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Le Brésil noyauté par les narcos et la corruption

Un rapport réclame des poursuites contre 800 personnes.

Par CHRISTIAN DUTILLEUX

Le vendredi 8 décembre 2000

Après un an et demi d'enquête dans 17 Etats brésiliens, la commission parlementaire prône une «opération mains propres».  

Rio de notre correspondant

Le trafic de cocaïne menace-t-il la démocratie brésilienne? Après avoir mené durant dix-huit mois l'enquête la plus fouillée de l'histoire du Parlement brésilien (17 Etats visités, des centaines de dépositions), la Commission parlementaire d'enquête (CPI) sur le trafic de drogue a rendu mercredi un rapport extrêmement alarmant. Dans 5 des 26 Etats (Acre, Alagoas, Amapá, Espírito Santo et Piauí), les narcotrafiquants tentent tout bonnement de prendre le pouvoir. Le gouverneur d'Acre, Jorge Viana, du Parti des travailleurs, est menacé de mort par les hommes du trafiquant Hildebrando Pascoal, un ex-député et ex-patron de la police militaire. La menace est si claire que le président Cardoso a fait récemment une escale dans ce petit Etat à la frontière bolivienne pour assurer le gouverneur, pourtant d'opposition, de sa solidarité. En Amapá, l'Etat qui longe la Guyane française, le gouverneur, João Capiberibe, a été destitué par l'Assemblée législative régionale, noyautée par les narcos. La décision a été suspendue par la Cour suprême.

Gangrène. Dans leur rapport, les députés demandent l'ouverture de poursuites judiciaires contre 827 personnes, dont 2 ex-gouverneurs (Acre, Alagoas), 2 députés fédéraux, 12 députés régionaux, des dizaines de policiers, de juges et de patrons. Le général paraguayen Lino Oviedo et l'ex-président du Surinam Dersi Bouterse sont aussi cités. La CPI accuse enfin les présidents des Assemblées législatives des Etats d'Espírito Santo, d'Amapá et d'Alagoas d'être liés aux narcos.

Les découvertes des députés ont déjà conduit à une centaine d'arrestations dans tout le pays. La commission a prouvé que le trafic de cocaïne n'est plus une simple affaire de dealers de Rio, comme les Brésiliens le pensaient souvent, mais une gangrène nationale qui attaque de nombreux organismes publics, notamment les polices militaires. Dans l'Etat de Piauí, la CPI a démonté un réseau de voleurs de camions commandé par un colonel de la police militaire, José Viriato Correia Lima. Ce colonel, aujourd'hui incarcéré, est aussi accusé d'avoir commandité l'assassinat d'une dizaine de bourgmestres de la région. Les pirates de camions sévissent dans tout cet immense pays. Sur des routes peu fréquentées, ils partent à l'abordage du transporteur avec plusieurs voitures. Le routier est alors fait prisonnier, souvent éliminé sur-le-champ. La cargaison, des produits de grande consommation, est écoulée dans des chaînes de supermarchés complices. Les camions sont ensuite conduits en Bolivie et échangés contre de la drogue et des armes. La CPI a mis au jour les liens entre les vols de camions et le trafic de drogue dans 14 Etats.

Disparition. La commission n'a toutefois pas réussi à prouver l'existence d'une mafia nationale. Son principal témoin a disparu. Les députés se plaignent d'ailleurs de la fragilité du nouveau système de protection des témoins. Les parrains des mafias brésiliennes disposent de petites armées et agissent avec une brutalité qui a effrayé de nombreux témoins. C'est pourquoi les députés demandent l'instauration au Parlement d'une commission permanente sur le trafic de drogue avec la participation de représentants du gouvernement et de la justice. Dans son rapport final, la CPI réclame le mise en place d'une «opération mains propres» à l'italienne, seule capable à leurs yeux de décapiter les «pieuvres» qui se développent au Brésil.

 

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