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L'Humanité - 04 Septembre 2000 - TRIBUNE LIBRE

Pour la Colombie

Le 30 août dernier, jour de la visite du président américain Bill Clinton en Colombie, 750 poètes et écrivains, de 105 pays, ont rendu publique leur opinion sur la guerre civile qui ravage ce pays depuis trente-six ans. Précédée d'une citation de Lao Tseu - " Celui qui se repaît des tueries ne verra jamais son ouvre se réaliser " -, la lettre ouverte, intitulée " La grande perdante, c'est la vie ", a été envoyée aux " dirigeants du monde entier ".

" La presse internationale a rapporté que, ces derniers jours, le gouvernement des Etats-Unis avait doté le gouvernement colombien d'une flotte d'hélicoptères ; ce geste prolongerait une guerre civile de plusieurs décennies, qui se solde par des centaines de milliers de morts. Nous considérons ce don comme une perte de temps et d'opportunité, d'espace de dialogue, et surtout de vies humaines. C'est, une fois encore, la vie la grande perdante, à cause de politiques qui négligent les besoins immédiats d'une nation. Combien de belles cultures ont disparu dans d'interminables confrontations armées ? Et, à travers des processus éducatifs qui déforment l'être humain, combien de peuples et de civilisations dont ne subsiste que l'écho sourd de leur nom n'existent plus, conséquence des errements de l'esprit ?

La Colombie subit la guerre la plus ancienne et la plus impitoyable de ce continent. Nous connaissons les causes séculaires de pauvreté et d'injustice sociale qui ont, sans répit, alimenté cette souffrance. Et nous essayons, également, de comprendre les motifs qui empêchent que le dialogue et la raison s'imposent aux forces aveugles qui la prolongent. La poésie, au sens le plus large, participe de la formation et de l'histoire de l'être humain. La guerre jette une ombre sur cette formation, tranche le fil de son histoire. Et la globalisation, qui ne respecte pas les traditions culturelles, nous sépare des principes et de l'origine de la vie. La poésie affaiblit les forces du mal et renforce l'esprit.

Nous, poètes et écrivains de 105 pays, de cinq continents, engagés du côté de la dignité de l'homme, voyons un peuple qui aime la beauté de manière émouvante. Nous interprétons cet amour comme un rejet des tueries et de la guerre. C'est pourquoi nous envoyons cette lettre ouverte aux gouvernants du monde; et nous adressons cet appel aux poètes, aux écrivains, aux penseuses et penseurs de notre temps. Il convient d'affermir le dialogue et le processus de paix en Colombie, afin que la guerre se résolve par des moyens sensés et pacifiques, et débouche sur une paix vitale et nécessaire aux Colombiens. "

(*) Parmi les premiers signataires : José Saramago, Wole Soyinka, Peter Weiss, Joaquim Sartorius, Juan Gelman, Luisa Futoransky, Mempo Giardinelli, Leon Ferrari, Luis Sepulveda, Santiago Mutis, Homero Aridjis, Graciela Montes, Liliana Hecker, Augusto Monterroso, Elena Poniatowska, Mario Benedetti.

Lundi 4 Septembre 2000