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«Le cannabis n'est pas une drogue douce»

La Commission du Sénat contre les drogues a rendu, hier, un rapport réactionnaire.

Par Matthieu ECOIFFIER

jeudi 05 juin 2003

« Nos enfants sont de plus en plus nombreux à consommer de plus en plus jeunes des produits de plus en plus dangereux.» Extrait du rapport sur les drogues, les sénateurs prônent le retour à l'abstinence. «Nous souhaitons une rupture avec l'idéologie permissive. Les drogues sont des poisons. Il faudra rappeler l'interdiction d'usage, qu'elle soit comprise et respectée», a exhorté Bernard Plasait (UMP), rapporteur de la Commission d'enquête sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites du Sénat. Après six mois de travail, l'audition d'une cinquantaine d'experts souvent controversés (Libération du 14 mars) et des déplacements à l'étranger, la commission a rendu public, hier, un pavé de 1 200 pages et 64 propositions, au titre alarmiste : Drogue : l'autre cancer. Réactionnaire sur la forme. Ambivalent sur le fond : un catalogue de voeux pieux pour une «prévention totale», masquant mal une volonté de répression accrue et ciblée de l'usage, notamment du cannabis. «Il y a 3 000 ans, les Chinois ont interdit le cannabis parce que cela fait venir les démons», a raconté hier Plasait.

Sevrage forcé

Le Sénat pourrait «déposer avant la fin de l'année une proposition de loi» pour réformer la loi de 1970, a-t-il confirmé. La première interpellation pour fumette donnerait lieu à une contravention. La récidive et le refus de soins resteraient passibles de prison. En «dernier recours», les drogués pourront se voir placés par le juge dans des «centres fermés de traitement de la toxicomanie» pour y subir un sevrage forcé. «Nous sommes opposés aux centres fermés. Sous la vitrine préventive se cache un axe répressif fort», dénonçait hier Gilbert Chabroux, sénateur PS du Rhône. Sur la forme, le rapport renoue avec la rhétorique du «fléau» : «La France se drogue. Nos enfants sont de plus en plus nombreux à consommer de plus en plus jeunes des produits de plus en plus dangereux», s'alarme la commission, s'appuyant sur une lecture catastrophiste des courbes de consommation qui, dans tous les pays, atteignent un palier après une forte hausse. Mais il s'agit d'abord de fustiger le «message ambigu» du gouvernement socialiste, promoteur d'une «dépénalisation de fait». La commission accuse la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) et une «certaine presse» d'avoir contribué à l'«explosion» de la consommation du cannabis en le «banalisant». Libération est dénoncé page 284 pour avoir titré, en octobre 1998, à la suite du rapport Roques sur la dangerosité des drogues : «Le verdict des experts sur les drogues : ecstasy accusé, cannabis acquitté.» L'article jugeait le shit «moins dangereux que le tabac». Une conclusion incomplète selon les sénateurs : si le cannabis «n'est pas neurotoxique», les troubles du comportement qu'il entraîne le sont, assurent-ils.

Shit marocain

«Le cannabis n'est pas une drogue douce», a martelé Plasait, précisant que des variétés hollandaises ont une concentration de 20 % en principe actif, soit dix fois plus «que le joint soixante-huitard». Sans préciser que plus de 80 % du cannabis fumé en France vient du Maroc et que la moyenne des saisies des douanes oscille entre 8 et 10 %. «Ils parlent de la drogue comme dans les années 70, sauf que le cannabis a remplacé l'héroïne», commentait hier un spécialiste des drogues opposé à la position sénatoriale : «Pour que l'interdit soit légitime, il faut que le produit soit dangereux.»

Et pour que l'interdit fonctionne, il faudra l'expliquer. La commission prône une «prévention totale» dès l'école, reprenant des mesures du dernier plan de la Mildt. «Ils veulent un rôle accru des comités d'éducation à la santé dans les écoles. Or, leurs crédits sont gelés», critique un autre expert. Sans moyens, cette «prévention totale» a toutes les chances de rester dans les cartons du Sénat.

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