Trois questions à Alejo Vargas

Le Monde daté du 23 septembre 1999

 

1 L'économiste Jesus Antonio Bejarano, professeur de l'Université nationale, dont vous êtes le vice-recteur, a été assassiné le 15 septembre à Bogota. Que signifie ce crime pour l'université publique colombienne ?

Le fait que le professeur Bejarano ait été assassiné dans les locaux de l'université a très certainement une valeur symbolique. L'université, lieu de débats, devient un champ de bataille : la neutralité n'est plus possible, les idées deviennent dangereuses et la polarisation de la société inévitable. Beaucoup de Colombiens - parmi lesquels nombre d'universitaires - ne se sentent pas encore concernés par le conflit qui déchire notre pays depuis quarante ans. L'assassinat de M. Bejarano nous rappelle brutalement qu'il est, aujourd'hui, impossible et dangereux de prétendre rester à l'écart de cette guerre larvée. Au-delà des initiatives personnelles, l'université, en tant qu'institution, doit assumer ses responsabilités et jouer un rôle actif dans la recherche de la paix.

2 Saura-t-on un jour qui a tué Jesus Antonio Bejarano ?

Extrême gauche armée ? Extrême droite armée ? Ou même délinquance commune ? Nous n'en savons rien, nous n'en saurons probablement jamais rien. Malgré les efforts certains des autorités, le taux d'impunité en Colombie reste terrifiant. Les criminels savent qu'ils peuvent agir sans crainte de sanctions. Dans plus de 90 % des cas, les crimes ne sont pas punis. Il y a là un facteur très grave d'incitation à la violence et de perte de crédibilité des institutions. L'impunité reflète la traditionnelle incapacité de l'Etat à réguler les relations sociales et les conflits.

 

3 Alors que des chercheurs quittent le pays, quelles mesures envisagez-vous pour garantir la sécurité des professeurs et des étudiants ?

La communauté universitaire, inquiète, a toutefois réagi avec calme. Aucun professeur n'a abandonné le pays. Attention aux rumeurs, qui sont parfois plus terroristes que les faits eux-mêmes. Le Conseil supérieur de l'université réfléchit actuellement aux actions qui permettront de concilier la sécurité de la communauté universitaire et la nécessaire liberté qui doit régner sur le campus. Nous voulons travailler sur le long terme, sur les comportements culturels. Nous réfléchissons donc au concept d'identité, de réseau de solidarité et de contrôle social. Si l'Etat est incapable de le faire, c'est tous ensemble que nous assurerons notre sécurité . Développer des mécanismes de conscience et d'action collectifs au sein de l'université permettra d'éviter le recours à des méthodes policières.

  Propos recueillis par Marie Delcas