Journée d'action contre la loi de 1970 sur les

drogues.

«La politique de prohibition est un échec

sanitaire»

Le 6 juin 1998

Malgre les procès, malgré le «verrouillage» institutionnel, aux dires de Catherine Vannier, vice-présidente du Syndicat de la magistrature, les associations ne baissent pas la garde sur la question des drogues. Elles auraient même tendance, ces derniers mois, à multiplier leurs actions. La prochaine: une manifestation-concert dimanche, 15 heures, à la Bastille, appelée par le Collectif pour l'abrogation de la loi de 1970. Leur mot d'ordre: «Drogues, légalisez le débat!» Dans leurs rangs, des associations comme la Ligue des droits de l'homme,

Aides, Act Up-Paris, Asud (Autosupport des usagers de drogues) ou le Collectif d'information et de recherche cannabiques (Circ). Mais aussi des politiques, comme les Verts, le Parti radical de gauche, ou les écologistes de Chiche!.

Une manifestation qui fera suite à une autre, le même jour a 11 heures, devant le palais de l'Unesco à Paris, dans le cadre des rassemblements prévus dans le monde entier, en protestation contre la session spéciale de l'ONU sur la drogue qui s'ouvrira lundi à New York et qui devrait prendre des résolutions prorépressives. Mais, actives, les associations le sont aussi sur le plan purement politique. Vendredi, la Coordination radicale antiprohibitionniste (Cora) a tenu congrès au sein de l'Assemblée nationale. Son objectif : promouvoir des listes antiprohibitionnistes lors des prochaines élections européennes, en juin 1999.

Membre du Collectif pour l'abrogation de la loi de 1970, le Syndicat de la magistrature appelle à manifester, dimanche. Catherine Vannier explique pourquoi.

Quelle est l'urgence?

La France doit ouvrir un véritable débat sur les drogues, et au niveau parlementaire, et au niveau de l'opinion publique. Parce que la loi de 1970 est totalement obsolète. Parce que la politique de prohibition est un échec sur le plan sanitaire. Et parce que le fameux article L. 630 empêche de parler du problème des drogues. La plupart des commissions qui se sont penchées dessus en arrivaient d'ailleurs à la nécessité de reformer la loi de 1970, mais leurs conclusions sont toujours restées lettre morte. D'où notre mobilisation pour que cesse la politique de l'autruche. D'autant plus que le congrès de l'ONU ira dans une orientation qui ne nous semble pas bonne, celle de la répression. Or, en restant dans cette logique, on va à la catastrophe sanitaire.

Vous vous placez donc avant tout sur le terrain de

la santé.

Oui, parce que la France n'a pas, jusqu'ici, pris réellement en compte la prévention des risques. La France a un taux record de toxicomanes séropositifs, ou qui sont morts d'hépatite C. Un taux bien pire que dans les autres pays européens, qui conduisent une politique de prévention des risques bien plus intelligente que la nôtre. L'aspect de la santé est donc étroitement lié à celui de la liberté d'expression.

Bernard Kouchner, secretaire d'Etat a la Santé, estime, lui, que la loi de 1970 n'empêche pas le debat, mais la «propagande»...

L'article L. 630 n'est qu'un élément de la loi de 1970. Il ne pose pas qu'un problème de liberté d'expression: il incarne l'architecture globale de la loi, totalement prohibitionniste. Si on échappait à cette logique, on arriverait peut-être à parler différemment des drogues. Le but de la

manifestation, et du collectif, c'est d'obtenir ce déverrouillage. Et, donc, un débat.

Sur le plan judiciaire, qu'avez-vous noté par rapport a la politique des drogues?

Des condamnations hallucinantes, au nom du L. 630. Mais aussi 900 personnes qui ont été condamnées a des peines de prison ferme pour simple usage en 1996. Or, ce n'est pas en pénalisant les toxicomanes qu'on arrivera à régler le problème de la toxicomanie. Entrer dans une logique de prévention et d'information nous apparaît bien plus préférable.

Parmi vos adversaires, certains voient dans la légalisation du cannabis, mise parfois en avant par certains membres du Collectif, un cheval de Troie pour une dépénalisation de toutes les drogues. Que leur repondez-vous?

En 1996, le Syndicat de la magistrature s'est déclaré favorable à une dépénalisation de l'usage des drogues. Quelles qu'elles soient. A partir du moment où l'usage ne nuisait pas à autrui, c'est-à-dire se faisait dans un cadre privé. Car, dès qu'on aborde le débat de la dépénalisation, il faut aller jusqu'au bout. Rester répressif pour certaines formes de drogues ne règle pas le problème. Notamment sur l'aspect de la prévention des risques. Car l'essentiel est là: c'est lorsque l'on s'injecte par voie intraveineuse certaines drogues qu'existe le risque de contamination par le virus VIH ou celui de l'hépatite C.

Comment expliquez-vous que la gauche au pouvoir reste silencieuse sur le sujet?

Sans doute parce que le ministre de l'Intérieur ne veut pas entendre parler d'un débat sur la toxicomanie. Et, tant qu'on a dans son gouvernement quelqu'un d'aussi strict que Jean-Pierre Chevènement, on ne peut que rester dans une logique prohibitionniste. Nous avons d'ailleurs

l'impression, en la matière, d'être face à un encéphalogramme plat, aussi bien du côté de l'Intérieur, de la Justice que de la Santé.

Pourtant, dans le collectif figurent les Verts, parti gouvernemental...

Oui, mais, pour l'heure, ils ne sont pas arrivés à convaincre le PS. Et tout est là.

Recueilli par DAVID DUFRESNE

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Chirac vante l’interdit

Au menu, vendredi, du déjeûner de travail de Jacques Chirac a Soissons (Aisne): la lutte contre la drogue et la toxicomanie. Teneur des mets : sucré-salé. Salé, puisque le Président a affirmé être «personnellement contre la libéralisation» de la drogue: «Il ne faut pas libéraliser. Chaque fois que je rencontre des professionnels, cela me conforte dans cette idée, car il n’y a pas de prévention sans pédagogie, mais il n’y a pas non plus de prévention sans interdit.» Salé, encore, quand le chef de l’Etat a une nouvelle fois clairement déploré l’attitude des Pays-Bas, dont la législation est «complètement différente de celle des quatorze autres pays de l’Union européenne» : «La concertation suppose que tous les pays aient les mêmes valeurs, les mêmes critères, et surtout, les mêmes législations. En Europe, il y a encore du progres à faire. Mais sucré, aussi, puisque l’homme de l’Elysée a dit du consommateur qu’il est, «d’une certaine facon, un malade auquel il faut tendre la main et donner les moyens de sortir de sa dépendance».