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•LE MONDE 26.02.03 13h30

Les narcotrafiquants mettent le carnaval de Rio sous tension

 

Rio de Janeiro de notre correspondant

A l'évidence, les narcotrafiquants de Rio, qui règnent sur la plupart des 650 favelas de la ville, font étalage de leur "pouvoir parallèle" en fonction de dates soigneusement choisies. Ainsi, quelques jours avant les deux tours de la dernière élection présidentielle, organisés les 6 et 27 octobre 2002, ils avaient déjà tenté de semer le chaos par des vagues d'attentats - dont le mitraillage du palais du gouverneur de l'Etat de Rio - assortis de manŠuvres d'intimidation visant la fermeture des commerces et des établissements scolaires. Au grand désespoir des agences de tourisme, ils viennent de récidiver à l'approche du carnaval, à l'heure où Rio s'apprête à recevoir 400 000 visiteurs.

Depuis lundi 24 février, la "cité merveilleuse" montre l'envers de son décor de carte postale. Selon un scénario désormais bien rodé, les malfaiteurs se sont préférentiellement attaqués au précaire système de transports publics en incendiant au cocktail Molotov une trentaine de bus en deux jours.

D'autre part, une fusillade entre policiers et tireurs embusqués aux abords d'une gare a fortement perturbé, lundi, le trafic ferroviaire vers les banlieues. Sans faire de victime fatale, la démonstration de force du crime organisé s'est également illustrée par quelques pillages organisés de supermarchés, l'explosion d'engins de fabrication artisanale de faible puissance, ainsi que par le mitraillage de boutiques restées ouvertes en dépit des mots d'ordre de lock-out lancés par les narcotrafiquants dans une douzaine de quartiers, y compris les plus huppés de la "zone sud", tel Ipanema.

OPÉRATION DE DÉSTABILISATION

Déployés aux points névralgiques, 16 000 policiers militaires s'efforcent de rétablir l'autorité bafouée des pouvoirs publics. Ils ont interpellé 41 suspects et occupé neuf favelas de la Baixada Fluminense, les faubourgs populaires qui jalonnent l'autoroute menant à Sao Paulo. En mauvaise posture, le gouverneur de Rio, Rosinha Garotinho, se dit favorable à la participation de l'armée au maintien de l'ordre.

Mais qui tire les ficelles de cette opération de déstabilisation ? Josias Quintal, le secrétaire à la sécurité publique, accuse le "Commandement rouge", la faction dominante du narcotrafic carioca, dont le leader est le célébrissime Fernandinho Beira-Mar, roi de l'évasion et petit malfrat de banlieue devenu éminence de la drogue en troquant des armes contre de la cocaïne avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Blessé et capturé par l'armée colombienne en avril 2002, et incarcéré dans un quartier de haute sécurité de Bangu 1, dans la lointaine banlieue de Rio, ce caïd est notoirement mécontent de ses rigides conditions de détention. Grâce à des troupes aux ordres et capables d'agir sur plusieurs fronts, il vient de nouveau de le faire savoir "en prenant la ville en otage", selon la presse locale.

Tout comme ses prédécesseurs, le gouverneur n'envisage qu'une solution durable au défi du chef de gang : son transfert dans les meilleurs délais, comme il en est question depuis des mois, dans un centre de réclusion fédéral, en Amazonie ou dans le district fédéral de Brasilia.

Jean-Jacques Sévilla

•ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 27.02.03

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