenus. Sur la côte caraïbe, à quelque 1 200 km au nord de la capitale, Bogota, la guérilla a attaqué, samedi, le village de Tomarrazon : les sept policiers, chargés d'y assurer la sécurité, ont été tués.

Exprimées à l'occasion du voyage de M. Clinton, mercredi 30 août, les craintes d'une recrudescence de la violence armée sont elles en train de se confirmer ? Cette question obsède les Colombiens. La guérilla cherche-t-elle à montrer sa force avant l'arrivée de l'aide militaire américaine, et avant les négociations pour la paix ? Cette hypothèse est celle des plus optimistes. « Moi, je ne crois plus à cette thèse. Depuis que je suis dans ce pays, j'entends dire que la guérilla veut arriver en position de force à la table des négociations », ironise une Chilienne, installée depuis plusieurs années à Bogota.

  APPEL À MANIFESTER

Le 3 juillet, gouvernement et FARC avaient échangé, sous enveloppe fermée, leurs propositions respectives en vue d'une cessation des hostilités. Faute d'un accord de paix général, le cessez-le-feu est réclamé avec insistance par la « société civile » - ces dizaines d'associations, locales et nationales et d'organisations non gouvernementales qui militent en faveur de la paix. Elles en ont fait le thème central de la Semaine pour la paix, lancée dimanche et organisée cette année autour du slogan : « Défendre la vie pour construire la paix ». Cent cinquante organisations, parmi lesquelles le mouvement « Ça suffit ! », ont appelé la population à manifester, dimanche 10 septembre, dans tout le pays.

L'armée et la guérilla se disent favorables à la paix mais divergent sur les conditions d'un accord. Pour la guérilla, le texte devrait stipuler l'arrêt bilatéral et temporaire des « actions militaires offensives ». Il pourrait être signé rapidement, et périodiquement renouvelé, si le gouvernement prennait des mesures décisives pour lutter contre la pauvreté. Pour le gouvernement, il est exclu de laisser les populations civiles exposées aux exactions de la guérilla et un cessez-le-feu suppose que les FARC mettent fin aux extorsions de fonds et aux enlèvements avec demande de rançon. Comme le conflit lui-même, l'arrêt des hostilités met en présence deux logiques opposées, deux visions différentes des priorités du pays.