Les Brésiliens et leur police

 

Le Monde daté du jeudi 22 juin 2000

« AU SECOURS ! », implorait Veja, en couverture de son édition du 7 juin. Le premier hebdomadaire généraliste du pays relevait, entre autres indicateurs alarmants sur l'évolution de la criminalité, qu'un homicide est commis désormais toutes les 13 minutes au Brésil. Marquée par une forte recrudescence de « balles perdues » fatales à d'infortunés passants pris dans le feu croisé quotidien entre policiers et bandes de narcotrafiquants, la nouvelle vague de violence vient, de surcroît, d'accoucher d'une effroyable bavure policière, dont l'onde de choc a rapidement atteint le palais présidentiel de Brasilia.

Pour Veja, cette lamentable affaire est le fruit de « la rencontre dramatique entre un bandit dément, un policier imprudent et une jeune innocente » : l'intervention hasardeuse d'un policier d'élite du Bataillon des opérations spéciales (Bope) de Rio s'est en effet soldée, lundi 12 juin, au cours d'un braquage de bus qui a tourné au cauchemar pour la dizaine de personnes retenues en otages, par la mort d'une jeune passagère, froidement abattue en représailles par l'auteur solitaire de l'attaque. Pendant quatre heures, les télévisions ont suivi en direct les vociférations, souvent inintelligibles, d'un jeune homme noir d'une vingtaine d'années, portant tresses rastas et vraisemblablement drogué, appliqué à terroriser, sous la menace de son revolver, des otages livides.

Après avoir assassiné, de trois balles dans le dos, l'institutrice Geisa Gonçalves, âgée de vingt ans, l'assaillant a été capturé indemne. Il a néanmoins succombé à une « asphyxie » au cours de son transfert à bord d'un fourgon de police, vers un commissariat. Malgré les pressions exercées par les policiers, l'Institut médico-légal de Rio s'est refusé à altérer les résultats de l'autopsie. Le preneur d'otages, Sandro de Nascimento, surnommé Mancha (« tache »), serait un des enfants survivants du massacre, perpétré une nuit de juillet 1993, près de la cathédrale de Candelaria, au centre de Rio, au cours duquel huit enfants de rue, endormis sous des porches, périrent sous les balles d'un escadron de la mort formé de policiers.

« Si le Brésil ne se lance pas dans la refonte complète de ses structures de lutte contre le crime, la population aura toutes les raisons de fuir, pas seulement en voyant des voleurs », écrit Veja à propos du traitement calamiteux par le Bope, présenté comme le « corps de police le mieux entraîné d'Amérique du Sud », de la prise d'otages survenue à proximité du jardin botanique, sur la ligne 174. Dans l'immédiat, le président Fernando Henrique Cardoso a décidé de privilégier le renforcement de la police fédérale. Une dotation de 20 millions d'euros est notamment destinée au recrutement de 2 000 agents fédéraux supplémentaires et à la modernisation des équipements.

CONSTATS D'ÉCHEC

« L'armée peut-elle contenir le crime ? », s'interroge Veja en titre d'un de ses articles. Certes, bien des Cariocas (les habitants de Rio) se souviennent avec une certaine nostalgie de la « paix armée » imposée par la présence massive des militaires, en juin 1992, à l'occasion du Sommet de la Terre de Rio. En revanche, les diverses tentatives postérieures d'« occupation » de favelas dominées par le narcotrafic se sont toutes terminées sur des constats d'échec : le bouclage en règle des principaux bidonvilles de Rio, pour la plupart installés à flanc de collines escarpées, exigerait des moyens et des effectifs que l'armée brésilienne n'est pas en mesure de mobiliser. Cela n'empêche pas le président du Sénat, Antonio Carlos Magalhes, troisième personnage de l'Etat et figure de la droite brésilienne, de repartir à l'assaut en faveur de l'engagement de l'armée contre le banditisme. Malgré les avis contraires des états-majors qui redoutent le « pouvoir de corruption » du narcotrafic.

Jean-Jacques Sévilla

Le Monde daté du jeudi 22 juin 2000

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