Le grand nettoyage des députés brésiliens contre les mafias

Trafic de drogue, grand banditisme, assassinats de personnalités... Les révélations explosives se succèdent.

Par CHRISTIAN DUTILLEUX

Le mardi 7 décembre 1999

Dans l'Etat d'Acre,les enquêteurs évoquent 200 assassinats.

Au Maranhão, une cinquantaine. Dans le Piauí, pas moins de dix maires auraient été éliminés par la mafia.

 

Rio de notre correspondant

Pour la première fois, une véritable mafia est en train d'être mise à jour grâce aux travaux d'une commission d'enquête parlementaire brésilienne sur le trafic de drogue. Le trafic de cocaïne et le grand banditisme ne sont pas des actes isolés, perpétrés par une mosaïque de quadrilhas, de bandes de petits truands, comme l'imaginaient les Brésiliens : les députés-enquêteurs ont en effet révélé les liens entre des organisations criminelles répandues dans tout le pays. Selon le quotidien Estado de São Paulo, 13 des 27 Etats de la fédération auraient ainsi été «contaminés», 59 personnes ont été arrêtées.Parmi les personnes inculpées se trouvent des députés, des policiers, des hommes d'affaires, des juges, bref, du beau linge.

Tous azimuts. Depuis des semaines, les 22 membres de la commission d'enquête occupent la «Une» de l'actualité et utilisent pleinement leurs importantes prérogatives. Ainsi les députés ont décrété la levée du secret bancaire, fiscal et téléphonique de 192 suspects et de 63 entreprises soupçonnées de complicité. La commission convoque qui bon lui semble à déposer sous serment et, en cas d'aveux ou d'indices jugés probants par les députés, la personne interrogée est arrêtée sur-le-champ et quitte la salle menottes aux poignets. La commission parcourt le pays de part en part, suivie par une caravane de journalistes.

Les gouvernements des Etats de Rio, d'Acre, du Mato Grosso do Sul, l'assemblée législative de l'Etat du Maranhão, des juges d'instruction, la police fédérale et plusieurs polices locales mènent aussi leurs propres enquêtes. Le flot d'informations, de chiffres et d'accusations, souvent approximatives, est difficile à trier. Dans l'Etat d'Acre, les enquêteurs évoquent 200 assassinats. Au Maranhão, une cinquantaine. Dans le Piauí, pas moins de dix maires auraient été éliminés par la mafia. Un chauffeur repenti avoue, à lui seul, avoir conduit, pour le compte de ses chefs, 89 camions volés en Bolivie où ils étaient échangés contre de la cocaïne.

Bras armé. Aux mains de notables locaux, ces organisations dominaient chacune le territoire d'un Etat, à l'instar des polices militaires. Vouées en principe au maintien de l'ordre, celles-ci se sont transformées, dans certains cas, en bras armé de la mafia locale. Ces gangs négociaient entre eux des stocks de cocaïne, d'armes et de cargaisons volées. L'existence d'un commandement centralisé n'est pourtant pas encore établie.

Le témoignage d'un repenti, Jorge Meres, confirmé par les enquêtes, a permis d'établir un premier lien entre les mafias locales. Hildebrando Pascoal, un «narco-député» récemment arrêté, a financé la campagne électorale du maire de Nova Olinda, une petite ville aux confins du Nordeste et de l'Amazonie, pourtant située à 2 000 kilomètres de son fief politique, l'Acre. Le député régional José Gerardo de Abreu, accusé d'être le «capo» de l'Etat du Maranhão (arrêté lui aussi), y possède une ferme, dotée d'une piste d'atterrissage clandestine, idéale pour le transport de la drogue. Selon le repenti Meres, celle-ci était échangée contre des camions en Bolivie. Les cargaisons volées étaient, elles, écoulées dans l'Etat voisin du Piaui, sous le contrôle du présumé parrain local, le colonel de la police militaire, aujourd'hui emprisonné, José Viriato Correia Lima.

Incontrôlable. Les témoignages font aussi remonter à la surface une série d'assassinats de personnalités non élucidés, comme celui du bras droit de l'ex-président Collor, Paulo Cesar Farias, en 1996, et celui d'un gouverneur d'Acre, Ottomar Pinto, en 1990. La dynamique des enquêtes est devenue incontrôlable, aux conséquences totalement imprévisibles.

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